Le château de Lescure est une agréable habitation située sur un monticule dans la vallée de Brezons, entourée de belles prairies et de vastes forêts. Son seigneur Hugues de Lastic était fils d'un cadet de Vigouroux et d'une demoiselle de Bélinay.
Il avait épousé une demoiselle de Beauclair de laquelle il avait deux filles. Devenu veuf, il se maria en secondes noces avec mademoiselle d'Escorailles qui ne lui donna pas d'enfants.
Il avait trois frères :
Pierre-Joseph, né en 1727, vicaire général de Châlons-sur-Marne, puis en 1771, sacré évêque de Rieux, diocèse de la province ecclésiastique de Toulouse.
Le chevalier de Lastic, officier supérieur dans la marine royale, mort sans enfants ;
François, qui fut grand-vicaire de Rieux sous l'épiscopat de son frère. Pour cette auguste famille la Révolution fut cruelle, atroce :
L'évêque de Rieux et son frère le grand-vicaire sont portés sur la liste des émigrés du Cantal. Ils émigrèrent en effet en Espagne et Mgr de Lastic mourut au monastère de Mont-Serrat, en Catalogne.
Leur frère aîné eut encore un sort plus malheureux. Il était déjà vieux quand la Révolution commença. En 1787, il fut nommé syndic de la noblesse et du clergé de l'assemblée provinciale d'Auvergne ; là, le comte de Lastic joua un rôle de conciliation ; c'était un homme droit et bienfaisant, d'un grand coeur comme le prouvaient ses aumônes et ses bons conseils. La Révolution ne lui tint aucun compte de ses qualités, de ses bienfaits, de ses procédés obligeants. Il était noble ; c'était un crime épouvantable.
En mars 1792, époque de fièvre révolutionnaire, de surexcitation haineuse contre la noblesse et le clergé, un attroupement de gens égarés et avides de pillage, se porte sur le château de Lescure, le saccage, brise où emporte les meubles, abat la toiture de la tour et enlève tous les grains qu'on se partage ensuite.
Cependant les malheureux qui avaient enlevé le blé du château eurent quelques remords de leur inqualifiable conduite et envoyèrent un exprès au comte pour le prier de vouloir bien leur donner les grains enlevés. On lit en effet dans le cahier des délibérations du directoire de St-Flour : "Quelques jours après (le pillage) un membre de la municipalité de Saint-Martin, canton de Pierrefort, se porta chez M. de Lastic en son château de Lescure pour le prévenir que s'il ne s'empressait pas de faire don aux pauvres de la paroisse du blé enlevé chez lui par les habitants du Vigouroux, son château serait de nouveau saccagé". Il est à présumer que le comte fit don de ses grains.
Cependant à la nouvelle des dévastations que faisaient les paysans égarés, dans le canton de Pierrefort, le Directoire du district de Saint-Flour écrivit le 1er avril 1792 à la municipalité de Saint-Martin pour lui rappeler le respect de la propriété. Il prévint en outre le Directoire du département des désordres qui avaient lieu dans le pays et le Directoire fit venir des troupes de ligne pour rétablir et maintenir le bon ordre.
L'effervescence se calma en effet pour quelque temps du moins. Mais le comte de Lastic n'en demeura pas moins étonné et douloureusement ému de l'agression inattendue dont il avait été l'objet. Il ne comprenait pas qu'étant lui-même bienveillant, les paysans fussent malveillants pour lui ; il pensa avec raison que le peuple se laisse facilement tromper et égarer par quelques meneurs. Dix furieux et vingt drôles suffisent en effet pour mettre tout un pays en déroute.
Il oublia tout et chercha à se faire oublier ; il arriva ainsi jusqu'à l'année 1794 ; mais alors les évènements tournèrent au tragique.
On sait que les membres du Comité Révolutionnaire du Cantal, puis ceux de la fameuse Commission qui lui succéda, avaient un moyen très efficace de s'annexer les biens et l'or des aristocrates. Il consistait à arrêter à la poste toute lettre écrite à des gens suspects ou à des émigrés, puis on prévenait l'auteur de la lettre de la triste position où il s'était mis en entretenant des relations avec les émigrés, puisque ce délit était puni de la peine de mort, lui faisant entendre en même temps qu'il n'avait qu'un moyen de se tirer d'embarras, racheter la lettre, par une somme d'argent.
On faisait encore mieux et c'est ici le maximum du coquinisme ; on fabriquait de fausses lettres, écrites à ou par l'aristocrate dont on convoitait la fortune. Le malheureux avait beau protester qu'il n'avait écrit ni reçu de telles lettres, on persistait à l'affirmer, si bien que l'accusé persuadé qu'il serait perdu si ces lettres, quoique fausses, paraissaient au tribunal, finissait, pour qu'elles lui fussent rendues, par offrir une somme considérable, ce que précisément voulaient les atroces faussaires.
M. de Lastic fut victime d'une pareille manoeuvre : on montrait une lettre (quelques-uns disent deux) écrite par lui à son parent M. de Fabrègues émigré. L'avait-on arrêtée à la poste, ou trouvée dans les papiers du vieux comte ? l'avait-on fabriquée ? On ne peut rien affirmer à ce sujet. Quoi qu'il en soit une lettre fausse ou vraie était tombée entre les mains de Boudier et de Fau, deux enragés démagogues d'Aurillac, deux concussionnaires effrontés.
Cette lettre servit de prétexte à l'arrestation de l'infortuné de Lastic. "Ce vieillard inoffensif et bienveillant, dit Boudet, était tellement vénéré dans ses montagnes que la société populaire de Saint-Flour ne crut pas pouvoir lui refuser une délibération favorable après son arrestation."
Il n'en fut pas moins conduit prisonnier à Aurillac et traduit devant le tribunal criminel. Pour racheter la fatale lettre et éviter un jugement, M. de Lastic offrit douze mille francs, qu'il fit porter par son beau-frère, M. de Beauclair, au citoyen Alary, procureur très influent auprès des juges, vrai fripon, ardent à trafiquer de la liberté, de la fortune et de la vie de ses concitoyens. Il devait partager cette somme avec Boudier et Fau, détendeurs de la lettre.
De Lastic en outre fit distribuer aux juges dont il connaissait la vénalité des sommes d'argent dans l'espoir d'obtenir un acquittement.
Nous en avons la preuve dans la déposition des témoins entendus dans le procès que l'on fit plus tard aux concussionnaires du Cantal. Voici sur l'affaire de Lastic, ce que déposèrent Perret, homme de loi à Aurillac, de Beauclair, beau-frère de Lastic et Alary l'homme aux convoitises grossières.
Perret : "Il dit que Lastic a acheté tout le tribunal, que Dèzes avait eu quatre mille livres (francs) et Ruat, six mille ; que le président Hébrard n'avait pas eu la plus petite portion ; que Boudier avait reçu douze mille livres partageables avec Fau pour livrer deux lettres de Lastic".
Alary : "Ce que vous venez d'entendre est vrai. Pour avoir des lettres de Lastic qui étaient au district, j'ai compté douze mille livres en assignats ou billets à Boudier qui disait devoir en donner à Fau, agent national, pour acheter son silence."
Beauclair : "J'ai donné à Alary pour racheter une lettre trouvée dans les papiers de Lastic, mon beau-frère, et qui était entre les mains de Fau, agent national, et de Boudier, administrateur, une somme de douze mille livres, dont 6.000 en assignats et deux billets au porteur de trois mille chacun.
"Toutes ces sommes, ajoute la Révolution du Cantal, ont été inutilement répandues. Lastic ne fut pas jugé par le tribunal criminel du Cantal, il fut envoyé au Tribunal Révolutionnaire de Paris sous la garde de Boudier aîné et guillotiné quarante huit heures après son arrivée à Paris." Mais entrons dans quelques détails sur l'ignoble procès intenté à M. de Lastic, voici ce que le Président lui-même, Hébrard : "Lastic, traduit au tribunal du Cantal, y est interrogé par moi ; je lui fais quelques questions ; il répond par le désaveu formel d'avoir jamais écrit. J'envoie le greffier au district pour demander cette lettre ; point de réponse. J'y vais moi-même ... Un des administrateurs, Besse, la cherche avec moi dans tous les papiers de l'ancien Comité Révolutionnaire, mais inutilement ; je vois bien aujourd'hui comment et pourquoi elle n'y était plus.
Cependant le procès de Lastic s'instruisait à force ; l'accusateur public avait déjà entendu des témoins en grand nombre, et présenté contre lui un acte d'accusation terrible, qui, néanmoins cette pièce (la lettre) manquant, ne portait sur presque rien.
Un évènement dont le récit ne peut être ici une inutilité, arrêta cette instruction. Rose de Nastrac (religieuse), une proche parente de Bouillé, la Faulat, sa mère, son mari, une ex-religieuse appelée Latapie, tous accusés de différents délits prétendus contre-révolutionnaires venaient d'être acquittés, sauf la Nastrac, qui comme spoliatrice et retentionnaire de titres féodaux et nationaux, obtint quelques années de réclusion. Ce jugement fut hautement improuvé par les énergiques d'alors et dénoncé par Milhaud, l'aîné, et par Coffinhal, accusateur public, au représentant Bo, qui prit aussitôt contre les jurés une mesure inattendue et très vive et qui, dans des termes très durs, ôta au tribunal, jusqu'à nouvel ordre, la compétence des délits contre-révolutionnaire".
A cette époque, malgré les juges, qui étaient d'une vénalité scandaleuse, malgré les efforts des jacobins, qui étaient d'une avidité insatiable, plusieurs autres acquittements avaient été forcément prononcés, grâce à l'indulgence des jurés qui, plus honnêtes, avaient quelque pitié de ces malheureux accusés, dont le seul crime était d'être nobles ou riches.
Furieux de cette conduite, le représentant Bo ordonne l'arrestation de plusieurs membres du jury, et arrête que désormais les aristocrates, les contre-révolutionnaires seront envoyés, pour être jugés, au tribunal révolutionnaire de Paris, plus juste celui-ci, disait-il, et plus expéditif. Juste, non, plus expéditif, oui, certainement, car là on expédiait vite pour l'autre monde.
En vertu de cette arrêté, plusieurs personnes furent désignées pour partir pour la capitale entre autres : "Devèzes, Casses, Lastic, la Fontanges, Lapachevie, la Méallet femme d'Anjony, l'ex-chevalier Bonal, Sartigues, la Tallemandier, sa femme, etc."
Ils ne partirent pas tous ensemble, mais successivement ; heureux ceux qui trouvèrent le moyen de retarder le fatal voyage, Robespierre étant mort avant leur arrivée à Paris, ils furent sauvés. M. de Lastic n'eut pas cette chance.
Il dut le premier partir pour la capital. Boudier, l'aîné, lieutenant de gendarmerie, eut ordre de l'escorter.
Arrivé à Paris, le vieux comte est autorisé à voir un homme de son pays qu'il connaissait, un certain Pagès, ci-devant cordonnier ; il lui fait part de ses malheurs et lui donne vingt mille francs à condition qu'il usera de son influence auprès de Coffinhal, membre du tribunal, pour obtenir sa mise en liberté ; Pagès promet de le recommander et, il va en effet trouver son ami Coffinhal, qui était aussi du Cantal. Que se dirent ces deux hommes ? On le devine en voyant l'issue de cette triste affaire. On enleva au comte la bourse et la vie.
Coffinhal interrogea M. de Lastic :
D - Aimez-vous la révolution et adoptez-vous le gouvernement républicain ?
R - Oui
D - N'avez-vous pas refusé du grain au peuple qui manquait de subsistance ?
R - Jamais de ma vie.
Ce fut à peu près tout ; c'était pour la forme. Coffinhal dresse lui-même l'acte d'accusation, le fait signer par Fouquier-Tinville et prononce la sentence de mort.
M. le comte Hugues de Lastic monte sur la charrette qui doit le conduire à l'échafaud ; à ses côtés sont Villerant, curé de Montargis, Lambert, surnuméraire de l'enregistrement à Dieppe, Raclet, de Sonnevoire (Haute-Marne) ; Rocquenet, homme de loi à Chaumont ; Thomassin, ex-noble de Saint-Diziers ; Alexandrine-Félicité Mandat, femme de Thomassin ; Fougeret, receveur des finances, tous accusés d'avoir eu des relations avec les émigrés ou les ennemis de la République.
Ces huit autres victimes montent les unes après les autres sur l'échafaud et le sang coule à flots. C'était le 23 floréal, an II (12 mai 1794). Hugues de Lastic avait soixante-quatorze ans.
Il laissait deux filles de son premier mariage avec Mademoiselle de Beauclair. L'une épousa M. de Pesteils de la Majorie, l'autre, M. de Florac-Gourdon. Cette dernière resta héritière de la terre de Lescure. Son fils Joseph Florac-Gourdon la vendit, en 1810, à son cousin Annet-Joseph de Lastic de Vigouroux qui devint ainsi propriétaire des deux châteaux.
Mais bientôt il les vendit, lui aussi, pour aller habiter le château de sa femme à Parentignat, dans le Puy-de-Dôme. Ainsi disparut de nos montagnes cette noble et forte race des Lastic.
Histoire de la révolution en Auvergne
Tome 5
par M. Jean-Baptiste Serres