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La Maraîchine Normande
5 février 2013

MADEMOISELLE DE FORSANZ

SCENE HISTORIQUE DE LA RÉVOLUTION EN BRETAGNE

Capture plein écran 05022013 225606

Emilie de Forsanz était pauvre, belle et noble. Orpheline, elle habitait, quelques années avant la Révolution, un vieux manoir dans la paroisse de Guerlesquin près de Morlaix, et elle partageait ses jours entre le travail et la prière. L'église où elle aimait à se rendre était alors desservie par un prêtre indigne, nommé Buhot, ambitieux, vil, n'ayant revêtu la soutane que pour dissimuler sa basse extraction et parvenir. Le misérable fut séduit par la beauté et la vertu d'Emilie et il essaya de faire partager sa honteuse passion par la chaste jeune fille qui le repoussa avec horreur et abandonna désormais l'église pour une chapelle plus modeste du voisinage.

Dès le début de la révolution, Buhot chercha à assouvir son ambition et en même temps la haine qu'il avait vouée à mademoiselle de Forsanz, il jeta le froc et, devenu agent national de la commune de Guerlesquin, il fit aussitôt comparaître la jeune fille et lui fit subir le 8 floréal l'interrogatoire suivant :
"Veuillez déclarer que vous avez horreur de la Royauté et que vous applaudissez à l'exécution de Louis XVI, dernier tyran ; répondez par oui ou par non."
Emilie répondit simplement qu'elle s'en tenait à la négative et signa noblement sa réponse sur le registre de la municipalité.

Buhot tenait enfin sa proie. En effet, le 19 messidor suivant, Lesequel, juge de paix à Morlaix, procédait à l'arrestation de Modeste-Emilie de Forsanz, ci-devant noble, dénoncée comme suspecte. Résignée, l'infortunée se laissa conduire en prison, puis dans sa naïveté, s'imaginant que l'accusateur public pouvait être un magistrat juste et intègre, elle lui adressa la lettre suivante, si touchante en son expansion :

"Citoyen accusateur public,
Depuis que j'habite à Morlaix je n'ai jamais été soupçonnée par les autorités, je ne rougis pas de dire que sans fortune et sans ressources d'aucune sorte, j'étais redevable de mon existence au travail de mes mains, aussi, quoique née dans la classe ci-devant privilégiée, je n'ai été inquiétée que lorsque la loi a ordonné à tous ceux qui comme moi sont entachés du péché originel de se retirer de tous les ports maritimes ...
De toutes les villes qui me furent désignées et où il m'était permis de me retirer, celle de Caen était la plus prochaine, je la choisis en observant qu'étant dépourvue de tout pour faire une route si longue, il me fallait écrire à la citoyenne Loc-Maria, ma parente, habitant environ à trente lieues pour me procurer les fonds indispensables. Ayant calculé le temps nécessaire pour recevoir une réponse, je restai à la campagne jusqu'au jour où je crus ce secours parvenu à Morlaix ; je me rendis à l'époque présumée en cette ville et je fus arrêtée.
Les procès-verbaux doivent faire foi de ce que j'avance et attester ma résolution d'obéir à la loi dès que les fonds nécessaires à mon voyage seront arrivés.
Je sais qu'on a cherché à aggraver mes torts de ce qu'un religieux a été capturé dans la maison où j'avais trouvé asile, mais les dispositions qu'ont dû faire le religieux et le propriétaire de la maison ne doivent laisser aucun doute sur mon inculpabilité à cet égard. Citoyen accusateur public, je vous ai déclaré la vérité tout entière, la voix publique vous proclame le représentant de la justice et de la probité. Si cela est sincère comme je veux le croire, je dois à ma qualité de très-infortunée trouver en vous non un accusateur mais un défenseur ; faites cesser ces maux qui sont inexprimables et, dès que mes parents m'auront procuré les fonds pour ma route, vous verrez avec quelle rapidité j'obéirai à une loi, de laquelle non pas mon infortune, mais mon indigence complète aurait dû me faire excepter.
Votre concitoyenne,
Emilie de Forsanz".

L'accusateur public était le citoyen Donzé-Derteuil, un ancien prêtre, mielleux et patelin, comme ces animaux de race féline qui caressent afin de pouvoir mieux enfoncer leurs griffes, et il fallait autant essayer d'apitoyer un tigre que de tenter de le fléchir. En effet, le 12 thermidor, Emilie fut conduite devant le tribunal révolutionnaire de Morlaix et accusée :
1° du recel de l'abbé Mérel, prêtre réfractaire ;
2° d'avoir soustrait des effets d'émigrés ci-devant nobles ;
3° d'être auteur ou complice d'une conspiration formée à Morlaix dans le courant de messidor contre la sûreté du peuple français, en composant ou conservant des écrits tendant à la dissolution du gouvernement républicain et avoir exalté la royauté.

On lui donna ensuite lecture du long réquisitoire dans lequel Buhot, non-seulement l'accusait de crimes politiques, mais vomissait encore sa lave immonde sur la réputation de la malheureuse.

Condamnée, elle se laissa conduire à la mort, sans résistance et sans plaintes. Ce fut en chantant un hymne sacré qu'elle gravit les degrés de l'échafaud.

Lorsque la tête tomba, le juge Palis qui était aussi médecin, réclama le corps pour les besoins de la science et le fit transporter chez lui. Là, entouré de ses amis, au milieu de sinistres et d'odieuses plaisanteries au sujet de Buhot, en d'ignobles termes, il constata que la noble enfant n'avait jamais subi d'outrages ...

Vicomte de Colleville
La Revue illustrée de Bretagne et d'Anjou
1885

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