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La Maraîchine Normande
30 janvier 2013

LE VICE-ROI DE BRETAGNE ♣ PIERRE-MARIE DESZOTEUX, BARON DE CORMATIN ♣ 2ème et dernière partie

LE VICE-ROI DE BRETAGNE
PIERRE-MARIE DESZOTEUX
BARON DE CORMATIN
(1753 - 1812)

2ème et dernière partie

 

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Il est vrai que le vice roi ne devait pas s'embarrasser pour si peu ; il nia avoir écrit ces lettres ! Trois ans plus tard, le jeune chouan granvillais, Jacques Destouches adoptera le même système de défense ; il ne devait pas plus lui réussir qu'à Cormatin.

Le Directoire avait décidé le 27 nivôse an IV (17 janvier 1796), qu'une poursuite nouvelle serait intentée à Cormatin et le 19 pluviôse (6 février) un arrêt du Tribunal de Cassation, rendu à la requête du Commissaire du pouvoir exécutif, renvoyait Deszoteux-Cormatin (sic) devant le directeur du Jury de Saint-Lô "pour, au cas d'accusation admise, être le procès instruit et jugé par le Tribunal Criminel de la Manche".

Le 20 germinal (9 avril), Cormatin était dirigé sur Saint-Lô. On lui avait fait l'honneur d'une escorte de grand criminel ; "Deux compagnies, l'une de chasseurs, l'autre de grenadiers, rapporte La feuille du Jour, accompagnent Cormatin dans le trajet. Il va être jugé pour une conspiration qu'il aurait ourdie dans les prisons de Caen. Les conspirations, tramées dans les cachots, peuvent, à la rigueur, être vraies, mais on conviendra qu'elles ne sont guère vraisemblables. Au reste l'instruction du procès fixera sur le célèbre accusé notre opinion qu'il est nécessaire de suspendre encore.

La feuille du Jour du 8 floréal an IV (15 mai 1796), fut lue par Cormatin avec une évidente satisfaction, on parlait de lui ; on le proclamait même célèbre ; l'ombre des cachots lui parut moins noire et le pain moins amer.

L'instruction commença le 26 floréal (15 mai) ; elle se continua le 4 et le 9 prairial (23 et 28 mai 1796) par l'audition du geôlier et du guichetier de Caen, qui racontèrent les faits dont ils avaient été témoins. Cormatin nia formellement avoir écrit les lettres incriminées. Il fut confronté avec le citoyen Didier Nicolas Heurtin, huissier à Paris, auquel il faisait allusion dans une de ses lettres ; il déclara ne pas connaître l'huissier. Les experts, commis pour vérifier les écritures, le citoyen Tyrmoy, vérificateur des actes authentiques à Coutances et Jean Agnès, imprimeur, affirmèrent sous serment "que les pièces, qui leur avaient été soumises, étaient du même papier, de la même encre et de la même main et que cette main était celle du prévenu ; même tenue, même corps, même mouvement, mêmes formes, mêmes déliés et liaisons". Ils donnèrent aussi plusieurs démonstrations graphiques. Les lettres Z et X de la signature de Deszoteux étaient caractéristiques à leur avis.
C'était l'évidence ; mais Cormatin ne se départit pas, un seul instant, de son système. "Tout cela, répétait-il, a été machiné pour me perdre."

Le 1er messidor an IV (19 juin 1796), le directeur du Jury de Saint-Lô dressait l'acte d'accusation. Il exposait que l'enquête avait établi :
1° Que Deszoteux avait rédigé un Mémoire militaire, daté à Nice du 1er mai 1792 ; qu'il y indiquait à l'ennemi comment on pourrait attaquer cette ville ;
2° Qu'il avait écrit à la citoyenne Cassin, artiste à Rouen, une lettre dans laquelle il s'appelait Théobald ; qu'il avait écrit à une marquise de Menilet, demeurant à Caen, c'est-à-dire à la nommée Damienne, Françoise Gillain, veuve de François Aimable de la Roque Menillet ; que cette femme, ennemie jurée de la République, n'était autre que l'Inconnue ;
3° Que cette correspondance démontrait que Deszoteux ne s'était jamais soumis aux lois de la République et que, pendant l'instruction de son procès à Paris, il avait intrigué et conspiré contre elle ;
4° Que la femme, qu'il nommait Adèle, n'était autre que la femme Vivien Belval, connue à Nantes et à Caen, pour son royalisme et que Belletbonne était, à n'en pas douter une ennemie de la République ;
5° Que le mot "aiguilles", employé dans une des lettres, pouvait bien désigner des armes, poignards, stylets, bayonnettes ;
6° Que la veuve Laroque Menillet (sic) méconnaissait contre toute évidence qu'elle avait eu des relations de correspondance avec Deszoteux.

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Le jury déclara qu'il y avait lieu à accusation et Cormatin comparut le 21 fructidor an IV (13 septembre 1796), devant le jury de Coutances.
Habilement défendu par les avocats Lemonnier, Colengé et Lemaître, il fut acquitté de l'accusation de complot, mais non remis en liberté, la peine de la déportation, à laquelle il avait été condamné le 4 frimaire précédent, (25 novembre 1795), devant être subie par lui. On le reconduisit donc à Cherbourg, où il fut enfermé à nouveau à l'île Pelée.

Le manuscrit de la Bibliothèque de Cherbourg, nous apprend qu'il fut l'objet d'une surveillance étroite ; il était placé sous la garde de trois canonniers ; nul ne pénétrait dans sa chambre ; on ne pouvait rien lui apporter "sous peine d'être regardé comme traître à la patrie". Pour comble de malheur, les co-accusés de Babeuf, arrivent à l'île Pelée, le 27 prairial an V (15 juin 1797) ; on masque les fenêtres de leurs cellules ; Cormatin, qui recevait encore un peu d'air et de lumière par sa fenêtre, voit boucher son ouverture. Or cette fenêtre, c'est tout son espoir, tout son bonheur ! ... Sa famille lui a bien envoyé des draps, des habits de rechange, des livres ; il a sous la main les Oeuvres de Voltaire, le Voyage du Jeune Anarcharsis, les Voyages en Amérique, un Manuel d'Artillerie, et un Dictionnaire d'Histoire Naturelle ... "Mais une distraction plus douce était devenue le roman et la poésie de sa captivité. Lors de sa première détention, il avait réussi à faire la connaissance d'une charmante jeune femme, plus jeune que lui de quinze ans, une veuve fort délurée, qui n'avait pas froid aux yeux, Bernardine de Gigault, veuve du capitaine de vaisseau Marquis de Feuardent, seigneur d'Eculleville. Dès qu'elle apprend que Cormatin est à l'île Pelée, la marquise de Feuardent lui adresse des lettres passionnées. Cécile écrivait longuement à Théobald. On s'appelait : "Mon ange ! Mon mimi !". On traçait sur le papier des petits ronds ; ils indiquaient "une bouche coquette, une bouche avide" etc..., etc... On échangeait des morceaux de musique, des pièces de vers ; mais le vice-roi de Bretagne, bien déchu de son ancienne splendeur, recevait avec infiniment plus de plaisir des pommes de pin pour allumer son feu, du café, du chocolat et même des pastilles contre le rhume ! Un jour, on fouilla le manchon de l'aimable jeune femme ; on y trouva des lettres ; l'entrée du fort lui fut interdite et une surveillance très étroite fut exercée sur Cormatin. Cependant celui-ci réussissait à correspondre encore avec le Mimi Chéri ; puis, il y eut une brouille, et le 28 juillet 1799, Cormatin, las, sans doute, de ne pouvoir traduire son amour qu'en utilisant le télescope du fort, qu'il braquait sur la fenêtre de la "tendre Eugénie", dans la direction de Cherbourg, lui déclara "qu'il l'embrassait pour la dernière fois."

La correspondance échangée entre les deux amants n'était sortie du manchon de la belle que pour être dépouillée par les agents du Ministre de la Police. Madame de Feuardent, arrêtée pour avoir voulu faciliter l'évasion d'un ennemi de la République, fut emprisonnée environ trois mois (Septembre-Décembre 1799) ; mise en liberté, elle mourut peu après. Cormatin, durement traité, tomba malade ; le médecin qui le visita reconnut qu'il était atteint d'une affection des voies urinaires et laissa entendre que l'île Pelée lui était malsaine (Certificat du 17 frimaire an VIII (8 décembre 1799).

Le Ministre de la Guerre ordonna, le 3 février 1800, le transfert de Cormatin au fort du Ham, dans la Somme ; le détenu quitta, sous bonne escorte, l'île Pelée le 29 mars et fut écroué à Ham, le 12 avril 1800. Sa détention dans cette citadelle ne donna lieu à aucune remarque, et le 6 brumaire an XI (28 octobre 1802), il fut mis en liberté, mais contraint de résider sous la surveillance de la Haute Police à Bar-le-Duc, puis à Buxy (Saône-et-Loire). Il fut, enfin, autorisa à rentrer dans sa terre de Cormatin, près de sa femme et de ses enfants.

Sa femme avait fait prononcer son divorce depuis près de 10 ans ; elle avait agi ainsi pour ne pas être inquiétée pendant l'émigration de son mari ; mais, malgré ses infidélités et ses extravagances, elle n'avait guère cessé de correspondre avec lui ; on a vu qu'il lui avait écrit de la prison de Caen, une lettre pleine de tendresse, le jour même où il envoyait à Adèle, Adélaïde et à Mlle Cassin, ses meilleurs baisers. Les chocolats de la Marquise de Feuardent ne l'empêchaient pas de recevoir avec joie les draps de lit et les vêtements que lui envoyait son ex-femme (le divorce ayant été prononcé au profit de celle-ci, le 15 avril 1793). Il continuait, d'ailleurs, à l'appeler Madame de Cormatin. Mais celle-ci avait été obligée de payer les nombreuses dettes du baron ; les terres de la Plotte, du Colombier, du Grousseau, de Chapaize, etc ..., la forêt de Sercy, avaient été vendues 324.000 livres. Cormatin, rentré dans ses foyers, s'y retrouva le même homme, mais avec beaucoup moins d'écus. Cependant malgré la dure expérience qu'il avait éprouvée, pendant ces dix dernières années, il voulut mener, comme avant la Révolution, un train luxueux ; il obtient l'annulation de son divorce "comme ayant été demandé à seul fin de conserver ses biens". Six ans après, sa pauvre femme fut contrainte, en raison des constantes prodigalités de son mari et de son inconduite notoire, à demander le divorce à nouveau ; il fut prononcé à son profit le 29 avril 1809 ; il ne restait presque plus rien du beau domaine d'Uxelles et Cormatin dut se contenter, d'une petite pension alimentaire servie par son gendre, M. de Pierreclos. Sa fille Anne-Joséphine, dite Nina, s'était mariée, le 9 avril 1807, à Guillaume Michon de Pierreclos, ce gentleman dont Lamartine, on l'a vu plus haut, nous a raconté l'histoire.

La pension, bien entendu, était insuffisante pour faire vivre le baron de Cormatin, dont les appétits étaient toujours grands. A force d'intrigues et de recommandations, il obtint, de l'Empire, une place très modeste, à la Manufacture des Tabacs de Lyon ; il mourut dans cette ville, pauvre et ignoré, non pas le 31 juillet, comme on l'a dit, mais le 20 juillet 1812. Voici, au surplus, son acte de décès : "Le vingt juillet mil huit cent douze, devant nous, maire de Lyon, a comparu Auguste Tarquin, contrôleur à la Manufacture Impériale, rue Confort, n° 9 et Nicolas Benoît, rentier, rue Salx, n° 76, qui ont déclaré que Pierre-Marie-Félicité Deszoteux Cormatin, âgé de 59 ans, natif de Montmirail, département de la Sarthe, commis adjoint de comptabilité de la Manufacture des Tabacs, à Lyon, rue du Perrot, n° 8, divorcé, est décédé ce matin à 8 heures". On remarquera que l'âge de Cormatin, indiqué dans son acte de décès correspond bien avec celui que ses biographes donnent de l'année de naissance, mais alors que ceux-ci le font naître à Paris, l'acte dressé à Lyon, porte Montmirail comme lieu d'origine. Il est à présumer que cette indication est exacte, l'acte de Lyon ayant été dressé d'après l'état-civil porté dans le dossier de l'Administration des Tabacs.

La baronne de Cormatin mourut à Répin, le 1er mars 1846, à l'âge de 88 ans. Elle fut enterrée au cimetière d'Amérigny. Seule, la disparition de son mari apporta un peu de repos à cette malheureuse ; elle avait vécu, depuis son second mariage avec Cormatin, des jours troublés et douloureux ; les dernières années de sa vie se passèrent pour elle dans une tranquillité relative, mais, hélas ! dans un état voisin de la misère. Le vice-roi de Bretagne avait croqué presque toute la fortune de la gracieuse et charmante Geneviève-Sophie Verne.

ETIENNE DUPONT
Annales de la Société historique et archéologique de l'arrondissement de Saint-Malo

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