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La Maraîchine Normande
23 janvier 2013

LA GRANDE PEUR EN GASCOGNE

Par M. BRÉGAIL

On sait que ces trois mots : "la grande peur", servent à désigner la panique mystérieuse et étrange qui ébranla les campagnes en juillet 1789 et qui produisit l'effet d'une commotion électrique (selon le mot d'alors), tant elle fut brusque. Cette commotion passa sur toute la France presque le même jour, presque au même instant, du 27 juillet au 1er août. Partout, ou presque partout, on croit que le pays va être livré à des bandes de "brigands" dont on annonce l'arrivée imminente. Pendant qu'on s'arme et qu'on se fortifie dans les villes, les campagnes émigrent dans des cavernes ou des forêts. "La panique passée, quand on constate qu'il n'y a pas de brigands, on n'en reste pas moins debout et insurgé".

Faute de document s'y rapportant, nos historiens locaux sont restés longtemps muets sur "la grande peur" dans la région gasconne. Or, un ouvrage de M. Edouard Forestié, consacré tout entier à "la grande peur", renferme des renseignements nombreux et intéressant le département du Gers, ou plutôt une partie du département, celle de l'Ouest. La plupart de ces renseignements ont été puisés par M. Forestié dans la correspondance militaire et administrative du général J.-J. d'Esparbès de Lussan, gouverneur de la Haute-Guyenne et du Béarn. A l'occasion des mouvements qui se produisirent dans l'étendue de son ressort militaire et administratif, le gouverneur de la Haute-Guyenne reçut, paraît-il, des milliers de lettres qui émanaient des commandants de la maréchaussée, de colonels, d'officiers, de gouverneurs de villes, de lieutenants du roi, de bas-officiers et même de particuliers. Ces lettres constituent une précieuse source d'information historique qui a été admirablement utilisée par M. Forestié.

Dans le sud-ouest de la France, "la grande peur" commence par Saint-Céré, Gramat, Moissac, Libos, l'Agenais, puis Caussade où l'on croit que neuf mille brigands sont en marche. Montauban reste assez calme. A Lauzerte on redoute l'arrivée de cinq cents prétendus brigands qui ravagent, dit-on, le Périgord. Le mouvement s'étend à Villefranche-de-Rouergue, Millau, Saint-Afrique, Buzet, puis à Toulouse et à Muret. Dans cette dernière localité on disait que quatre ou cinq mille brigands désolaient les campagnes. Il gagne ensuite Capens, Alan, Montégut, Lévignac et le Castéra, puis Lombez, Samatan et Gimont. Au sujet des mouvements qui se produisirent dans ces trois dernières localités, voici ce que le comte de Polastron écrivait de Saint-André à M. d'Esparbès, à la date du 5 août :

Vous aurez sans doutte sceu la terreur pannique qui s'est répandue dans Lombez, Samatan et plus de soixante villages des environs. Je me transportai la nuit à Gimont que je trouvai tranquille, mais Touget et ses environs tout en feu ; des villages entiers sont abandonnés. J'en rendis compte à l'intendant le priant de vous passer ma lettre. Le matin, la terreur s'est renouvelée plus fort que jamais. Le tocsin se sonnait à plus de quatre lieues à la ronde. La ville de Lombez était sous les armes ; la ville de Samatan, de même, avec la différence qu'elle a osé commander aux villages de Labas, de Neilhan, de Labastide, de Cazaux, de Maurens et autres d'armer leurs communautés et se rendre tous à Samatan, ce qui a été exécuté avant que je l'aie sceu.

J'ay alors écrit aux maires que d'après ce que vous et M. l'intendant m'aviez fait savoir on pouvait être en toute seureté. J'ay défendu les tocsins et prises d'armes et enjoint aux maires et consuls de veiller, non pas à la sureté publique comme ils l'entendent, mais à la tranquillité et au repos public. J'en ai écrit autant à tous les villages, mais j'ay été peu obéi, car tout est sous les armes.

On n'a pas trouvé le maire de Samatan ; on m'a fait répondre qu'il était à la découverte des ennemis à la tête de sa cavallerie. C'est une risée que je n'aime pas et qui peut mener à bien, mais à beaucoup d'inconvénients.

Il est sept heures du soir, et j'entends de ma fenêtre une fusillade d'environ une trentaine de coups à Samatan, mais je suis très tranquille parce que le comte de La Tour, mon gendre, y est depuis midi. C'est un homme sage et prudent que j'y ai envoyer pour tout tranquiliser.

D'autre part, voici ce que le baron de Montesquieu écrivait de Gimont à M. d'Esparbès, à la date du 2 août :

Si l'on en croit M. et Mme Pins, il y a huit mille bandits à deux heures de Gimont, vers Touget ; c'est ce que l'on m'a dit ce soir.

Les bruits extravagants et propres à occasionner des désordres sont semés par des gens qui ont peur et qui voudraient une armée pour les garder. Puisque toutes les villes ont levé des compagnies, il me semble qu'elles ne doivent avoir rien à craindre.

Je vous prie, mon général, de ne pas vous laisser aller aux sollicitations que des trembleurs pourraient vous faire. Il n'y a sorte de ruse que l'on n'emploie pour vous en imposer sur la vérité des faits. Les contes de bonne femme s'accréditent avec une rapidité incroyable.

A Saint-Clar, on commence à s'inquiéter, s'il faut en croire un brave officier du régiment des "chasseurs de Flandre", en permission dans cette ville, et qui demande à son général s'il doit s'empresser de rentrer à son corps :

Mon général, écrit-il, M. Darquier, ancien maire en titre de cette ville (Saint-Clar), honnête et estimable citoyen qui vient d'en être fait premier consul, vient de me communiquer un avis qu'on lui donne d'Auvillars et qui avec juste raison lui donne des alarmes puisqu'on lui narre que quatre mille brigands ravagent les environs de Lauzerte. Je crois bien qu'on ne les a pas comptés. M. Darquier a l'honneur de vous en rendre compte ; je me joins à lui, mon général, puisque ce n'est que par vous que nous pouvons apprendre si nous avons quelque chose à craindre et les moyens qu'il faut employer pour protéger les citoyens ...

La ville d'Auch elle-même était dans l'anxiété. Le chef de la maréchaussée, M. d'Alliot, ne manqua pas de signaler ce fait à M. d'Esparbès :

Nous avons appris ce matin ! lui écrit-il, que la ville d'Agen était dans la consternation depuis jeudi matin (20 juillet). Elle a été avisée par un bourgeois de Villeneuve-sur-Lot qu'il y avait aux alentours environ neuf mille brigands. Si le fait était réel, ce qui ne paraît guère croyable, il ne serait pas indifférent de retenir ici le premier bataillon du régiment de Cambrésis dont le départ pour Gimont est fixé à lundi prochain.

Le 8 août, la panique durait encore assurément, car M. d'Alliot revint à la charge en s'appuyant sur les bruits d'invasion et en constatant l'affolement des esprits. Quatre jours après, le 12 août, il annonçait que le calme venait de renaître "grâce à la Gazette de France".

Filhol, dans ses Annales de la ville d'Auch, a consacré une ou deux pages "à la grande peur". Ces pages complètent fort heureusement les renseignements publiés par M. Forestié en ce qui concerne les effets de la grande peur dans l'antique capitale de la Gascogne. Il n'est donc pas inutile de les mettre sous les yeux du lecteur :

C'est cette année 1789, appelée par quelques-uns l'année de la peur, écrit Filhol, qu'une terreur panique s'empara de la ville et de toutes les campagnes environnantes. Le bruit courut tout à coup que trois cent mille brigands s'avançaient portant la désolation en tous lieux et mettant tout à feu et à sang.

On battit la générale. On cria : "Aux armes !" Tout le monde se porta devant l'hôtel de ville. Un régiment de grosse cavalerie qui y était en garnison s'y rendit aussi et se rangea en bataille. On se regardait les uns les autres. On était tout étonné.

Ce qui augmentait encore plus l'épouvante c'est l'arrivée de certains voyageurs qui disaient : "Nous sommes passés par tel endroit". Les uns venaient de l'Isle-Jourdain, les autres de Lectoure. "De tous côtés" disaient-ils, "on n'entend que le tocsin." Les gens devenaient fort sérieux. Ce qui confirmait ce que disaient ces voyageurs, c'est un homme qui vint du faubourg Saint-Pierre et qui dit que le bois de Bouconne était rempli de ces brigands et que l'on sonnait aussi partout.

Voilà l'effroi qui redouble : les mouvements augmentent. Mais le régiment de cavalerie ne paraissait pas s'émouvoir.

Quant à moi, quoique fort jeune, âgé de seize ans, réfléchissant sur ces brigands, je ne pouvais imaginer une formation si subite d'un corps de brigands aussi nombreux. La chose était possible, mais je pensais que cela  n'étais pas.

Il est bon d'observer que cet homme qui passa dans la rue Saint-Pierre à grande course de cheval s'en fut du côté de Pavie et de Masseube portant la terreur et l'épouvante dans toute cette contrée.

On entendit de suite le tocsin dans toutes les campagnes ; on courut aux armes ; chacun s'armait comme il pouvait. Cependant on en vit plusieurs se sauver dans les bois.

Certains abandonnaient leurs maisons ; d'autres, qui battaient le blé, abandonnaient les aires et, par leur exemple, que l'on voyait de loin, d'autres paysans prenaient aussi la fuite sans savoir ni pourquoi ni comment.

On peut se figurer combien grande devait être la peine de beaucoup de monde. Mais, au bout de tout cela, les brigands n'arrivèrent jamais. Ils étaient partout et ils n'étaient nulle part.

On fit de suite garde à Auch, nuit et jour. Le régiment de cavalerie en fit aussi.

On fit patrouille ; on poussa des reconnaissances, des découvertes bien loin ; on ne rencontra jamais de brigands, on ne vit personne.

Ce ne fut que le troisième jour qu'on s'aperçut qu'on était dupe. Alors chacun rentra chez soi. Il y eut beaucoup de monde de content.

Maintenant, on sait ce que c'était que ces brigands. C'était un coup qui partait de Paris. C'était un coup de théâtre joliment exécuté. On sait que c'est M. de Mirabeau qui en est l'auteur. C'était pour faire armer tout le monde, et on y réussit bien.

Les documents qui viennent d'être cités témoignent de l'effroi qui s'empara subitement des populations et de l'affolement qui poussa les habitants à prendre les armes et à marcher au-devant d'un ennemi inconnu. Si l'effet est connu, il reste à rechercher et à déterminer la cause de ce soulèvement spontané. On se demande comment un même sentiment de terreur envahit à la fois toute la France à une époque où les communications étaient si difficiles, où le télégraphe et le téléphone n'existaient pas plus que les rapides moyens de locomotion dont nous disposons aujourd'hui ?

Bulletin de la Société archéologique du Gers.

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