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La Maraîchine Normande
16 janvier 2013

LA CONSPIRATION DES ROBES DE CHAMBRE ♣ CHATEAU DE LA BALUE

A l'extrémité de St-Servan-sur-Mer, en bordure de la Grand'route qui va de St-Malo à Rennes, se dresse une grille monumentale, que flanquent à droite et à gauche un saut de loup et un pavillon carré. Cette grille conduit par une double avenue d'arbres au Château de la Balue.

Ce château date du XVIIIe siècle et a été bâti sur une terre noble qui s'appelait la Blinais. Il a la forme d'un quadrilatère. Sa terrasse, que gravit un double escalier de pierre, domine l'estuaire de la Rance, la côte de Dinard et la rade de St-Malo, tout près un phare de même nom, dont l'oeil de feu éclaire, le soir venu, le magique panorama.

Magon de la Blinais eut deux fils, l'un qui prit son nom et l'autre appelé Magon de la Balue. Ce dernier, en 1714, groupant onze de ses collègues autour de lui racheta la célèbre Compagnie des indes Orientales.

Lorsque vint à péricliter le commerce de mer, Magon de la Blinais, le constructeur du château dont nous venons de parler, acheta pour ses deux fils, place Vendôme à Paris, une grosse maison de crédit.

Alors ce fut la fièvre des affaires. Ce furent les grandes crises économiques. Le 3 mars 1770, au matin, se répandit jusqu'à la cour du roi, le bruit que les Magon fermaient leurs guichets. Mais, Choisy leur fit parvenir trois millions.

Un jour de l'an II de la République, les deux banquiers voyant se multiplier les iniques mesures contre la fortune privée, se décidèrent enfin à prendre de sagaces précautions.

- "Hâtez-vous ! On dit dans tout le quartier" venait de leur annoncer leur fidèle secrétaire, appelé Conreur, "que les caves de la maison Magon sont gorgées de barils d'or".

Alors ils convertirent une partie des fonds disponibles en 75.000 livres sterling déposées à la banque d'Angleterre. Avec le solde ils se procurèrent 1 800 000 francs d'assignats de 10.000 francs.

Mais qu'allait-on faire de tous ces papiers ? Où les cacher loin de l'oeil des patriotes ?

On est au soir, après souper. La famille Magon qui habite toute entière l'hôtel de la Place Vendôme au-dessus des bureaux de la banque, délibère gravement. Indiquons ici sa composition. Le chef de famille est Magon de la Blinais ; il a quatre vingt cinq ans. Il est tellement voûté que son menton paraît attaché à la poitrine. Même en la prenant à pleine main il ne peut plus lever la tête. Evidemment il n'est plus que de nom dans les affaires. Son cadet, Magon de la Balue, avait épousé la fille du Maréchal de Contades. Il est veuf. C'est un beau vieillard qui frise quatre vingts ans. Il est resté lucide et alerte, c'est lui qui dirige la maison de banque. La maîtresse de maison est sa fille la marquise de St Pern, dont la fille et le gendre, les époux Cornulier habitent aussi l'hospitalière demeure ; ces derniers ont trois enfants, on en attend un quatrième. Conreur, le secrétaire fidèle et dévoué, faisait également partie du conseil.

Il fut décidé que toute cette fortune en assignats serait partagée en deux lots, et, chacun de ces lots serait cousu entre la doublure et l'étoffe de la robe de chambre de Magon de la Balue et celle de Magon de la Blinais. Une femme de chambre fidèle aida à la besogne.

A peine était elle achevée, qu'une dénonciation faite à la section des Piques provoquant une visite domiciliaire. Elle n'amena pas la découverte des prétendus barils d'or qui gorgeaient la cave des banquiers malouins. Il en résulta un vif mécontentement qui décida l'arrestation de Magon de la Balue, Magon de la Blinais, Mme de St Pern, les époux Cornulier et le secrétaire le sieur Conreur.

La cause de ces arrestations était une plainte portée contre Magon de la Balue au Comité Révolutionnaire des Piques pour intelligence avec l'ennemi. Cette plainte précisait que ce banquier avait reçu en récompense de ses trahisons de fortes sommes que l'empereur d'Autriche lui avait fait remettre par la banque viennoise Fries et Cie.

La plainte émanait de deux dénonciateurs Héron, de St-Lunaire en Bretagne, et de Magenties, d'origine italienne.

Héron, ancien officier de la Marine Marchande, avait éprouvé les pires avanies financières et conjugales. Atteint du délire de la persécution, il s'était lancé à Paris dans la politique révolutionnaire et était entré au Comité de Salut public. L'éminent historien M. Lenôtre a conté ses mésaventures.

Quant à Magenties, il s'était évadé de la citadelle de Fiumes où il était interné, en sautant par une fenêtre. Il était tombé sur la tête et, à la suite de sa chute avait perdu la raison. C'était lui qui de toutes pièces avait imaginé les relations de Magon de la Balue avec l'Empereur d'Autriche. Son admission au Club des Jacobins avait suffi à donner du crédit à ses divagations.

La famille Magon, d'abord incarcérée à la maison du docteur Belhomme avait été bientôt transférée à celle du docteur Lemoine, rue des Amandiers.

Cette maison de santé transformée inopinément en maison d'arrêt, avait un aspect riant ; elle était tapissée de vignes et s'agrémentait d'un beau jardin.

Le conseil de Magon de la Balue était Berryer : je résume ici les souvenirs de l'illustre avocat.

Aussitôt connue l'arrestation de son client, Berryer alla trouver Hérault de Séchelles, Président de la Convention Nationale. Il était le neveu du Maréchal de Contades dont Magon de la Balue avait épousé la soeur.

Berryer fut accueilli avec une froideur glaciale par Hérault de Séchelles. Intervenir pour son oncle, c'était inutilement se compromettre. Il se contenta de donner deux lignes banales de recommandation pour son collègue, le farouche Dubarran qui était en même temps député à l'Assemblée Nationale et membre du Comité de Sûreté Générale.

Le citoyen Dubarran lui, n'accueillit pas seulement Berryer avec froideur mais avec la menace de le faire arrêter.

Le lendemain matin, Berryer reçut à son cabinet un étrange visiteur correctement vêtu. Il ne se fit pas connaître, exhiba trois passeports en blanc signés de Robespierre, Couthon, Carnot, Barrère et revêtus de tous les sceaux de la République.

"Je sais, dit-il, la somme que vos clients cachent dans leurs robes de chambre. Ils prendront sur cette somme 300.000 francs que je leur demande et, en échange, je te remettrai les trois passeports que voici. L'homme ajouta : Si tu tiens à ta vie, tu dois oublier l'existence de ces passeports pour tous autres que ton client. Va les porter, la prison te sera ouverte sans aucune difficulté. Je reviendrai demain à la même heure pour savoir la réponse. Et surtout, sois discret.

Dans la soirée, Berryer se rendit à la Maison Lemoine, où il était attendu. Deux guichets s'ouvrirent et il fut conduit à une pièce du premier étage où se trouvait Magon de la Balue. Il accueillit avec joie la visite de son conseil qui, minutieusement, lui expliqua son étrange mission. "Je n'accepte pas le marché, les passeports ne me serviraient à rien. On ne mettrait en liberté que pour m'arrêter une seconde fois. Toutefois, prenons l'avis de mon frère". Magon de la Blinais, que le geôlier consentit à aller chercher sans difficulté, ne fit que corroborer l'avis de son frère. "En acceptant leur compromis, déclara-t-il fièrement, nous aurions l'air de racheter une faute que nous n'aurions pas commise.

Alors Magon de la Balue, en prévision d'un malheur bien possible, pria Berryer de lui rendre un service.

Il était en retard, écrit Berryer, du paiement du salaire de plusieurs de ses gens. Il avait à quelques uns des capitaux qu'ils lui avaient confiés ... Il me pria en conséquence de faire venir chez moi son maître d'hôtel, le soir même, et de lui enjoindre de se retrouver le lendemain à l'entrée de la nuit, dans une vigne, au pied d'un pêcher qui se trouvait en-dessous de sa croisée. Il lui jetterait un paquet contenant les comptes de tous ses gens et les assignats nécessaires pour les solder. Je me suis exactement acquitté de la commission. Le voeu de Monsieur de la Balue pour tout son monde a été rempli, il s'agissait de plus de 80.000 francs.

Le mystérieux inconnu se présenta le lendemain matin comme il l'avait annoncé, au cabinet Berryer. Il savait l'inutilité des démarches faites par l'avocat, et se contenta de lui enjoindre de garder sa langue s'il tenait à sa vie.

Une semaine s'écoula. Etant entré dans un café, Berryer prit le "Journal de Paris", ouvert sur la table. Il y lut la condamnation à mort, par le Tribunal Révolutionnaire des conspirateurs Magon de la Blinais, la femme Saint Pern, le nommé Cornulier, son gendre, et ainsi que le nommé Conreur, secrétaire de Magon de la Balue. En raison de l'état de grossesse de la femme Cornulier, l'arrêt qui la condamnait également à mort, ordonnait qu'il serait sursi à l'exécution de la peine. De la conciergerie, elle fut transférée à un hospice qu'on avait ouvert près l'Hôtel Dieu. Elle y trouva la Duchesse de Saint-Vinan et différentes autres dames dans la même situation.

En exécution de la loi, les scellés avaient été apposés à l'hôtel de la place Vendôme, aussitôt l'arrestation de ses habitants. Héron avait été nommé liquidateur. C'était une belle affaire.

Les trois jeunes gens de Madame de Cornulier furent jetés sur le pavé avec toute la domesticité de la famille. Une servante infiniment dévouée recueillit les trois enfants à l'abandon. Pendant plusieurs mois, elle leur servit de mère, vendant jusqu'à ses effets, pour assurer leur subsistance. "De toutes les cruautés accumulées par le régime de la terreur, dit Berryer, la plus révoltante à mes yeux, la plus inattendue, la plus tragique fut celle du vénérable Monsieur Magon de la Balue et de tous les siens. Je ne crois pas qu'il y ait rien à lui comparer pour la lâcheté, pour l'originalité des incidents et des situations, pour l'atrocité du dénouement."

Or Berryer n'a connu que le premier acte de l'ignoble tragédie. Le second, non moins atroce, se déroula à Saint-Malo où depuis des années, la famille Magon s'était multipliée et jouissait par sa situation sociale d'une haute considération. Il y avait aussi les Magon de la Ville-Huchet, de Saint Hélier, de la Lande, de la Giclais, de Clos Doré, de la Vieuxville, de Coelizac.

Principalement depuis le 23 décembre 1793, date de l'arrivée du Proconsul J.B. le Carpentier, la Cité corsaire vivait dans l'épouvante. Partisan de la dépopulation de la France, il s'empressa de donner une liste des plus honorables Malouins qu'il expédia par charrettes au tribunal révolutionnaire de Paris. Les infortunés furent guillotinés le 20 juin 1794.

Parmi eux se trouvaient Jean-Baptiste Magon de Coetizac, sa mère née Hélène Gardin et Nicole Magon de la Ville Huchet. En tête des griefs relevés contre eux figurait leur fortune. J.-B. Magon de Coetizac n'avait que 17 ans. En réalité il avait été arrêté par erreur en place de son père.

Sur une autre liste composée de jeunes fédéralistes, ont été joint encore deux membres de la famille Magon. Le Marquis de St Pern et Frédéric de Coëtizac dont le fils et la femme avait déjà été guillotinés. La mort de Robespierre leur sauva la vie.

Cette mort rendit aussi la liberté à Madame de Cornulier. Elle retrouva ses jeunes enfants et, jusqu'à sa mort combla de bienfaits la fidèle servante qui en avait pris soin.

L'adjudication du château de la Balue eut lieu en l'étude de Me Bourdet, notaire à St-Malo le 9 ventôse an XIII. Il fut adjugé pour 44.200 francs au sieur Ferdinand Lemême. Celui-ci s'étant ruiné dans les armements, son château qu'on appelait alors populairement, château de la Balue, fut mis une fois de plus en vente. Il fut alors adjugé à Mme de Gastaldi, épouse du Comte Frédéric de Châteaubriand, celui-ci était le fils d'Armand surnommé "l'Ami des Vagues" et fusillé en qualité de courrier des Princes sur la place de Grenelle le Vendredi Saint de l'année 1809.

Depuis lors le château de la Balue a passé en différentes mains, mais a conservé son nom d'autrefois, évocateur de tout un tragique passé.

Aux archives départementales d'Ille-et-Vilaine se trouvent les livres de Commerce qui rappellent l'opulence quasi fabuleuse de la Maison Magon de la Balue. Ils ont fourni les renseignements les plus précieux sur notre commerce de mer au XVIIIe siècle.

A Saint-Malo, la probité, autour de la fortune des Magon était restée proverbiale. En hiver au coin du feu, nos aïeules nous racontaient des histoires de la révolution. Parmi les plus belles et les plus émouvantes était celle qu'elles appelaient : la Conspiration des robes de chambre.

E. HERPIN

Annales de la Société historique et archéologique

de l'arrondissement de Saint-Malo

1934

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