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La Maraîchine Normande
6 janvier 2013

MARIE NORMAND ♣ UN JUGEMENT DE 1794

 

UN JUGEMENT DE 1794

Il me semble, pour l'histoire de notre Bretagne pendant la Révolution, de recueillir tous les faits, inédits jusqu'ici, capables de jeter un grand jour sur ces temps malheureux. Parmi ces faits, il y en a qui sont particulièrement instructifs et qu'il est bon de nous remettre sous les yeux. Dieu veuille éloigner de nous pour toujours ce nos pères ont vu et souffert ! Le meilleur moyen de nous soustraire à de pareils maux, c'est sans doute de méditer les actes d'iniquité profonde qui furent accomplis et de nous attacher aux principes d'ordre et de vertu qui donnent la stabilité aux sociétés politiques et religieuses.

Voici un jugement qui frappa une bonne et pieuse femme de nos campagnes, pour avoir eu le tort d'exercer l'hospitalité envers un prêtre fidèle aux devoirs les plus essentiels du Christianisme. Tous deux sans doute ils agissaient contre les prescriptions de la loi ; mais une loi inique peut-elle atteindre les droits impérieux de la conscience ? Le Christianisme peut-il être un crime ? Le Sauveur du monde et ses premiers disciples furent aussi condamnés pour avoir enfreint la loi ; mais leurs juges et leurs bourreaux ont reçu de la conscience universelle la flétrissure qu'ils méritaient, heureusement pour nous, car au lieu de la civilisation, nous aurions ou la barbarie ou la corruption grecque et romaine retournée.

J'entre dans une discussion inutile ; voici l'acte qui ferait naître bien d'autres pensées, surtout quand on sait que cette législation fut mise à exécution sur toute la surface de la France pendant plusieurs années.

"Au nom du peuple français :

Jugement du Tribunal criminel du département du Morbihan, séant à Lorient, qui condamne à la déportation à vie et à la confiscation de ses biens, Marie Normand, veuve Codard, de Malensac, district de Rochefort, département du Morbihan, convaincue d'avoir, au mépris de la loi, recélé des prêtres réfractaires.

Du premier pluviôse l'an II de la République française, une et indivisible,

Audience du Tribunal criminel du département du Morbihan, séant à Lorient, où étaient présents les citoyens J.-M. Raoul, président ; J. Néron, J. Lefur, A.-M. Brullé, juges,

François Marion, accusateur public, poursuivant en vertu de la plainte du 30 nivôse. Contre :

Marie Normand, veuve de François Codard, domiciliée de la commune de Malensac, district de Rochefort, en ce département.

Vu par le Tribunal criminel du département du Morbihan, séant à Lorient, la plainte adressée le jour d'hier, par l'accusateur public, de laquelle il résulte que ledit jour il a été déposé, au greffe du Tribunal, plusieurs effets servant au costume ecclésiastique ; un procès-verbal dressé par les officiers et gendarmes de la brigade de Rochefort, portant que les dits effets ont été trouvés chez Marie Normand, veuve Codard, de Malensac, laquelle, maintenant détenue en la maison du Tribunal, est prévenue d'avoir, au mépris de la loi, donné asile à des prêtres réfractaires ; - requérant ledit accusateur public qu'il soit procédé à l'audition de l'accusée et à son jugement, conformément à la loi du 30 vendémiaire dernier.

Vu le procès-verbal du 24 nivôse (15 janvier 1794) rapporté par les officiers et gendarmes de la brigade de Rochefort, portant que, sur les indications à eux données, que Marie Normand, veuve Codard, recélait journellement des prêtres réfractaires et qu'on disait la messe dans une chambre de sa maison, ils se sont rendus chez l'accusée pour vérifier les faits ; qu'arrivés à ladite demeure, deux hommes prirent la fuite quand ils les aperçurent ; qu'entrés chez Marie Normand et montés dans la chambre désignée, ils ont trouvé, dans un coffre, des livres ecclésiastiques, deux petites boîtes en étain dans lesquelles il y a du coton graisseux ; quatre bouts de cierges, des lettres de prêtrise portant le nom de Huel ; une soutane, une boîte de fer blanc dans laquelle il y avait du pain à chant ; dans une armoire, placée dans la même chambre, un calice avec sa patène en argent ; un missel, une grande ardoise carrée enveloppée de linge, une aube et une bouteille de vin blanc, et enfin tout le costume ecclésiastique ; que dans la même chambre ils ont en outre remarqué un grand coffre avec un marchepied, et sur ledit coffre un grand crucifix, le tout dressé en forme d'autel ; qu'ayant interpellé ladite veuve Codard de déclarer à qui appartenaient lesdits effets et pourquoi ils étaient chez elle, ses réponses insignifiantes et évasives déterminèrent lesdits gendarmes à l'arrêter.

Vu pareillement l'interrogatoire de l'accusée, subi ce jour à la barre du Tribunal, duquel il résulte que ladite veuve Codard a répondu tantôt d'une manière vague sur les interpellations qui lui ont été faites, tantôt a refusé de répondre ;

L'accusateur public entendu dans ses conclusions, le Tribunal, vu le procès-verbal sus-daté, les interrogatoires de l'accusée, et après en avoir délibéré,

déclare

1° qu'il est constant que Marie Normand, veuve Codard, recélait chez des prêtres réfractaires,

2° qu'il est constant qu'on a trouvé chez elle les effets propres au service et aux fonctions ecclésiastiques,

3° qu'il est constant que le silence de l'accusée, sur les différentes interpellations qui lui ont été faites dans les interrogatoires, est le résultat de son fanatisme et la preuve de son délit.

En conséquence, le Tribunal condamne à la peine de la déportation à vie ladite Marie Normand, veuve Codard, et déclare ses biens, si aucuns elle a, confisqués au profit de la République : le tout en exécution des articles 14 et 19 de la loi du 30 vendémiaire dernier, qui ont été lus et portent ;

ART. 14 - Tout citoyen, qui recélera quelqu'un condamné à la déportation, subira la même peine

ART. 19 - La déportation, la réclusion et la peine de mort prononcées d'après les dispositions de la présente loi, emporteront la confiscation des biens.

Ordonne le Tribunal que le présent jugement sera mis à exécution à la diligence de l'accusateur public ; imprimé et affiché dans toutes les communes du département ; que des copies collationnées en seront adressées au Comité de sûreté générale de la Convention nationale, au ministre de la justice, à l'administrateur des domaines nationaux, à l'agent national du district de Rochefort, à la municipalité de Malensac, et que le calice et sa patène, et autres effets propres à être employés au service de la République soient remis à l'agent national du district d'Hennebont, qui en donnera un reçu pour décharge au greffe.

Fait et prononcé à l'accusée dans la salle du Tribunal criminel, lesdits jour et an que dessus, et ont signé au registre : J.-M. Raoul, président, J. Néron, J. Lefur, A.-M. Brullé, juges ; Hervo, greffier.

Au nom de la République, il est ordonné à tous huissiers sur ce requis de mettre le présent jugement à exécution ; à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main forte, lorsqu'ils en seront loyalement requis ; et en fin de quoi le présent jugement a été signé par le président du Tribunal et par le greffier,

J.-M. RAOUL, président ; HERVO, greffier."

Ainsi, le 15 janvier 1794, les gendarmes, grâce à des délations, tombent dans la demeure de Marie Normand, veuve Codard ; ils dressent un procès-verbal, ils saisissent l'inculpée et la mènent à Lorient. On ne prend nulle autre information, on n'entend aucuns témoins, il n'y a pas mention de défense, et une sentence de déportation et de confiscation de biens est prononcée cinq jours après l'arrestation ! Le motif ? Une bonne chrétienne exerce les devoirs de l'hospitalité envers un prêtre fidèle aux engagements les plus sacrés du Catholicisme !

Telle était la justice sommaire et équitable de ce temps-là ! C'est la Révolution qui seule a de pareilles mesures à sa disposition, et que des hommes trompés ou méchants ne cessent de nous vanter ! Sans doute le Christianisme est ami du progrès, puisque tout ce qu'il y a de bon dans notre civilisation en découle ; mais le progrès dans le désordre, le Christianisme ne peut en vouloir, et voilà pourquoi toujours la Révolution s'attaque à lui et surtout à l'Eglise, et à tout ce qui la représente, parce qu'elle tient immuablement au dépôt immuable que lui a confié le Sauveur du monde.

L'abbé PIÉDERRIERE

REVUE DE BRETAGNE ET DE VENDEE (Vannes)

1859

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