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La Maraîchine Normande
2 janvier 2013

ESPRIT LHOMME ♣ LA BOISSIERE-DE-MONTAIGU

La famille Lhomme, originaire du Lion d'Angers, est venue se fixer en Vendée, à Asson, de la Boissière-de-Montaigu, vers l'an 1700.

Esprit Lhomme, notre héros, naquit à la Boissière-de-Montaigu, du mariage de Mathurin Lhomme, sacristain, instituteur et notaire royal, et de Marie-Françoise Arnauld. Pendant la tempête révolutionnaire qui secouait la France comme un roseau, Mathurin Lhomme fut pour la Boissière une sorte de providence, et lui épargna bien des maux par sa situation, son savoir-faire et son esprit de modération. En 1792, le curé et le vicaire quittent la paroisse après avoir refusé de prêter le serment à la Constitution civile du Clergé. Cette même année, on trouve dans les registres paroissiaux de la Boissière un acte de baptême écrit et signé par Mathurin Lhomme. Il s'agit, sans doute, d'un enfant qu'on lui avait apporté pour qu'il lui conférât le baptême, les ministres ordinaires du sacrement étant absents. Ce fait donne la mesure de la considération dont jouissait, à la Boissière, celui qui nous occupe.

Encore un intérieur, que celui de Mathurin Lhomme, où présidait le christianisme le plus pur. Esprit Lhomme était le dixième enfant de la famille. Il était né le 1er décembre 1792. Déjà, les alertes, les persécutions et les massacres avaient commencé, à la Boissière et ailleurs. Une nuit, Mathurin Lhomme et son épouse durent, en toute hâte, quitter leur demeure et gagner la campagne. Esprit Lhomme vint au monde dans une de ces cachettes mystérieures, formées jadis par les épais et gigantesques genêts du Bocage.

Il avait à peine atteint sa première année, quand un jour, retentit encore dans le bourg de la Boissière ce cri de terreur : Voilà les Bleus ! Le père et la mère d'Esprit mettent en sûreté leurs objets les plus précieux, puis, comptant l'un sur l'autre pour prendre l'enfant dans son berceau, s'enfuient précipitamment, l'épouse précédant l'époux d'une centaine de mètres. Ils se rejoignent au Pont-du-Chêne, à quelque distance du bourg, et constatent avec stupeur qu'ils ont laissé l'enfant. Alors le pauvre père, fou de douleur et superbe de dévouement, retourne vers la maison sans s'occuper des balles qui sifflent à droite et à gauche. Au bout de dix minutes, il reparaît avec l'enfant, qu'il remet à la mère plus morte que vive. Puis, avec leur précieux fardeau, les pauvres parents courent demander asile à quelque ferme hospitalière.

Lors de cette invasion des Bleus dans le bourg de la Boissière, une soeur d'Esprit Lhomme, Marie-Julie, âgée de treize ans, perd les traces de ses parents et s'enfuit avec un certain nombre de femmes et de jeunes filles. Mais le groupe est rejoint par les bourreaux et placé sous bonne garde. A la nuit, leur pillage terminé, les infâmes alignent leurs prisonnières dans le cimetière, alors situé autour de l'église. Quelques secondes avant la décharge, Marie-Julie, soit frayeur, soit stratagème - les deux étaient bien permis ! - se laisse glisser à terre. Sans blessure, à côté des morts et des mourants, elle attend, muette et immobile, le départ des assassins. Au bout de quelques heures, elle se lève, elle erre longtemps dans la campagne, elle frappe à la porte d'une métairie et a le bonheur de tomber dans les bras de son père et de sa mère.

Avec les deux faits précédents, relatifs à la Boissière, Esprit Lhomme aimait à raconter l'épisode suivant, relatif à Chauché. A la fin de 1793, un missionnaire de Saint-Laurent, venant de Saint-Fulgent et allant s'embarquer aux Sables, à destination de l'Espagne, fait halte dans la première maison du bourg de Chauché, chez X Erieau, aubergiste et forgeron. Sachant où il est, il se fait connaître. Mais il était à peine entré qu'entrait aussi une mégère dont la maison faisait face à celle d'Érieau, qui s'imposait souvent à l'auberge et qu'on subissait de peur d'un plus grand mal. Habillée en homme, toujours l'épée au côté, toujours buvant sec et sacrant ferme, elle semblait une furie voulant dénoncer et faire guillotiner tous les honnêtes gens. Elle essaie de faire causer le nouveau venu, et, à sa réserve, à ses mains blanches, elle flaire un prêtre, un noble, tout au moins un ennemi de la république. Elle somme l'aubergiste d'envoyer quérir le syndic pour interroger cet homme. Érieau fait un signe d'intelligence à sa femme qui se dirige vers la maison de Jean-François Renolleau. On pense bien que le complot fut vite arrêté entre la messagère et le père de Jacques Renolleau. Le syndic remet à la femme d'Érieau les papiers d'un tailleurs d'habits, tué dans une récente bataille. Ils arrivent à l'auberge, et pendant que Jean-François Renolleau attire la citoyenne hors de la maison, sous prétexte d'aviser confidentiellement dans un cas si grave, l'épouse d'Érieau remet au missionnaire les précieux papiers. On rentre, l'interrogatoire commence d'un ton féroce, l'étranger reste calme et montre sa feuille d'identité. Désappointement de la Chevy, qui sort en écumant de rage. Avec la ruse du diable, elle devine la pieuse fraude, elle monte à cheval pour aller requérir la maréchaussée des Éssarts. Une heure après, la police fait irruption dans le débit de vin. Mais aussitôt après le départ de la mégère, on avait conseillé au prêtre de partir immédiatement par la route de Saint-Denys. Où est l'étranger ? hurle le commandant. - Parti, il y a cinq minutes, par la route des Brouzils ! répond Érieau. Rage et imprécations dans la troupe. On vide goulument plusieurs bouteilles, et la maréchaussée et sa harpie se précipitent à bride battue sur le chemin des Brouzils ...

 

 

Ces digressions faites, pour recueillir des souvenirs intéressants et transmis par Esprit Lhomme, nous revenons à lui au moment où il sort de l'enfance. Il apprend le métier de forgeron. En 1810, il quitte la Boissière et vient à Chauché pour y exercer sa profession. Lors de sa dix-huitième année, Esprit Lhomme, d'une stature ordinaire, portait une chevelure noire et abondante, encadrant ce visage plein, discrètement rosé, sympathique, qui frappe si facilement dans la race angevine. Son genre de travail avait avantageusement développé les forces de son corps.

Le jeune homme se marie en 1812, à Victoire Érieau, fille de François Érieau et de Jeanne Renolleau, et cousine germaine de Jacques Renolleau. A dater de cette union, les familles Lhomme et Renolleau sont apparentées ; elles étaient dignes l'une de l'autre par la noblesse des sentiments et le dévouement aux grandes causes.

Quand à Esprit Lhomme, né, grandi au milieu des persécutions contre l'autel et le trône, il avait trouvé dans ces persécutions même une augmentation de l'attachement que lui avaient tout d'abord donné les auteurs de ses jours pour Dieu et le Roi. Ses sentiments politiques étaient si arborés et si connus que lors de la première Restauration, il obtint facilement la décoration du Lis. Comme celui de Jacques Renolleau, le titre, délivré au nom du roi, à Bourbon-Vendée, le 6 juillet de l'an de grâce 1814, est signé : le comte de Suzannet, commandeur de l'ordre de Saint-Louis.

Il eut bientôt l'occasion de faire passer ses sentiments dans la pratique. Napoléon est rentré en France depuis le 21 mars 1815. On parle d'une levée en masse de la Vendée contre l'évadé de l'île d'Elbe. Comme les armes pourront manquer aux gars de Chauché, Esprit Lhomme commence immédiatement, dans sa forge, à fondre des balles, à fabriquer des faux et des fourches. Il travaille sans repos ni trève, et le voyageur qui, à cette époque, aurait traversé les rues de Chauché pendant la nuit, aurait entendu le maître et les ouvriers faisant résonner le marteau ou grincer la lime. Au milieu du mois de mai, la cloche de l'antique beffroi se fait entendre, retentissante comme l'appel de la patrie en danger. Sous les ordres de Puytesson, Esprit Lhomme part en qualité de sergent-major, avec le lieutenant Jacques Renolleau, Joseph Audureau, Pierre Maindron, Loiret, Rezeau et les autres : nous avons dit qu'ils étaient cent soixante. A quelque distance du Pas-Optons, dans la mêlée furieuse qui eut lieu au Pont-de-Salmon, une balle ennemie effleure assez profondément la tête d'Esprit Lhomme, et lui fait une blessure d'où le sang s'échappe avec abondance. Au même instant, un autre projectile traverse le pantalon de Joseph Audureau, son ami, qui combattait près de lui, et qui, plus tard, devait unir deux de ses filles à deux des fils d'Esprit Lhomme. Ce dernier alla faire soigner sa blessure à Aizenay, mais, sa vie durant, il en garda la glorieuse marque. - Nous avons donné le résultat de cette campagne : Napoléon tombe à Waterloo, l'ère de paix se lève de nouveau pour la France, les Vendéens rentrent dans leurs foyers.

Est-il besoin de dire qu'Esprit Lhomme souffrit beaucoup de son inaction en 1832, comme Jacques Renolleau, comme les autres vieux lutteurs de 1793 et de 1815, comme nombre de jeunes hommes de Chauché, où la légitimité a toujours compté des défenseurs résolus ? On sut à Chauché la présence de l'héroïque duchesse de Berry au Meslier ; on attendait en frémissant d'impatience le jour de la prise d'armes, le 24 mai. Le contre-ordre qui la repoussait au 4 juin jeta dans la Vendée et les autres départements insurgés des malentendus et des discussions qui amenèrent un échec complet : il n'y eut que quelques soulèvements partiels. Eût-on réussi sans le contre-ordre ? Rien ne le prouve. Le gouvernement de Louis-Philippe, gardant pour la religion le respect extérieur, l'insurrection apparaissait, comme en 1815, avec un mobile politique simplement, et c'était trop peu pour faire marcher des gens catholiques avant tout. Mais la première cause de l'insurrection fut, comme par le passé, la division des chefs du mouvement. Finalement, Madame, cachée à Nantes, fut trahie et livrée par Deutz, en Juin, un descendant de Judas et un aïeul de Dreyfus. Incarcérée d'abord au château de Blaye, la mère d'Henri V fut mise en liberté huit mois après et se réfugia à Palerme.

Après les évènements de 1832, Esprit Lhomme refoule ses ardeurs guerrières et poursuit sa vie dans le calme. Il a fait de Chauché sa seconde, ou plutôt sa véritable patrie, car il aime son pays de toute l'ardeur de son âme. Il y partage ses moments entre sa famille et les occupations de son métier. Doué d'une voix remarquable, par un heureux mélange de force, de douceur et de piété, il accepte, sous le vénérable M. Libaudière, de diriger gratuitement le second choeur du lutrin paroissial, qui eut, à cette époque, une certaine renommée. Martineau, le premier chantre était également bien doué. Cet organe remarquable, Esprit Lhomme le légua, avec ses trois nuances, à trois de ses enfants : au curé de la Chaize-le-Vicomte, au curé de Jacmel (Haïti), à Esprit Lhomme, actuellement chantre à Chauché, avec ses quatre-vingt-cinq années de parfait christianisme et de parfaite honorabilité ...

La dernière maladie d'Esprit Lhomme fut courte. Il chantait encore la grand'messe, le dimanche qui précéda sa mort. Il s'endormit dans le Seigneur, dans sa soixante-quinzième année, gardant jusqu'au bout ses deux grands cultes, en laissant une mémoire honorée et bénie de tous. De lui, comme de son cousin, Jacques Renolleau, on peut dire : Corpora ipsorum in pace sepulta sunt et nomen corum vivit (Eccli. 44-14). Ces hommes forts, trempés dans le grand lac de l'épreuve révolutionnaire, ces hommes au caractère de fer dans les choses de religion et d'honneur, ne meurent pas avec leur mort ...

En terminant, je ne puis résister au désir d'ajouter aux gloires militaires de Jacques Renolleau et d'Esprit Lhomme leurs gloires religieuses. Voici les membres de leur commune famille qui se sont donnés à l'Église depuis la révolution :

- Alexis Renolleau, décédé diacre et professeur au Séminaire de Chavagnes-en-Paillers, en 1825 ;

- Marie-Pierre Renolleau, chanoine honoraire de la Rochelle, décédé curé de Sainte-Cécile, en 1828 ;

- François Érieau, ancien curé de Lauderonde, décédé à Chauché, en 1852 ;

- Amélie Renolleau, en religion soeur Saint-Raphaël, des Ursulines de Chavagnes-en-Paillers, décédé à Chavagnes, en 1862 ;

- Jean Érieau, décédé curé du Bourg-sous-la-Roche, en 1869 ;

- Victor Renolleau, décédé curé de Menomblet, en 1870 ;

- Henri-Armand Renolleau, ancien curé de Saint-Hilaire-de-Talmont, décédé à Chauché en 1877 ;

- Théodore Lhomme, décédé curé de la Chaize-le-Vicomte, en 1882 ;

- Eugène Lhomme, décédé curé de Jacmel (Haïti), en 1889 ;

- Marie Lhomme, en religion soeur Marie-du-Saint-Esprit, des religieuses des S.S. de Mormaison, supérieure locale à Saint-Gervais ;

- Joseph Lhomme, curé de Chavagnes-les-Redoux ;

- Joseph Renolleau, aumônier des Frères, aux Sables-d'Olonne ;

- Ferdinand Renolleau, en religion frère Pierre-Chysologue, des Frères de Saint-Laurent-sur-Sèvre, en fondation au pensionnat de Sourds-Muets et d'Aveugles, à Bouchin-Lille ;

- Charles Lhomme, curé de Benet ;

- Eugène Lhomme, curé de Saint-Maurice-des-Noues ;

Depuis le commencement du siècle, Chauché a donné vingt-deux prêtres, dont douze issus de la lignée Renolleau-Lhomme. Les autres ecclésiastiques originaires de Chauché sont :

- M. You, décédé curé de Sigournais ;

- M. Rassinous, des PP. des Chavagnes, décédé à Fontenay-le-Comte ;

- M. Charles Audureau, ancien curé de Saint-Michel-le-Cloucq, prêtre habitué à Chauché ;

- M. Flavien Martineau, prêtre de Saint-Sulpice, décédé curé de N.-D. de Montréal (Canada), en 1887 ;

- M. Henri Baty, curé du Givre ;

- M. Joseph Bordron, passioniste, en résidence à Bukarest (Valachie) ;

- M. Théophile Bouteau, des PP. de Saint-Laurent-sur-Sèvre ;

- M. Stanislas Guilbaud, prêtre habitué à la Copechanière ;

- M. Joseph Pilard, curé de la Bruffière ;

- M. Joseph Martineau, curé de Saint-Juire-Champgillon.

Salut à toi, terre de Chauché ! Nequaqaam minima es in principibus Juda !

J.J. RELHO.

Paris, novembre 1899

La Vendée Historique

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Commentaires
A
Un grand merci pour avoir transmis l'histoire de cet homme remarquable. Je serais intéressé d'en savoir plus sur Esprit LHOMME ainsi que sur son ami Joseph AUDUREAU, mon homonyme et peut-être ancêtre.
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La Maraîchine Normande
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