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La Maraîchine Normande
2 janvier 2013

RIVALITÉS DE BOURGS ET CONFLITS DE PARTIS DANS LES MAUGES DE 1789 A 1793

S'il est vrai que le mouvement insurrectionnel de 1793 eut tôt fait d'éliminer toute trace d'opposition dans le territoire où il prit naissance, il n'en faut pas conclure, qu'à l'origine, la Vendée fut unanime. C'est au contraire l'existence avérée dans toutes les paroisses de deux factions rivales, "patriote" et "aristocrate" qui explique en partie la violence de la rébellion.

Nous connaissons bien le conflit qui opposa les villes des Mauges, bastions avancés de la Révolution, et le monde rural environnant. De nombreux historiens nous ont montré comment ces villes s'efforcèrent, avec plus d'obstination que de succès, de faire pénétrer l'ordre nouveau dans le Bocage et avec quelle ardeur les rebelles déferlèrent sur elles aux premiers jours de l'insurrection. Mais on n'a pas accordé, semble-t-il, une attention suffisante à la lutte qui mit aux prises les patriotes des bourgs commerciaux et industriels et la population des campagnes environnantes. C'est à peine si on a remarqué la rivalité, objet de la présente étude, qui dressa les uns contre les autres ces bourgs voisins et ennemis.

Ces conflits, sous la triple forme qu'ils revêtirent, sont pourtant riches d'enseignements. S'ils infirment, dans une certaine mesure, la thèse d'une insurrection spontanée et unanime, ils permettent, en revanche, de comprendre pourquoi la tension ne cessa de croître dans tout le territoire des Mauges et comment les "aristocrates" furent conduits, en dehors de tout complot organisé, à des actes insurrectionnels en apparence concertés.

Conflits idéologiques sans doute, reflétant la divergence des attitudes et des options en face des problèmes posés par la Révolution ; mais c'est transposés en luttes partisanes pour la conquête du pouvoir local qu'ils se manifestent souvent au regard de l'historien

 

♣♣♣

 

 

Dès le début de la Révolution, le remaniement des circonscriptions administratives fut, pour les paroisses, et d'abord pour les plus importantes, l'occasion de nombreuses contestations. Ne vit-on pas Angers se chamailler avec Saumur pour l'attribution du chef-lieu du département ? Et Saint-Florent disputer le siège du district, puis du tribunal, à Beaupréau, traité de "pot-de-chambre des Mauges" et de "cloaque" ? Non contentes d'exalter leurs mérites, ces localités n'hésitaient pas, comme on voit, à calomnier leurs concurrentes pour appuyer leurs prétentions.

Quant aux petites paroisses, elles s'efforcèrent, soit de devenir chefs-lieux de canton, ou tout simplement de conserver leur existence indépendante. C'est ainsi que Saint-Martin-de-Beaupréau s'éleva en termes énergiques contre une éventuelle annexion par la cité voisine ; que Nueil-sous-Passavant tourna en dérision les prétentions de Passavant à la suprématie ; qu'Étiau accusa Le Champ de vouloir s'agrandir à ses dépens. Voici en quels termes amers Joué, bourg jumeau d'Étiau, concluait un long mémoire contre le projet qui prévoyait sa réunion à Gonnord : "Quel triomphe pour quelques-uns de ses voisins et de ses ennemis inhumains, jaloux et ambitieux et quelle honte pour elle, et quelle confusion, quelle tristesse et quelle douleur ! En un mot, le bourg ne sera plus qu'un hameau ou un désert sans travail, sans argent et sans commerce et réduit à la dernière extrémité ..."

Joué et les autres paroisses pensaient apparemment qu'il y allait de leur prestige et de leur prospérité dans cette compétition pour la possession des organes inférieurs de l'administration.

Mais la réforme qui suscita les plus vives animosités fut la fermeture des églises "superflues". Cette mesure, qui se rattachait à un plan général d'allègement et de simplification de l'organisation ecclésiastique, avait aussi pour but de limiter l'influence des prêtres réfractaires et de réduite le nombre de prêtres constitutionnels qu'il fallait leur substituer. En outre, elle fut souvent le signe le plus concret, pour des bourgs et des villages jusque là indépendants, de leur incorporation dans une plus vaste paroisse. Nombre de localités menacées, parmi lesquelles Cernusson, Les Cerqueux-de-Maulévrier, Cossé, Le Marilais, La Seguinière, ne manquèrent pas, naturellement, de protester, en termes souvent peu amènes pour leurs rivales s'attirant, parfois, de vives répliques, comme il arriva entre Saint-Just et Saint-Pierre-des-Verchers. C'est d'ailleurs pour veiller à l'exécution de la fermeture des églises jugées en surnombre et pour mener à bien la tâche encore plus délicate d'enlever de ces églises leurs cloches et leurs ornements, que le département du Maine-et-Loire envoya en tournée dans les Mauges deux de ses membres les plus influents, Villiers et Larevellière-Lépeaux. Ils purent constater, dans nombre de localités, que les habitants étaient indignés par une mesure qu'ils considéraient comme une brimade pour eux et une faveur pour leurs voisins.

Dans la plupart des cas mentionnés, ci-dessus, le désaccord n'exprima guère que les sentiments de jalousie habituels aux bourgs et aux villages à l'égard de leurs voisins. Sa portée fut autre dans l'éventualité où l'un des bourgs se trouva hostile, et l'autre plus ou moins favorable au nouveau régime. Cessant alors de porter seulement sur l'emplacement du chef-lieu, la querelle s'amplifia jusqu'à mettre en cause les principes mêmes de la Révolution. Les options politiques et l'esprit de clocher se renforcèrent mutuellement.

 

 

Tel fut le cas de Landemont, par exemple. Les deux bourgs de Landemont et de Saint-Sauveur-de-Landemont sont situés non loin de la rive gauche de la Loire, à la limite de la Bretagne et de l'Anjou. On avait d'abord pensé, bien que Landemont se fut montré, dans l'ensemble, plus accueillant à l'ordre nouveau, faire de Saint-Sauveur le siège de la nouvelle administration englobant les deux bourgs. Dans une lettre du mois d'avril 1790, les officiers municipaux de Saint-Sauveur décrient les titres invoqués par Landemont pour devenir le chef-lieu. La préférence ayant toutefois été donnée à cette dernière localité, il fut décidé que l'église de Saint-Sauveur serait fermée. Cette mesure provoqua aussitôt une grande agitation dans le bourg sacrifié et s'y heurta à la résistance organisée d'un groupe de métayers et d'artisans, parmi lesquels on remarquait le tailleur Bricaud et les paysans Terrien, Guitton et Moreau. L'enrôlement dans la Garde Nationale étant alors considéré dans les Mauges comme un gage de ralliement à la Révolution, on jugea des sentiments politiques des habitants de Saint-Sauveur au fait suivant l ils s'abstinrent tous d'accomplir cette formalité avant les élections de 1791 et ne s'y résignèrent que lorsque la municipalité de Landemont eut décidé de n'admettre aux urnes que les citoyens inscrits sur les rôles de la Garde Nationale.

Le même groupe incita les prêtres réfractaires à célébrer la messe à Saint-Sauveur et fit chasser le constitutionnel, que les patriotes de Landemont, conduits par le notaire Papin, avaient auparavant persuadé de s'installer dans la paroisse et qu'ils s'efforcèrent d'y ramener après son expulsion. En novembre 1791, les habitants de Saint-Sauveur, protestant à nouveau contre la fermeture de leur église, allèrent jusqu'à sonner le tocsin et à s'assurer de la personne du maire, qu'ils gardèrent quelques jours en détention. Laréveillère-Lépeaux lui-même jugea plus prudent de surseoir à l'enlèvement des ornements et des cloches de Saint-Sauveur et n'accomplit sa mission qu'à la fin de janvier 1792, après avoir appelé des troupes d'Ancenis.

Il n'est donc pas surprenant que le premier geste des rebelles de la paroisse, en mars 1793, avant même de se mettre en route pour aller "prendre le district" de Clisson, ait été d'enlever la cloche de l'église de Landemont, pour l'installer dans celle de Saint-Sauveur. En admettant comme il est vraisemblable, que ces rebelles se soient confondus en grande partie avec les opposants de Saint-Sauveur, on voit, si sommaire qu'ait été notre récit, le rôle que joua, dans l'histoire politique de cette paroisse, la rivalité qui opposait l'un à l'autre les deux bourgs.

 

♣♣♣

 

 

Nous disposons de renseignements plus circonstanciés encore sur des évènements de même nature qui eurent pour théâtre Saint-Georges-au-Puy-de-la-Garde, près de Chemillé. Cette paroisse, de treize-cents habitants environ, contenait également deux bourgs : Saint-Georges proprement dit, centre traditionnel de la population rurale et siège de l'église paroissiale et Les Gardes, avec un couvent d'Augustins et des ateliers de tissage, qui s'étaient développés au XVIIIe siècle, en liaison avec l'industrie textile de Cholet. Le conflit entre les patriotes, principalement marchands et artisans des Gardes et les "aristocrates", en majorité cultivateurs dont le point de ralliement était Saint-Georges, domina la vie de la paroisse au cours des premières années de la Révolution. Célestin Port, qui l'a qualifiée de patriote, n'a donc vu qu'un aspect de la question.

L'opposition entre les deux fractions se manifesta à propos de toutes les questions d'importance qui touchaient la paroisse ; désignation du chef-lieu ; vente des biens d'église ; élections locales ; conflit entre le curé réfractaire et le curé constitutionnel ; formation de la Garde Nationale et recrutement des volontaires ; rapports avec les chefs patriotes de la ville de Chemillé ; évènements de la contre-révolution. C'est constamment le groupe des Gardes qui adopta l'attitude révolutionnaire et le groupe de Saint-Georges l'attitude inverse.

Dès les premiers jours de la Révolution, les citoyens des Gardes intriguèrent pour obtenir la promotion de leur bourg au rang de chef-lieu. Le citoyen Martineau, des Gardes, y fait allusion dans une lettre non datée, mais probablement écrite vers la fin de 1790, où il relate une entrevue qui ne dût pas manquer d'intérêt :

"... Mercredi dernier, le curé de Notre-Dame de Cholet, le curé de Trémentines et le curé de Saint-Georges sont venus me trouver le soir dans la salle de l'Hôtel de la Croix-Verte de cette ville, en présence de messieurs Delbée, de St Martin-de-Baupréau, de M. Pérault, curé et de son frère d'Argenton-Château, de son nepveu et de mon fils, et Maquignon, de Vezins, Blanvillain, de la Jumellière et Body, de Maulévrier ... pendant le soupé, il (le curé de Trémentines) cest moqué des habitants des Gardes en disant ; ils leur fault une paroisse parcequ'ils ont un beau Bourg et une belle église ; il fault encore y ajouter un district, un département et l'Assemblée Nationale. Monsieur Briandeau, de Chemillé, a répondu : Me Martineau, ne craigné point, laissé les dire. J'iray vous deffandre aux Gardes."

Document doublement intéressant, puisqu'il nous montre assemblés des personnages aussi différents que d'Elbée et Body, futurs chefs de la rébellion et des patriotes influents comme Briaudeau et Martineau et aussi parce qu'il nous éclaire sur les tendances politiques des gens des Gardes et l'appui qu'ils recevaient des meneurs de Chemillé. Cette faction des Gardes, à laquelle appartenaient François et Michel Martineau, René Le Roy et René Rethoré, tous négociants et marchands, fut l'âme du parti patriote de la commune dans les années suivantes.

Le problème religieux et la question connexe du choix de l'église paroissiale prirent une acuité croissante avec la mise en vigueur de la Constitution Civile du Clergé. Après que le curé, l'abbé de La Morlaie, et son vicaire, l'abbé Bartotin, eurent tous deux refusé de prêter serment et que Martineau eut fait élire son fils, François-Michel, au poste de curé constitutionnel, la paroisse entière se trouva partagée en deux factions : les partisans du curé constitutionnel, qui recevaient leurs mots d'ordre des bourgeois des Gardes ; les partisans des prêtres réfractaires, en majorité paysans, dont le point de ralliement était Saint-Georges.

Sur dix-huit officiers municipaux et notables en fonction à cette date, quinze étaient des paysans, chiffre normal dans une paroisse dont les citoyens actifs étaient des métayers et des bordiers dans une proportion de 70 %. Dirigée par François Hilaire, métayer et fabricant de toiles à temps partiel, cette municipalité refusa de coopérer avec le nouveau curé et ses partisans. "La municipalité elle-même aussi aristocrate que leur curé qui était leur conseiller, refuse de remplir ses fonctions et elle a affiché à Saint-Georges sa démission". Cette décision entraîna le transfert des fonctions officielles de la paroisse au groupe des Gardes, qui obtint aussi par la suite la majorité à l'assemblée municipale.

Comme dans le reste des Mauges, le curé constitutionnel, venu s'installer en avril 1791, fut mis en quarantaine par tous les habitants du bourg, à l'exception des patriotes. L'exercice de son ministère, dans le mois qui suivit son entrée en fonction, se heurta aux plus grandes difficultés, comme en témoignent les dépositions recueillies à la fin de mai par les commissaires du département. Les patriotes, incapables d'imposer l'autorité de l'intrus, se résolurent, en désespoir de cause, à requérir la force armée. Gardes Nationaux et soldats de ligne, arrivés au milieu de mai, guidés par la famille Martineau, se mirent en devoir de traquer les opposants pour les contraindre à accepter le nouvel ordre religieux. Sur l'énergie qu'ils apportèrent à l'accomplissement de leur besogne, nous sommes renseignés par le témoignage de Jean Lizé, un des officiers municipaux sortants :

"Aujourdhuy dix huitième jour du mois de may mil sept cent quatre vingt onze le sieur Martineau élû curé pour cette paroisse de St George s'est transporté au Beuffoit, village de cette paroisse, accompagné de deux soldats Roussillon et de deux gardes nationaux de Cholet et du sieur Gabard habitant des Gardes d'ou le sieur Martineau a envoyez un soldat Roussillon, un garde national et le sieur Charle Gabart à la métairie du Houx. Entrant en la maison il ont bouleversez toutes les femmes qui y étoient ont saisie la femme Vincent par le bras avec rigueur et l'ont jettée contre une hormoire voulant luy faire dire où était son père. Elle qui ne le scavoit pas, le mary de la ditte femme Vincent et survenu à l'instant et qui a mis la paix. Dans le même village sortant de la maison de Vincent, il sont entré chez Jean Lizé premier officier municipal voisin du dit Vincent, ont saisi la femme Lizé pour la forcer de les reconduire au Beuffoit d'où il sortoient. La ditte femme Lizé s'étant ecusée sur ce quelle ne pouvait pas marcher, il la laissèrent et saisirent la servante et la conduisoient devant eux en la frappant avec leur fusils pour la faire aller plus vitte. Passant devant les écuries son maître Jean Lizé sy est trouvez qui leur a demandée pour quoi ils la tourmantoient de la sort puis qu'ils aroient avec eux le sieur Charle Gabard qui connoissoit et aussi bien quelle le chemin quil demandoient, aussitôt il se sont arresté à luy disant de les conduire luimême à cette ferme sans luy nommer la ferme et luy ne scachant pas quelle étoit cette ferme leur a demandé où il vouloient aller mais sans lui nommer un d'eux luy a donné un coup de la bouche du fusil dont il étoit muni dans l'estomach avec violence et un coup de poing sur la figure si violemment qu'il en a été renversé par terre et le côté droit de la figure luy est resté enflé. Ensuite il luy ont dit le nom du village et comme ils trouvoient quil ne marchoit pas assez vite à leur fantaisie ils le touchoient devant eux en luy donnant de coups de leurs fusil violemment dans les reins dont l'empreinte de la bouche du fusil paroissoit encore trois heures après. Le dit Lizé premier officier municipal ne sest point révolté et n'a point fait de résistance pour les y conduire et il les y conduisit en effet. Etant arrivés au dit Beuffoit le nommé Bourrigaud maître de la maison où nous sommes entrez ma pris a temoing comme ils vouloient luy enlever son enfant nouveau né et qui avoit été baptisé par Michel Vincent Du Houx ayant crus l'enfant en d'anger de mort. Le dit Bourrigaud ayant fini de parler il sont tomber sur luy en luy donnant plusieurs coup de fusil jusqu'à ce qu'il l'ayent eut fait tomber par terre. En suite le dit Bourrigaud s'est relevé et s'est jetté sur son lit et l'on voulu faire relever en le menaçant de luy passer trois balles à travers le corps et luy assignoient des coups de bayonnette."

Il est possible que Lizé ait exagéré les brutalités commises par les soldats. Il n'en reste pas moins que le groupe des Gardes n'avait pas hésité à chercher appui à l'extérieur, ni répugné à employer la manière forte pour contraindre ses rivaux à se rallier au nouvel ordre religieux et renforcer ainsi son autorité dans la paroisse. Pendant son bref séjour à Saint-Georges, la troupe s'employa principalement à faire baptiser les nouveaux nés que leurs parents n'avaient pas conduits à l'abbé Martineau et à rechercher, pour faire pression sur eux, les opposants les plus notoires.

Aussi bien, les commissaires du département, venus enquêter sur les troubles de Saint-Georges, devaient-ils analyser clairement la situation :

"Le vingt-deux mai, nous, Villier et Boullet, commissaires, sommes partis pour nous rendre dans la paroisse de Saint Georges du Pied de la Garde où étant arrivés avons réunis à l'issüe de la grande messe célébrée par le sr Martineau nouvellement installé dans la cure de ladite paroisse, Mrs des officiers municipaux et après les avoir entendu en présence des habitants, nous nous sommes convaincus qu'il y avoit dans cette paroisse deux partis, celui de l'ancien curé adopté généralement par les habitants du bourg de St George et celui du nouveau curé soutenu par les habitants de celui des Gardes."

Les partisans du curé intrus ne réussirent jamais à le faire reconnaître par la majorité des paroissiens. En juin 1791, ils décidèrent qu'il cesserait de célébrer la messe au bourg hostile de Saint-Georges et qu'il exercerait désormais son ministère aux Gardes. En septembre, ils complétèrent cette mesure par la fermeture de l'église de Saint-Georges, à la consternation de l'ancienne municipalité, qui menaça de porter l'affaire en justice.

A la même époque, les patriotes dénonçaient les "intrigues" du vicaire réfractaire Barbotin, tandis que les chefs de la faction de Saint-Georges se portaient garants de son civisme. Barbotin et Martineau, tout en échangeant des lettres acerbes sur leurs droits respectifs, continuèrent tous deux à exercer leur ministère, chacun dans son bourg, jusqu'au soulèvement contre-révolutionnaire.

Les patriotes avaient évidemment l'avantage de pouvoir compter sur les autorités administratives voisines, où la tendance favorable à la Révolution n'avait cessé de progresser. C'est ainsi, par exemple, qu'aux élections cantonales de 1791, qui réunirent les électeurs de Chemillé, Saint-Georges, Saint-Pierre-de-Chemillé et Melay, on vit le groupe des Gardes se joindre aux meneurs de Chemillé pour diriger l'assemblée électorale et écarter des urnes le groupe de Saint-Georges.(1) C'est encore la faction des Gardes qui représenta exclusivement la paroisse aux élections d'août 1792, rendit compte des affaires municipales au district et au département et leur donna l'exemple d'un "foyer de civisme". C'est la même faction, enfin, qui, constituée en Garde Nationale, réclama des armes en se plaignant d'être encerclée par les ennemis de la Révolution.

"Les gardes nationales de Notre-Dame-des-Gardes ont déjà eu l'honneur de vous demander des armes par Mr. de la Marandière qui a été témoin de leur civisme. Vous mêmes, Messieurs, ne pouvez en douter, nous en avons donné des preuves à la patrie en plus d'une circonstance. Notre serment n'est point en vain, c'est celui de tout citoyen, le parjure est trop indigne d'un honnête homme pour jamais y donner lieu. Le dernier mot que nous begueyerons à la mort cera celui de françois mais de françois de la liberté. A ce mot de liberté, nous sentons dans nos âmes une tendre émotion qui nourrit notre courage et dans les menaces que nous font nos voisins de St Georges, La Tourlandry, Trémentines et Melai, ennemis jurés de la Constitution, nous élevons nos bras en maudissant leurs blasphèmes, mais que pouvons-nous faire sans armes ? Nous voyons les outrages sans pouvoir les vanger et nous craignons même que nos personnes soient indignement égorgés sans utilité pour la patrie."

L'insurrection allait bientôt mettre à l'épreuve les sentiments que les auteurs de cette lettre proclamaient aussi éloquemment.

A qui étudie l'histoire de cette paroisse avant le soulèvement, une continuité apparaît évidente entre les conflits partisans de 1791-1792 et les combats de 1793.

Nous connaissons les débuts de la rébellion à Saint-Georges-du-Puy-de-la-Garde grâce au rapport de l'abbé Martineau lui-même, publié par Célestin Port dans La Vendée Angevine. L'agitation commença à Saint-Georges le 10 mars 1793 à l'annonce des mesures d'exécution de la loi de conscription. "Le lendemain, nous dit le curé, jour déterminé pour l'inscription des citoyens sujets au tirage, il n'existait pas un seul garçon dans cette commune, excepté les habitants de notre bourg". Les patriotes des Gardes se maintinrent dans le bourg pendant deux jours, puis s'enfuirent à Cholet. Décision malheureuse, puisque Cholet ne tarda pas à capituler. "Tandis que les bons citoyens tombaient sous le fer de nos bourreaux à Cholet, poursuit l'abbé Martineau, nos fortunes se dilapidaient aux Gardes. Ils n'ont presque laissé que les murs des maisons que nous habitions. Le pillage et la contribution allaient ensemble. C'est surtout à ma famille qu'on en voulait". En effet, s'ils épargnèrent le curé, les rebelles exécutèrent son père, son oncle et son cousin. Et l'intrus de Saint-Georges ajoute : "De notre commune, tous les métayers sont coupables, à la réserve de deux".

Sans doute ces rebelles, menés par les Hilaire, les Pineau, les Bernard, les Barbotin, se confondirent-ils avec cette faction de Saint-Georges que nous avons vue aux prises avec les patriotes des Gardes pendant deux ans. (Parmi les trente-quatre hommes que j'ai pu identifier avec certitude et qui sont qualifiés de rebelles dans les interrogatoires menés par le Comité de Surveillance du Maine-et-Loire figurent 18 paysans, 6 artisans, 6 fabricants, 2 prêtres (y compris le célèbre abbé Barbotin), 1 marchand et un voiturier. La moitié d'entre eux au moins avaient joué un rôle actif dans l'opposition au groupe des Gardes en 1791).

Résumons-nous. Dès les premiers jours de la Révolution, se manifestèrent entre les deux bourgs de Saint-Georges-du-Puy-de-la-Garde, c'est-à-dire, en gros, entre les deux éléments principaux de la population, agriculteurs d'une part, commerçants de l'autre, des divergences de vues qui allèrent s'aggravant à partir de 1791. La même ligne de démarcation qui sépara les factions rivales se retrouve pareillement entre les rebelles de 1793 et les défenseurs de l'ordre nouveau.

De toute évidence, nul ne songerait à prétendre expliquer la guerre de Vendée par des rivalités entre bourgs voisins. Les communes où il en existait, comme à Landemont et à Saint-Georges, étaient du reste trop peu nombreuses pour que leur cas puisse être considéré comme typique de l'évolution de la région. Mais ces rivalités, là où elle se produisirent, ne peuvent s'expliquer par de simples jalousies. Aussi nous obligent-elles à nous poser certaines questions.

Quelles causes dressèrent les habitants d'une même paroisse les uns contre les autres ? Quels mobiles déterminèrent chacun d'eux dans le choix de son parti ? - parmi d'autres facteurs - la vente des biens nationaux ? Les prétentions rivales des prêtres et des bourgeois à diriger la vie locale ? La situation de l'industrie textile ? Autant de questions auxquelles, en dépit d'une littérature immense, aucune réponse pleinement satisfaisante n'a encore été donnée et dont la solution pourra seule éclairer le problème des origines de la rébellion.

Si l'enquête à laquelle nous avons procédé ne fournit pas cette solution, du moins confirme-t-elle, à notre avis, certains faits dont l'importance a été jusqu'ici sous-estimée ; à savoir que les populations du Bocage, loin d'être unanimes, furent profondément divisées dès les origines de la Révolution ; que les lignes de démarcation entre les factions se confondirent avec celles qui séparaient, dans la France de l'Ouest et dès le milieu du XVIIIe siècle, les cités et les bourgs des campagnes environnantes, parfois deux bourgs voisins, les classes sociales et les régions ; que, parmi les caractères du soulèvement de mars 1793, on peut discerner comme une tentative faite par des groupes d'"aristocrates" agissant sur le plan local et sans liaison les uns avec les autres, pour éliminer les représentants de l'ordre nouveau.

Mais contrairement à ce que pourrait penser le lecteur de la plupart de nos historiens traditionnels, il n'existe pas de solution de continuité entre cette tentative, si extrême qu'elle ait été dans ses moyens, et les évènement qui l'ont précédée.

 

 

Charles TILLY

Revue du Bas-Poitou

1962 - 4e livraison

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