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La Maraîchine Normande
27 décembre 2012

VIE MOUVEMENTÉE DE M. JEAN GIRARD - Ancien curé de Saint-Georges-de-Montaigu ♣ 2ème partie

 

2ème partie

S'élancer et gravir, par l'intérieur, jusqu'au sommet de l'une des tours ne demanda qu'un instant à l'agilité de M. Girard. Il s'y tint caché entre les pièces de la charpente plus rapprochées dans cet endroit, tant que dura la visite domiciliaire. A peine les soldats étaient sortis qu'il partait lui-même par une porte opposée, tenant en travailleur, une serpe à la main et une fourche sous son bras. Il traversa ainsi toute la prairie du château sous les yeux des soldats qui s'étaient arrêtés chez les parents de M. l'abbé Hervouet.

Un jour M. Girard était dans une autre ferme. La maîtresse de maison aperçoit tout à coup des soldats qui approchaient et qui étaient sur le point d'entrer. Elle en avertit son hôte qui ne prononça que ces mots : Il faut nous résigner à mourir. Il me vient une idée, dit aussitôt cette femme, faites semblant d'être fou, et je taperai sur vous. En même temps elle se met à faire un grand tapage. Cependant les soldats entrent et demandent un calotin. Un calotin ? dit la femme, en voilà bien un ici, tâchez donc de l'emmener, et de m'en débarrasser bien vite. Puis elle recommence son carillon, frappe sur M. Girard à coups de pieds et à coups de poings. Celui-ci contrefaisant l'insensé ne répétait que ces mots en patois : Eh bien ! donne d'au pain. Tu viens de manger, va-t-en disait la femme, en grand colère. Elle lui coupe enfin un gros morceau de pain, et alors il consent à partir. Les soldats qui s'étaient tus jusqu'alors en voyant cette scène, disent à la femme de les conduire dans tous les logements pour y chercher le calotin qu'ils savaient bien, disaient-ils y être caché. Elle se montre d'une complaisance extrême. Mais voyant l'inutilité de leur recherche, ils dirent avec humeur : c'est le calotin que tu as fait partir au commencement. Eh bien ! si c'est lui, courez après.

Une autre fois, M. Girard confessait un malade dans un village, et s'était fait accompagner du sacristain nommé Chauveau. Celui-ci montait la garde à la porte, et, voyant arriver tout à coup trois soldats armés, il s'écrie : "Vite, vite l'absolution, voilà les Bleus.". Il entre. "Nous ne pourrons échapper, dit M. Girard". - "Si, si, moi je veux les tuer". Ils avaient fait quelques centaines de pas seulement hors de la maison, lorsque Chauveau fait cacher M. Girard dans un champ de genêts ; puis dès qu'il aperçoit venir les soldats il se prend à crier en courant à toutes jambes : "Monsieur l'Abbé, Monsieur l'Abbé, n'allez pas si vite, attendez-moi, me voilà pris." La bouche ne lui fermait pas un instant. Toutefois il s'éloignait d'un pas agile, regardant du coin de l'oeil à quelle distance le suivaient ses adversaires, et imitant en cela un personnage célèbre qu'il ne connaissait point. Quand il les vit séparés, Chauveau s'arrête, s'appuyant sur un échalier qu'il venait de franchir, il dit au soldat qui le suivait de plus près : "Venez me prendre, je n'en peux plus." Cependant comme celui-ci posait les mains sur l'échalier pour le franchir à son tour, Chauveau lui assène un coup de bâton sur la tête et le couche par terre sans mouvement. Aussitôt il prend son fusil, court au devant du second, et, d'un coup bien ajusté, il l'étend raide mort. L'arme du second lui sert à tuer le troisième qui loin de se tenir en garde avait dû penser, en entendant la première détonation, que son ennemi n'était plus. Sans perdre un instant, Chauveau revole au premier, lui arrache son sabre, lui en porte un coup terrible. Pleinement rassuré désormais, il se met à le considérer, et reconnaît qu'il vivait encore. Aussitôt il crie de toutes ses forces : "Monsieur l'Abbé, Monsieur l'Abbé, venez vite l'administrer". M. Girard eut en effet le temps de le confesser et de lui conférer l'Extrême-Onction. On le transporta dans une ferme voisine, mais il mourut peu après malgré tous les bons soins qu'on lui put prodiguer. On rapporte que M. Girard ne pouvait raconter ce dernier trait sans pleurer à chaudes larmes, tant le souvenir de ces trois hommes tués à la fois, faisait sur lui une douloureuse impression.

Cependant M. l'Abbé toujours traqué et poursuivi par la trahison, toujours obligé par conséquent de changer de domicile, logeait assez souvent à la Bernerie, chez M. Dugast qui appartenait à la classe de l'ancienne bourgeoisie. Une nuit que M. Girard couchait à la maison, on frappe soudainement aux portes du logis. Il s'élance le premier : Qu'on me laisse faire, dit-il, je me charge de tout". De ce pas, il va ouvrir, et feignant d'être un domestique de la maison il demande poliment ce qu'ils veulent à ceux qui se présentaient devant lui. Il leur parlait patois avec un calme, une tranquillité, une placidité qui ne trahissait pas l'ombre d'une émotion. "Nous venons chercher un calotin caché chez vous", lui répond la troupe. "Un calotin ? dit M. Girard d'un ton et d'un air mystérieux, en baissant la voix, cela serait bien possible ; car le citoyen Dugast, c'est un aristocrate. Je m'aperçois qu'on me cache bien des choses." "Tu vas nous conduire partout", lui dit-on.

Chambres, greniers, corridors, tout fut éclairé, fouillé par les soldats, M. Girard les aidant de son mieux à remplir leur tâche. Ils désespéraient de trouver ce qui faisait l'objet de leur voyage quand M. Girard leur dit : "Citoyens, vous n'avez pas visité la cave". Leur peine devait être perdue là comme ailleurs, et déjà ils se disposaient à partir quand l'un de la troupe prononça ces paroles : "On nous avait pourtant bien dit qu'il y avait un calotin à la Bernerie". "A la Bernerie, reprend aussitôt M. Girard, mais il y a deux Berneries ; c'est ici la grande, et à deux pas se trouve la petite Bernerie. Le métayer, c'est bien lui aussi un aristocrate, et le calotin pourrait bien être caché chez lui". M. Girard en agissant et en parlant de la sorte, avait pour but de faire tomber les soupçons factieux qui pesaient sur deux excellentes familles, et qui pouvaient leur devenir funestes. "Veux-tu nous y mener, dirent en ce moment les soldats, déjà charmés de sa complaisances". "Bien volontiers, leur dit-il ; nous seront bientôt rendus."

Les recherches que l'on fit dans cette dernière habitation durèrent jusqu'au jour.

Alors les émissaires du gouvernement révolutionnaire, enchantés de plus en plus de ce qu'ils appelaient l'esprit naturel, l'ingénuité d'un petit paysan dirent à M. Girard : "Tu es un bon enfant, veux-tu venir avec nous à Montaigu ? Tu parleras au commandant, tu raconteras tout, et tu vaudras mieux qu'un procès-verbal". "Vous me faites bien un grand plaisir, dit alors M. Girard, ah ! Je serai bien aise de voir un général".

Arrivés à Montaigu, les soldats dirent à leur commandant : "Nous vous amenons ici un garçon ; c'est le domestique du citoyen Dugast de la Bernerie, il vous racontera toutes les recherches que nous avons faites en notre voyage." Le général fait approcher le jeune homme et l'interroge. Celui-ci raconte avec esprit, dans un style villageois, toutes les aventures de la nuit précédente. Il plut tellement au général qu'il lui dit à la fin : "Ah ça, mon garçon, tu n'as pas déjeuné ?" - Non, général. "Passe par ici". Et il l'introduisait dans une grande salle et lui montrait une table chargée de viandes. "Ah ! citoyen général, dit après M. Girard, tout cela n'est-ce point de la viande de boucherie ? Dans nos villages, nous ne sommes point habitués à manger ces viandes ; nous mangeons un peu de caillé avec notre pain". C'était un vendredi que M. Girard parlait de la sorte. "Ah bien, dit le général, aimes-tu le fromage ? - Le fromage ? il faut que j'en goûte". Là-dessus, il prend son couteau et coupe une petite parcelle de fromage qu'il porte à ses lèvres avec précaution. "Ah ! s'écrie-t-il, il y a du lait là-dedans je mangerai bien ça". Puis, sans se faire prier plus longtemps, il coupe un morceau de pain et se met à manger de fort bon appétit.

Cependant le général ne l'abandonnait pas un instant et lui faisait toujours de nouvelles questions. A la fin, il lui dit "Viens te promener avec moi dans le château, tu verras nos armes, et tu pourras dire aux brigands combien nous sommes forts". Au bout de quelques minutes, il lui montre une cour toute remplie de bestiaux : "Vois-tu ces boeufs et ces vaches, lui dit-il, nous avons pris tout cela aux brigands, et puis nous le mangerons". - "Je vois ici des vaches, dit alors M. Girard, que je connais : elles sont à mon maître, citoyen, c'est dommage de lui faire tort". - "Tu les connais, dit le général ?" - "Oui, et leur maître c'est un citoyen et un bon citoyen ; si vous le voulez, je lui emmènerai ses vaches en m'en allant". Or, ces vaches étaient celles de Monsieur le Curé de Saint-Hilaire-du-Bois, diocèse de Nantes, et paroisse limitrophe de Saint-Hilaire-de-Loulay. "Emmène-les si tu veux, dit le général, nous n'en manquons pas".

M. Girard ayant enfin pris congé du chef, partit en conduisant les vaches devant lui. Arrivé aux portes, le soldat de faction lui dit "votre carte ?" - "ma carte ?" - "Oui, il vous faut une carte pour sortir". - Pour sortir ? Je viens de chez le général, et il ne m'en a point parlé". - Vous ne sortirez pas sans une carte ; il faut une carte". - "Eh bien ! garde mes vaches, dit M. Girard, je vais en demander une au général, apparemment il n'a point pensé à m'en donner".

Comme il s'en retournait à la citadelle, il est subitement arrêté par quelqu'un qui le connaissait, et qui lui dit fort secrètement : "Il y a un malade à la prison, qui est à l'extrémité, ne pourriez-vous point aller le confesser."

Retourné devant le commandant de place, M. Girard lui demande une carte pour sortir. "C'est bien vrai qu'il faut une carte pour sortir !" "C'est bien vrai qu'il en faut une et je n'y avais point pensé". "Général, dit alors M. Girard, vous avez dans la prison un homme que je connais j'aurai un petit compte à régler avec lui, car il me doit quelque chose ; de plus, cet homme est malade, et s'il vient à mourir, je perdrais beaucoup, voulez-vous que j'aille lui parler ? Va lui parler, dit le chef, je ne m'y oppose pas." M. Girard confesse son malade qui était le propre frère du R.P. Baudouin, restaurateur de nos séminaires. M. Girard ne s'en tint pas là ; il revint le lendemain et usant du même stratagème auprès du Général, il pénétra de nouveau dans la prison et communie le moribond qui mourut peu après.

Pour lui il eut le bonheur de sortir de Montaigu, mais non pas sans avoir couru un grand danger ; car sa soeur y étant allée peu de jours après rencontra un de ces hommes que l'on appelait "réfugiés", parce qu'ils quittaient les campagnes pour se retirer dans les villes, croyant y trouver plus de sûreté. Il lui dit : Citoyenne Girard, dis à ton frère d'être plus prudent une autre fois ; il est venu deux jours de suite à Montaigu. Je l'engage à n'y plus reparaître.

M. Girard y reparut néanmoins, et voici à quelle occasion. Un officier de la garde nationale de la ville de Montaigu se mourait. Comme il paraissait fort triste, ses compagnons lui demandaient la cause de son chagrin. Il dédaignait à leur répondre. Cédant enfin à leur importunités, il leur dit "Si je vous découvre le sujet de ma tristesse, vous ne voudrez point me soulager". On lui fait mille promesses ; on y ajoute les serments. "Eh ! bien, leur dit-il enfin, je voudrais avoir un prêtre avant de mourir". "Tu l'auras", lui dit-on aussitôt. En même temps quelqu'un de la troupe se met à dire que si l'on s'adressait à tel homme de Saint-Hilaire qu'il nommait, il saurait, lui où il y aurait un prêtre caché. On va le trouver en toute hâte ; et on lui inspire assez de confiance pour l'engager à faire à M. Girard la proposition de les suivre. Celui-ci n'hésite pas un instant, et vient se confier aux envoyés. Ils s'étaient munis d'un costume de garde national, on l'en revêt, et on le monte à cheval. Le voilà aux portes de la ville. "Qui vive, crie la sentinelle" "Garde nationale", "Passez". Le prêtre arrive au lit du malade ; il le confesse, lui confère le sacrement de l'Extrême-Onction ; et reparaît à la porte de la ville. Même interrogation, même réponse : M. Girard échappe encore une fois au danger.

... à suivre ...

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