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La Maraîchine Normande
12 décembre 2012

LA VERRIE (85) - HISTOIRE DU FUSIL DU BONHOMME GROLLEAU ET EXPLOITS D'UN "TRÉBÉCHET"

VENDÉEN 7

 

Tout enfant, mon plus vif désir était d'enrégimenter mes petits frères et soeurs pour "jouer à la Grande-Guerre". Ordinairement, ça n'allait pas tout seul pou commencer ; car c'était à qui ne ferait pas les Bleus, vous pensez ! ... D'autant que, suivant nos conventions, les Bleus devaient toujours recevoir une pile, - ce qui doublait l'humiliation à  nos yeux ! ... Je devais donc employer toute mon autorité d'aîné et faire jouer les ressorts de la plus souple diplomatie, pour décider les deux plus jeunes - quant aux autres, il n'y fallait point compter ! - à se laisser infliger la traditionnelle râclée qui faisait partie du programme ...

La fierté vendéenne des deux moutards eux-mêmes était telle, qu'un beau jour - je me le rappelle comme si j'avais trente et quelques années de moins sur les épaules ! - il me fallut leur promettre, pour les décider à arborer la cocarde républicaine, de leur faire raconter par notre bonne vieille tante l'histoire du fusil du bonhomme Grolleau ! ...

Ce bonhomme Grolleau - qui n'était autre que le fameux chasseur de vipères - avait réuni chez lui tout un arsenal d'armes de la Grande-Guerre : fusils à pierre, sabres, baïonnettes, espingoles ... sa maison en était remplie, et il y en avait jusqu'aux soliveaux ! Or, parmi ces vieilles armes, qui étaient à nos yeux comme autant de reliques, et dont chacune avait son histoire, se trouvait un énorme fusil, lourd comme un petit canon et long à proportion. Le bonhomme Grolleau avait pour lui un culte tout particulier ; aussi l'avait-il mis à la place d'honneur.

Ce fusil, conquis un jour de bataille sur les Bleus en déroute, avait appartenu à un brave Verriais dont j'ai malheureusement oublié le nom, et qui était domestique au village de la Soulicière, à l'époque de la Grande-Guerre. De l'arme comme de son propriétaire, le bonhomme Grolleau ne parlait jamais qu'avec vénération, et voici l'une des anecdotes qu'il racontait à ce propos et que nous avions coutume d'appeler, entre nous, l'histoire du fusil du bonhomme Grolleau.

Les détails m'en ont été confirmés, tout récemment encore, par mon excellent compatriote et vieil ami, M. l'abbé Guitton, curé de Beaurepaire, qui avait été mis en pension chez le bonhomme Grolleau lorsqu'il commença ses études de latin à la cure de la Verrie, et qui, soit dit en passant, pourrait nous tresser une si belle gerbe de souvenirs vendéens, s'il voulait se décider à mettre par écrit les curieux et dramatiques récits de son hôte aux veillées d'hiver ...

 

la soulicière la Verrie

 

C'était au printemps de l'année 1794, dans les jours qui précédèrent la prise de Mortagne par Marigny.

Envoyé en reconnaissance pour examiner les moyens de défense de la ville, le domestique de la Soulicière avait longé les bords de la Sèvre jusqu'en face de la grosse tour du château. Arrivé là, il s'était glissé en rempant derrière un gros tétard, où il s'était mis en observation après avoir déposé son fusil à côté de lui.

Au bout de quelques instants, ayant voulu se pencher pour mieux se rendre compte d'un mouvement qui se faisait sur les remparts, il fut aperçu par la sentinelle républicaine. Le Bleu, croyant qu'il avait affaire à un homme sans armes, commença par lui tirer la langue ; puis, faisant volte-face, il prit la position d'un homme accroupi, et, montrant de la main ... l'autre figure de son individu, il se mit à gouailler le Vendéen.

Celui-ci ne bougeant pas, le Bleu trouva spirituel de renouveler sa plaisanterie, et il multipliait des gestes qui semblaient vouloir dire : tire donc !

Le défi était trop insolent, et la tentation trop forte pour que le Vendéen pût y résister. Prompt comme l'éclair, il ramasse son fusil, épaule, lâche le coup, et le Bleu, touché en plein mille, dégringole du haut des remparts et vient se briser la tête contre un rocher, presque aux pieds de l'adroit tireur !

Avant de raconter cette histoire au futur curé de Beaurepaire, le bonhomme Grolleau commençait par décrocher le fusil qui, suivant son énergique langage, avait si bien fait "péter le derrière au Pataud" ; il le tenait respectueusement entre ses mains tant que durait le récit, puis, l'histoire finie, il faisait embrasser l'arme à son jeune pensionnaire en lui disant : "Bise tchiô fusil, man p'tit gâs ! bise-le ! ... t'en verras jamais de sa force !"

Le fusil qui avait fait un si beau coup fut donné par le bonhomme Grolleau à son vieux curé, M. l'abbé Guilloton ; celui-ci, à son tour, l'a passé à mon père, et j'ai tenu à lui confirmer son état-civil dans la famille, d'où j'espère bien qu'il ne sortira jamais !

A l'exemple de son maître, dont il avait épousé la vengeance, le domestique de Grolleau s'était fait chasseur de Bleus, à la suite des atrocités commises au village de la Soulicière. Dans l'intervalle des expéditions régulières de l'armée du Centre, il guerroyait pour son propre compte et passait presque toutes ses journées à l'affût. Il aurait eu beaucoup de peine, lui aussi, à dresser la liste de tous les traînards qu'il expédia alors pour l'autre monde.

Un jour, qu'il travaillait dans un champ de blé, il entendit tout à coup le cri de dgiette aux Bleus ! du côté de l'étang du Blanc, situé à peu de distance du chemin de Saint-Laurent à la Verrie. Laissant là son travail, et armé de son trébéchet, il courut vers la queue de l'étang et aperçut, sur la chaussée, deux soldats républicains qui s'étaient égarés et que poursuivaient les gens des villages voisins de la Morère et de la Girardière.

Les deux Bleus avaient jeté leurs armes pour mieux courir et filaient comme des lièvres ; mais l'un était encore plus ingambe que son camarade et le distançait d'une cinquantaine de pas. Comme ils venaient tout droit à sa rencontre, notre homme les attendit tranquillement et, au passage, les assomma l'un après l'autre avec son trébéchet.

Nombre de traînards des Colonnes infernales furent ainsi expédiés par lui autour de l'étang du Blanc, tantôt à coups de fusil, tantôt à coup de trébéchet. Après les avoir achevés, il faisait son signe de croix, attachait une pierre au cou des cadavres et les jetait au fond de l'eau. Plusieurs années après la guerre, lorsqu'on vida pour la première fois l'étang, on trouva une certaine quantité d'ossements. C'était tout ce qui restait des victimes du terrible valet de la Soulicière !

H.B. - La Vendée Historique - 1900

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