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La Maraîchine Normande
7 décembre 2012

DESTRUCTION DES LOUPS DANS LES DEUX-SEVRES

 

Lieutenant de louveterie - Huile sur toile réalisée en 1845 par Emmanuel-Joseph Lauret

C'est surtout à partir de l'an VI que la destruction des loups se poursuivit d'une façon méthodique et générale. La loi du 10 messidor, an V, établissait le tarif suivant des primes accordées à cette occasion :

Pour la destruction d'un loup ou d'une louve non pleine : 40 fr.

Pour une louve pleine : 60 fr.

Pour un louveteau : 20 fr.

Quand il était prouvé que le loup détruit s'était attaqué à l'homme ou qu'il était atteint de rage, la prime pouvait être portée à 150 francs. Il suffisait, pour toucher ces primes, de présenter au chef de la municipalité, soit la tête coupée de l'animal, soit les deux oreilles, soit seulement l'oreille gauche.

Nous avons retrouvé aux Archives départementales des Deux-Sèvres des attestations très curieuses, soit en raison de leur libellé parfois amphigourique, soit par les détails particuliers qu'elles révèlent. En voici quelques-unes :

"Nous, maire de la commune de Saint-Pierre et Saint-Hilaire des Échaubrognes, arrondissement de Thouars, département des Deux-Sèvres, certifions à qui de droit qu'il est à nos connaissances que Jean Guinfolleau, métayer à Loumoy ; en ladite commune de Saint-Hilaire d'Échaubrognes, a pris cinq petits louveteaux vers la fin de floréal ou au commencement de prairial dernier, et que les citoyens militaires cantonnés à cette époque à Saint-Pierre d'Échaubrognes, les demandèrent audit Guinfolleau, lequel adhéra à leur demande, pour les montrer dans les métairies afin d'obtenir des métayers, soit des oeufs, laine ou autres choses ; à la vérité qu'il n'a été coupé aucune oreille d'iceulx, vu que les dits militaires les jetèrent aussitôt qu'ils commencèrent à sentir mauvais et estimons qu'il serait très juste de faire droit à la réclamation du pétitionnaire ...

A Saint-Pierre d'Échaubrognes, le 1er fructidor an VIII de la République française.

P. CHARRIER, Maire."

"... Et pour conformité de la loi du 10 messidor an V qui ordonne l'amputation des têtes, j'ai fait couper les oreilles des dits louveteaux, au lieu des têtes, et ce, en considération des chaleurs qui n'en permettraient facilement le transport.

Fait et rédigé le présent acte pour être sans délai adressé au citoyen préfet de ce département, avec les oreilles ci-dessus dites coupées.

A Chapelle-Thireuil, le 10 messidor an VIII.

Le Maire, P.G."

"Aujourd'hui 11 floréal, an VIII de la République française, a comparu au lieu de nos séances le sieur Fauchereau, demeurant à Vernou, lequel nous a présenté vivante une petite louve d'environ un mois qu'il a atteinte sur le territoire de la commune de Neuvy.

Nous soussignés, administrateurs de la commune de Secondigny, sur la vue dudit animal, et après que le comparant nous a déclaré vouloir profiter du bénéfice de la loi qui accorde un salaire pour la destruction des animaux féroces, nous lui avons coupé les oreilles et délivré le présent certificat pour lui servir et valloir ce que de raison. A Secondigny, etc.

CHEVALLEREAU, Agt pr le président

BAUDET, Secrétaire."

"Aujourd'hui, 6 brumaire an VIII ... par devant moi Jean Gouault, agent municipal de la commune de Melleran ... est comparu Jacques Baujet, journalier et peu fortuné, demeurant à Mandegault, lequel m'a dit qu'étant à abattre des châtaignes près de Louchette avait entendu crier au loup enragé par différents individus qui le poursuivaient ; et ayant accouru au plus vite au devant dudit animal avec un fusil que lui avait procuré le citoyen Motheau, de Louchette, il avait tué l'animal avec beaucoup de peine ; d'après avoir fait de grands dégâts aux chiens qui étaient à sa suite, ainsi qu'à plusieurs brebis qui étaient aux champs, gardées par leurs bergères saisies d'effroy ; et sur lesquelles l'animal furieux aurait indubitablement, sans le courage intrépide de Baujet, exercé les mêmes ravages ..."

"Noirlieu, 9 nivôse an VIII ... A comparu devant nous le sieur Billy, bordier ..., lequel nous a dit que le 7 courant, étant occupé à rompre la glace pour donner de la facilité à ses bestiaux de boire, un loup vint se jeter sur lui pour le dévorer et le mordit à l'estomac, qu'il avait appliqué sur la tête de l'animal deux coups du piard dont il se servait et avait été assez heureux de l'étourdir et le jeter par terre, et qu'il lui avait ensuite coupé la tête avec un hachereau. Le comparant nous a montré la tête du loup, qui dénote qu'il était monstrueux (sic) puisqu'elle pèse plus de sept livres.

(Les administrateurs municipaux du canton de Bressuire)."

Les demandes pour l'organisation des battues dans les régions infestées de loups sont assez nombreuses ; mais dans la Gâtine et le Bocage, cette requête donne lieu à des difficultés particulières, les épisodes de la Guerre de Vendée ayant amené la confiscation des fusils possédés par les habitants de la région.

Voici quelques documents relatifs à ces difficultés et à la façon dont elles furent résolues :

"Du 26 pluviôse an V.

L'agent de Bressuire à l'administration du département des Deux-Sèvres, à Niort.

Votre avis pour la destruction des loups flatterait infiniment les habitants de nos contrées, s'il leur était permis de porter des armes pour chasser ; mais cette permission ne doit s'accorder qu'avec les plus grands ménagements ; ils ont tous des armes, je n'en ignore pas ; mais la bonne police que le commandant et moi avons exercée les empêche de s'en servir et de les mettre au jour.

Signé : DUTEMPLE"

"Saint-Aubin-de-Baubigné, 13 messiror an V.

Requête de Marie-Jeanne Landron, veuve Bouchet, aux membres de l'administration municipale de Châtillon.

Citoyens, Marie-Jeanne Landron, femme veuve Bouchet, vous expose qu'au mois de frimaire dernier, Jean-Pierre Bouchet, son mari, occupé à fermer la haye d'un pré, fut assailli par un loup enragé qui lui déchira la main et lui fit à la cuisse une légère blessure ; qu'alors Pierre Bouchet, se sentant blessé, s'écria en se jetant sur cette bête féroce : "Je fais le sacrifice de mes jours pour délivrer mon païs des ravages que peut lui faire ce loup enragé. Heureux si ma mort conserve la vie à mes voisins" ; qu'alors il s'engagea un combat singulier entre lui et cet animal ; que, couvert de blessures, il eut la force de lui trancher la tête avec la hache qu'il tenait à la main pour sa défense ; que Jean-Pierre Bouchet, au bout de quelques jours, est mort à la suite de ses blessures, et qu'il a laissé en mourant une veuve avec une nombreuse famille qui ne trouvait des moyens de subsistance que dans le produit des journées de travail de son infortuné mari ... Vous invite, citoyens administrateurs, à vouloir solliciter du département une récompense pécuniaire pour l'action généreuse de son malheureux époux.

Pour la veuve Bouchet, qui ne sait pas signer : PROUST (Les faits exposés dans cette requête sont certifiés véritables par 17 habitants de Saint-Aubin-de-Baubigné)."

"Châtillon-sur-Sèvre, 5 nivôse an VI.

Les administrateurs municipaux du canton de Châtillon à l'administration centrale du département des Deux-Sèvres, à Niort.

Citoyens,

Par nos lettres des 18 prairial et 13 messidor derniers, nous vous avons adressé un procès-verbal des habitans de la commune de Saint-Aubin-de-Baubigné constatant que le nommé Bouchet a fait le sacrifice de sa vie pour la destruction d'un loup enragé qui déjà avait fait quelques ravages dans cette commune. En poursuivant ce féroce animal, il l'atteignit et parvint à lui couper la tête ; mais il se trouva malheureusement blessé dans le combat qu'il fut forcé d'avoir avec lui, et succomba peu de jours après. Il a laissé en mourant une veuve chargée de plusieurs enfants et dans la plus grande misère.

L'action généreuse du nommé Bouchet donne certainement à sa veuve et à ses enfants des droits à la reconnaissance publique, et mérite qu'il leur soit accordé une récompense proportionnée à la perte qu'ils ont fait par la mort de leur mari et père, et c'est ce que nous vous avons demandé par nos lettres sus-citées ; cependant nous voyons avec peine que nos demandes ont été infructueuses jusqu'à présent. L'état déplorable de détresse où se trouve cette malheureuse famille exige une récompense que la loi du 10 messidor an V lui promet ; mais nous pensons que la somme de 150 fr. est inférieure à celle qu'elle doit avoir, si vous prenés en considération l'action héroïque de cet infortuné ; et nous vous prions de donner à cette récompense toute la latitude qui sera en votre pouvoir.

Salut et fraternité.

PROUST, Secrétaire en chef ; CHAUVIN, Président."

"8 vendémiaire an IX

Le Sous-Préfet de l'arrondissement de Thouars au Préfet du département des Deux-Sèvres.

Citoyen,

J'ai provoqué plusieurs chasses au loups ; elles ont été assez heureuses : mais cinq à six loups qui ont été tués ne sont pas même un palliatif au mal ; il est si grand, et le nombre des loups est si considérable que les plaintes retentissent de toutes parts autour de moi.

Jusqu'à présent j'ai été très circonspect sur le port d'armes, non seulement je ne vous ai pas transmis toutes les demandes qui m'ont été faites, mais je n'ai pas appuyé celles qui vous ont été adressées directement. La crainte de mettre des armes dans des mains ennemies m'a retenu, et je n'ai vu que ce que la sûreté générale me montrait.

Aujourd'hui, je suis convaincu que tous ceux qui demandent des ports d'armes ont des armes, et que ces armes sont plus dangereuses dans leurs mains lorsqu'ils sont forcés de les cacher que s'ils avaient la permission de les porter, et cela n'est point un sophisme.

Quoiqu'il en soit, les loups se sont tellement multipliés, et ils causent des dommages si considérables que l'intérêt du Gouvernement exige une mesure généralle. Tous les notables des communes demandent à être autorisés à courre dessus, sans cela il sera impossible aux administrés de payer leurs contributions. Il n'y a pas de nuit que dans chaque commune plusieurs boeufs, vaches, veaux et moutons ne soient égorgés. Le bétail fait toute la richesse du Bocage.

Voilà, citoyens, les représentations que j'ai promis de vous faire ; vous déciderez ce que votre sagesse vous dictera.

Salut et respect.

REDON"

"Parthenay, le 20 ventôse an VIII.

Le Commissaire du Gouvernement près l'administration du canton d'Amaillou, aux citoyens administrateurs du département des Deux-Sèvres.

Citoyens,

Je dois vous prévenir des réclamations qui me sont journellement faittes par les habitants du canton d'Amaillou tendant à être par vous autorisés à faire dans les bois qui les environnent une chasse au loups. Ces animaux ne cessent de détruire les brebis et bestiaux qu'ils peuvent avoir. Il est à ma connaissance que ces loups se promènent par dix ou douze et quinze ensemble, que même ils se jettent sur les bergers qui gardent les bestiaux. Je vous prierai donc, citoyens, en mon particulier, de m'accorder une permission de chasser avec les habitants des environs dans les bois d'Amaillou, avant que les bleds ne soient plus grands et que le feuillage ne soit venu, toutefois en me concertant, d'après votre autorisation, avec la force armée stationnée à Parthenay, à Bressuire et autres cantonnements, afin de ne point les inquiéter ni l'être vous-même. J'attends votre décision à cet égard.

Je vous salue très fraternellement.

BISSON, fils, Commissaire"

L'autorisation est accordée le 3 germinal.

"Niort, 27 germinal an VIII

Le général de brigade Dufresse, commandant la subdivision des Deux-Sèvres, au citoyen Dupin, préfet des Deux-Sèvres.

J'ai reçu, citoyen préfet, la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire relativement à la demande faite par la commune d'Amaillou - du 17 germinal an VIII - d'une autorisation pour faire une battue générale contre les loups qui ravagent le pays.

Le général en chef, par son arrêté du 12 ventôse, laisse les armes aux propriétaires et aux fermiers pour se défendre contre ces animaux ; l'ordre de désarmement ne peut donc offrir aucun empêchement à cette opération de sûreté publique.

Je viens, en conformité de vos observations, d'envoyer au chef de bataillon commandant dans le nord du département du canton d'Amaillou et de nommer, pour la diriger, un officier assés adroit et assés prudent pour que nous n'ayons à redouter aucun des évènements fâcheux qui sont toujours la suite de ces sortes de chasse ...

Signé : DUFRESSE."

"Extrait du registre des délibérations de l'administration municipale du canton d'Oiron (Séance du 28 thermidor an VI)

Instruits qu'il existe dans l'arrondissement de ce canton, une assez grande quantité de loups, notamment dans le parc d'Oiron, que ces animaux font journellement des incursions dans les troupeaux de brebis, ce qui désole les propriétaires qui n'ont aucun moyen de les détruire, (les administrateurs du canton proposent d'accorder une subvention de 30 francs au citoyen Morquion, garde forestier des bois nationaux de ce canton, pour lui permettre d'acquérir les drogues nécessaires à la composition d'un appât infaillible contre les loups, dont il possède le secret.)."

"La Mothe-Saint-Héray, le 2 messidor an V

L'administration municipale aux administrateurs du département des Deux-Sèvres.

Citoyens,

Les ravages multipliés que causent les loups dans nos campagnes ont engagé la plupart de nos administrés à solliciter auprès de nous la permission de faire des battues ...

Piet Berton, président de l'administration forestière provisoire du département, écrit, le 12 prairial an V, le 7 messidor, le 23 prairial, pour rendre compte de l'organisation de battues faites dans les forêts de Chizé et d'Aulnay. Ces battues n'ont donné aucun résultat."

Si maintenant nous examinons les conséquences de cette lutte pour la destruction des loups sur notre territoire, nous pourrons constater, par le chiffre des primes accordées, la marche relativement rapide de l'extinction de l'espèce.

Pour l'an V et l'an IV (la loi avait un effet rétroactif), il fut alloué un chiffre de 4.130 francs en raison de la destruction de 138 loups et louveteaux.

Pour l'an VI, la dépense est de 3.580 francs correspondant à 119 bêtes mises à mort.

En l'an VII, la destruction de 128 loups coûta au département 3.460 francs de primes.

L'an VIII vit périr 98 loups et louves et l'an IX, 124.

Le chiffre s'abaisse à 63 pour l'an X, mais se relève à 118 unité en l'an XIII.

En nous reportant à l'examen des primes accordées cent ans plus tard, nous trouvons :

13 loups tués en 1894 ;

7 loups tués en 1895 ;

6 loups tués en 1896 ;

9 loups tués en 1897 ;

4 loups tués en 1898 ;

1 loup tué en 1901.

 Aucun loup n'est tué au cours des années 1899, 1900, 1902, 1903, 1904 et 1905.

L'examen des listes de récompenses accordées nous a permis, en outre de constater que les loups, si abondants avant la Révolution dans le nord du département, en ont à peu près complètement disparu bien avant la fin du XIXe siècle. Presque tous ceux dont la destruction a motivé une prime au cours des dix dernières années proviennent des cantons de Sauzé-Vaussais et de Lezay, où, du reste, leur nombre n'a cessé de décroître.

H. GELIN

Mémoires - Société historique et scientifique des Deux-Sèvres - 1905

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