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La Maraîchine Normande
27 novembre 2012

LE TABLIER (85) ♣ LA COMBE-AUX-LOUPS

LE TABLIER

Tous les volontaires du Tablier n'avaient point passé la Loire à la suite de la Grande Armée. Ceux qui étaient retournés dans leur pays allèrent se joindre aux soldats de Charette ; et comme ils ne se souciaient guère d'obéir désormais à Saint-Pal, auquel ils reprochaient de manquer de bravoure, le général en chef du Bas-Poitou, les attacha à la division de Le Moëlle, qui transporta du Tablier à Saint-Vincent-sur-Graon le quartier général de son prédécesseur.

Avec Le Moëlle, on était sûr de ne jamais "bourder", car il était brave entre les plus braves ; mais il avait imposé à ses soldats une discipline des plus rigoureuses, et ses moyens de répressions passaient réellement les bornes. M. de Brem, qui a reçu les confidences de Guillemineau (le fameux Bonhomme Quatorze de Nesmy), écrit à ce propos dans ses Notes inédites : "Ce chef (Le Moëlle) ne se fit pas aimer à cause de la rudesse de son commandement. Il faisait bâtonner ses gens à tout propos, oubliant ainsi qu'ils étaient là volontairement."

Tout en murmurant contre de pareils procédés, les gâs du Tablier n'en marchaient pas moins au feu, de bon coeur, sous les ordres d'un chef dont ils admiraient la bravoure, et, au cours des diverses campagnes de Charette, ils figurèrent parmi les plus intrépides soldats de la division. Je signalerai spécialement deux de ces braves : Louis Vincent, du village du Fief, et un membre de la famille Brechotteau, du village de l'Étang. Le premier mort plus qu'octogénaire, a bien souvent raconté toutes ses campagnes à M. de Brem, et celui-ci lui doit une partie des anecdotes consignées dans les Notes inédites qui m'ont été communiquées.

Louis Vincent et son camarade Brechotteau avaient suivi la Grande Armée et fait toute la campagne d'outre-Loire. Echappés tous deux au désastre de Savenay, ils s'étaient réfugiés chez un brave Breton qui n'avait point hésité à les cacher, au risque d'être dénoncé comme brigand et massacré par les Bleus. Après plusieurs tentatives infructueuses, les deux fugitifs réussirent à passer la Loire et se rendirent aussitôt à l'armée de Charette, où Louis Vincent devint porte-drapeau.

La mère de ce Louis Vincent fut au nombre des victimes des Colonnes infernales. L'une des notes de M. de Brem, rédigée sous la dictée de l'ancien porte-drapeau de Charette, est ainsi conçue :

"Le souvenir des atrocités commises par la colonne infernale de Huché, résidant à Luçon, est encore vivant chez les vieillards du Tablier et des paroisses voisines. Cette colonne, disent-ils, s'étendait sur une lieue de large, brûlant et massacrant tout ce qu'elle rencontrait, furetant dans tous les bois, les genêts et jusque dans le creux des arbres. Une femme du Tablier, nommée Martineau, épouse de Vincent, père du porte-drapeau, avait été porter un peu de blé à moudre au moulin du Plessis de Rosnay, qui, appartenant à un meunier patriote, avait seul été épargné dans cette immense dévastation. Elle s'y trouvait avec treize autres personnes, y compris le meunier, lorsque les Bleus arrivèrent. Après avoir fermé en dehors la porte du moulin, ces abominables incendiaires y mirent le feu et brûlèrent tout vivant ces quatorze malheureux."

Toutes les femmes, tous les vieillards et tous les enfants du Tablier auraient très probablement subi, tôt ou tard, le même sort que ces quatorze victimes s'ils n'avaient eu la chance de trouver un asile dans le fameux refuge de la Combe-aux-Loups, en compagnie d'une foule d'habitants des paroisses voisines. La Combe-aux-Loups, située à l'extrémité S.-E. de la commune du Tablier ; je tiens à compléter ici mon enquête et il me suffira pour cela de passer la plume à M. de Brem, qui a eu la bonne fortune de pouvoir recueillir sur place les témoignages les plus précis :

 

 

"A l'extrémité des landes de la Belle-Etoile, on remarque une dépression de terrain considérable qu'on ne saurait appeler un vallon, mais qui ressemble plutôt à ce qu'on nomme dans le pays une combe ; aussi est-elle connue sous le nom de la Combe-aux-Loups. Cette cavité, toute plantée d'antiques futaies et de genêts gigantesques, était cachée par un épais rideau d'arbres épars sur le bord de la lande, en manière de clairs-chênes, de sorte qu'il était impossible d'en soupçonner l'existence, même en passant par les chemins peu fréquentés des environs. Au fond de cette espèce d'entonnoir venait sourdre une fontaine assez abondante ; il s'en échappait un petit ruisseau dont le murmure était si doux et si paisible, qu'il semblait craindre lui-même de trahir le secret de ce lieu solitaire. Il glissait silencieusement à travers les aunes durant l'espace d'un quart de lieue, puis il se perdait dans l'Yon par une issue étroite et masquée, derrière les blocs de granit qui bordent les rives pittoresques de cette charmante rivière.

C'est là que les vieillards, les femmes et les enfants avaient établi leur "cache" et qu'ils menaient, sous l'oeil de Dieu, leur vie d'angoisses et de misères. Des huttes de branches et de feuillages, des charrettes renversées en arrière et recouvertes de bernes en forme de tentes, étaient éparses çà et là dans le fourré ; mais on avait ménagé une petite place à peu près circulaire au milieu de laquelle s'élevait l'église ... Oui, l'église, car c'était là, dans cette cabane de verdure, un peu plus grande et plus ornée que les autres, que le Dieu de la France, chassé de ses superbes cathédrales, avait voulu se réfugier. C'était là que le vieux curé de Saint-*** célébrait la messe chaque matin, au point du jour, sur un ancien dolmen qui avait servi peut-être à des sacrifices grossiers et sanguinaires, et qui semblait être resté là, depuis des siècles, pour attendre l'heure d'une nouvelle et plus sainte consécration.

L'autel était paré chaque jour, de bruyères roses et d'autres fleurs sauvages par les soins de quelques religieuses du couvent des Cerisiers, qui avaient préféré cette misérable existence aux hontes de l'apostasie. Ces saintes filles, presque sans ressources dans cette solitude, avaient pourtant trouvé le secret d'entretenir le linge de l'église dans un état d'exquise propreté et de raccommoder les ornements sacrés avec soin ; les fleurs et la verdure ne manquaient jamais ; de sorte que le saint-sacrifice se célébrait avec une certaine pompe rustique, qui n'éblouissait pas les yeux, mais qui allait droit au coeur des fidèles.

Chaque jour on priait pour les morts de la paroisse, en général ; mais il arrivait souvent qu'un des habitants de ce séjour s'approchait du prêtre, au moment où il allait monter à l'autel, et lui parlait à voix basse. C'était ordinairement pour lui dire : "Monsieur le curé, s'il vous plaît, "huchez" donc la recommandation de l'âme pour un tel, qui a été tué hier, à tel endroit." A l'annonce de ce nouveau malheur, tous serraient leur chapelet avec plus de force et redoublaient leurs prières ; mais c'était tout ; il n'y avait plus de larmes dans les yeux des proscrits ! Quelquefois pourtant on entendait un gémissement étouffé ... C'était une pauvre mère qui s'affaissait sous le poids de sa douleur ; on l'emportait dans sa cabane, et, la messe finie, le bon curé courait la consoler, car c'était là sa mission divine et son occupation de chaque jour.

Ce saint prêtre, qui n'avait jamais voulu consentir à quitter son pauvre troupeau pour passer à l'étranger, était non seulement le directeur des consciences, mais encore il était devenu, par l'ascendant moral attaché à son caractère, par la supériorité de son intelligence et par la force même des choses, l'administrateur civil de la petite colonie qui s'en trouvait à merveille. C'était lui qui tenait les actes de l'état-civil, grâce aux pages blanches du commencement et de la fin de son bréviaire, sur lesquelles il inscrivait au crayon les naissances et les décès du Refuge ; car c'est ainsi qu'on appelait alors ces champêtres asiles. Il avait partagé les heures de la journée entre la prière et le travail. Les vieillards confectionnaient des cartouches pour l'armée, les femmes filaient ou faisaient de la charpie pour les blessés, qui venaient là se faire panser et se guérir, ou du moins mourir sur le sol bien-aimé de la paroisse. Les plus ingambes allaient le soir à la pêche dans la rivière ; les enfants tendaient des lacs au gibier, qui abondait alors ; tous cherchaient enfin à se rendre utiles et à augmenter, autant que possible, les chétives provisions de la communauté.

Le blé qui, Dieu merci, n'avait point encore complètement manqué, le vin réservé pour la messe et les malades étaient contenus dans des barriques enfoncées en terre ; elles étaient recouvertes de planches sur lesquelles on avait plaqué des pelouses, pareilles au gazon des environs, si bien qu'il était impossible, même à celui qui les eût foulées aux pieds, de s'apercevoir de la ruse. Depuis que le moulin du Plessis de Rosnay avait été brûlé avec quatorze personnes vivantes par la colonne infernale du général Huché, il n'en restait pas un seul dans tout le pays, et il fallait nécessairement se servir de moulins à bras pour obtenir de la farine de seigle, qui se distribuait toutes les semaines avec une grande parcimonie.

Il était défendu d'avoir de la lumière sans une nécessité absolue, et le feu qu'on était obligé d'allumer pour cuire les aliments ne devait se faire que la nuit, dans la crainte que la fumée ne vint à le trahir ; encore fallait-il prendre des précautions infinies.

Aussi, le spectacle qu'offrait ce campement au milieu des bois était des plus misérables et des plus étranges. On voyait circuler, par les sentiers qui servaient de rues à cette ville d'un nouveau genre, des hommes et des femmes pâles et couverts de haillons, qui passaient et repassaient comme des ombres, sans se parler, ou du moins sans que le son de leur voix pût arriver à des oreilles étrangères. C'est que le silence et le mystère étaient leur vie à ces pauvres gens, et c'est pour cela qu'on avait banni du refuge tous les métiers bruyants, et jusqu'aux animaux domestiques, dont le caquetage ou les aboiements auraient pu nuire à la sécurité. Des boeufs et des vaches paissaient çà et là dans les prairies ; mais cette circonstance n'avait rien de compromettant, car, en ce temps-là, les troupeaux errants et sans maîtres n'étaient pas rares, et les bêtes à cornes avaient même prodigieusement multiplié. Les jeunes filles allaient tous les soirs, à la brune, armées de vases en bois d'aune creusés par les sabotiers, traire les vaches, qui se rendaient docilement à leur voix ; et c'était encore une précieuse ressource pour les malheureux proscrits.

On comprend, du reste, que tout ce qui tient aux aisances de la vie civilisée leur manquait complètement. Les "marcelots" ou colporteurs n'osaient plus se hasarder dans le Bocage, et c'était à grand'peine que les femmes pouvaient se procurer, de temps à autre, un peu de résine pour veiller les malades, du fil, des aiguilles, des lacets et ces mille riens si nécessaires au ménage ou à la toilette la moins prétentieuse et la plus grossière. C'était enfin une vie de privations, d'anxiétés et de continuelles alarmes, mais dont la misère était relevée et presque sanctifié par une résignation digne des premiers siècles de l'Église."

Grâce à ce "refuge" de la Combe-aux-Loups, où les Bleus ne pénétrèrent jamais, la paroisse du Tablier ne fournit que peu de victimes aux Colonnes infernales, et ce fut surtout parmi les hommes valides et enrôlés qu'elle compta des martyrs. La plupart de ceux-ci moururent sur les champs de bataille, face à l'ennemi ; quelques-uns, tombés au pouvoir des Bleus, montèrent à l'échafaud ou furent fusillés.

Parmi les braves gâs de la paroisse qui avaient suivi la Grande Armée au-delà de la Loire, quatre furent faits prisonniers après le désastre de Savenay et conduits à Nantes, où la commission militaire les fit fusiller. Voici leurs noms, relevés sur les listes officielles si minutieusement dressées par M. Lallié :

BERION Louis, âgé de trente-trois ans ;

BOINEAU Michel, âgé de vingt-huit ans ;

BOITARD René, âgé de trente-deux ans ;

LÉON Paul, âgé de trente-quatre ans.

Les trois premiers firent partie d'une fournée de deux cent quatre-vingt dix prisonniers, condamnés en bloc, le 13 nivôse an II (2 janvier 1794), et fusillés le jour même, dans les fameuses carrières de Gigant. Le quatrième fut fusillé le lendemain, au même lieu : la fournée, ce jour-là, n'était "que" de cent-une victimes !

Sans compter l'instituteur Arnaud, dont il a été question dans la précédente chronique, deux autres insurgés du Tablier furent condamnés à mort par le tribunal criminel du département de la Vendée : François REMAUD, âgé de quarante-cinq ans, et Jacques MARTINEAU, journalier, âgé de cinquante-deux ans. Tous deux furent guillotinés à Fontenay ; le premier, le 23 février 1794 ; le second, le 25 mars de la même année.

 

LA VENDÉE HISTORIQUE

1904

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