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La Maraîchine Normande
22 novembre 2012

MAURIAC (15) - CATHERINE JARRIGE, LA CATINON-MENETTE ♣ 1ère partie

 

Jarrige Catherine - Catinon Menette

 

L'an de grâce 1744, le 28 janvier, Etienne Demiches, curé du Vigean, bénissait le mariage de Pierre Jarrige et de Marie Célairier. Marie, âgée de 24 ans, était fille de Charles Célarier et de Jeanne Barrier, gens peu riches, domiciliés au Vigean, petit bourg situé aux portes de Mauriac. Elle n'avait reçu que l'éducation du pauvre, elle ne savait pas écrire.

Pierre était un garçon de 30 ans, fils d'autre Pierre Jarrige et d'Hélix Malaprade, habitants du Mas, hameau de la paroisse de Mauriac, situé sur le penchant du Puy-Saint-Mary, à un quart d'heure de la ville. C'est à l'ombre salutaire de l'antique chapelle dédiée à l'un des Apôtres de l'Auvergne, que grandit le jeune homme. Il était bon chrétien, peu riche, peu instruit ; il savait pourtant écrire, car on voit sa signature au bas de l'acte de son mariage, dans les vieux registres du Vigean.

 

Chapelle du Puy-Saint-Mary

La Chapelle du Puy-Saint-Mary

Les nouveaux époux vécurent comme vivent les pauvres de la Haute-Auvergne, assez étroitement, par leur travail, gagnant leur pain à la sueur de leur front. Jarrige se fixa chez son beau-père, et c'est là que naquit son premier enfant, une fille, le 6 novembre 1744 ; elle reçut le nom de Jeanne, et le bon curé Demiches baptisa ce premier fruit de ses bénédictions.

Saisi des sollicitudes paternelles et inquiet de l'avenir, Jarrige, pour donner du pain à sa famille naissante, prend le parti que prennent pour vivre les habitants pauvres de nos montagnes : il se fait fermier, et le 25 mars 1745, il entre, en cette qualité, au domaine du sieur Gabriel Jarrige, au village des Chambres, sur la paroisse du Vigean. Il y resta quatre ans, puis, le 25 mars 1749, il devint métayer de M. Chapouille, bourgeois de Mauriac, à Salzines, village voisin de la ville, où il resta encore quatre ans.

Quand il quitta Salzines pour se rendre à Doumis, le 25 mars 1753, Pierre Jarrige avait six enfants : Jeanne, dont nous avons parlé ; Marguerite, née le 25 novembre 1745 ; Antoine, le 6 mai 1747 ; Jean, le 21 novembre 1748 ; Toinette, le 13 février 1751 ; et Charles, le 16 septembre 1752.

Doumis, où il fut plusieurs années fermier d'un certain Clary, est un village de la paroisse de Chalvignac, bâti sur les hauteurs de la vallée d'Auze, à deux heures de Mauriac. C'est dans ce village solitaire que naquit, le 4 octobre 1754, le septième et dernier enfant des époux Jarrige, une fille qu'on appela Catherine ; c'est celle dont nous écrivons la vie.

 

JARRIGE Catherine - acte naissance

 

A peine eut-elle ouvert les yeux sur ses parents et sur le monde, que Dieu sembla lui apprendre le détachement des parents et du monde ; elle n'eut pas le bonheur d'avoir pour parrain et marraine des membres de sa famille. Deux étrangers la présentèrent à Dieu dans l'église de Chalvignac : Charles Clary et Catherine Clary, les propriétaires de la ferme ; M. Rigal, vicaire, baptisa cette fille de bénédiction. [le 5 octobre 1754]

Il est ici une autre circonstance à remarquer : Catherine est le nom d'une illustre Menette, née à Sienne, en Italie, de parents pauvres, consacrée à Dieu dès sa jeunesse ; dans le tiers ordre de Saint Dominique, et morte à Rome en 1380. Eh bien ! la pieuse fille dont nous écrivons la vie ; est née comme elle de parents pauvres, fut comme elle appelée Catherine, se consacra comme elle à Dieu dès sa jeunesse, dans le tiers ordre de saint Dominique, et comme elle, enfin, fut d'une immense charité enviers les malades et les pauvres.

Ne peut-on pas voir là le doigt de Dieu et une attention merveilleuse de Sainte Catherine de Sienne, qui voulut former la pauvre petite fille de Doumis à son image et ressemblance, afin de la donner aux bonnes soeurs de notre pays comme un modèle, un encouragement, une gloire ? ...

La petite Catherine grandit au milieu de ses trois frères et de ses trois soeurs avec lesquels elle partageait l'amour de la bonne Mère. Quand ses forces eurent grandi avec ses années, elle les aida tous dans les travaux de la ferme. Elle allait garder sur les collines de Doumis les chèvres et les brebis de la métairie, en compagnie de petits garçons et de petites filles, pauvrement vêtue, même un peu débraillée, ayant une quenouille à filer, qu'elle ne filait pas ; un bas à tricoter, qu'elle ne tricotait pas ; jouant le long des bois, courant, babillant, se battant. A la maison, elle portait le bois au foyer, puisait l'eau et participait à tous les travaux du ménage avec grande ardeur, car elle était courageuse et vive. Elle apprit à coudre, à filer, à croire en Dieu ; elle sut des choses saintes ce que savait sa mère.

Cette vie de famille si douce, si suave, si nécessaire au bonheur de l'homme ici-bas, fut de courte durée pour la pauvre enfant. Jarrige quitta la ferme de Clary, de Doumis, et prit le parti d'aller servir un maître ; les frères et soeurs se louèrent ; comme lui et comme eux, Catherine se loua ; "elle n'avait que neuf ans. Elle servit successivement plusieurs maîtres avec une fidélité, une activité, une intelligence qui la distinguèrent dans sa condition".

Le travail et la privation de la famille n'altérèrent pas son humeur enjouée : elle était bruyante et aimait à jouer des tours de passe-passe à ses camarades, les pâtres qu'elle rencontrait en gardant ses brebis. Dans sa vieillesse, la bonne femme racontait avec une angélique simplicité les fredaines du jeune âge. "Quand j'étais jeune, disait-elle, j'étais bien méchante. Mes maîtres m'envoyaient garder les troupeaux, je trouvais d'autres bergers dans la campagne, et la journée ne se passait guère sans quelque esclandre. Pour une raison ou pour une autre, nous avions toujours quelque querelle à vider entre nous ; comme je n'étais pas la plus forte, j'attrapais les coups, je gardais rancune, et le lendemain j'épiais le moment où mes camarades ne me voyaient pas pour ouvrir les claires-voies des pâturages ou faire un trou dans la muraille, de sorte que leurs troupeaux allaient et venaient à l'aventure dans les héritages voisins, ce qui valait à mes chers compagnons une bonne tancée le soir, quand ils arrivaient chez eux ; c'était là ma vengeance, il n'y avait qu'un inconvénient à ce la : c'est que les jours suivants j'étais obligée de me tenir en garde pour éviter les fortes raclées que m'auraient données volontiers mes bons amis."

Parfois ses maîtres l'envoyaient faire des commissions à Mauriac. Or, il paraît qu'à cette époque, comme de nos jours, les hommes des bords de la Dordogne, venant au marché, attachaient leurs montures à l'entrée de la rue Saint-Mary, par laquelle ils arrivaient. Catherine, venant à passer par là, trouvait bon de s'amuser un instant ; et comme elle avait le talent de n'être jamais seule dans ses espiègleries, elle s'empressait, avec tout ce qu'elle pouvait ramasser d'étourdis dans la rue, de se hucher sur ces pauvres bêtes, et de les pousser vigoureusement sur tous les chemins. Tous de courir à qui mieux mieux, et elle, la folle, de se pâmer de rire devant cette cavalcade grotesque, au milieu de ce troupeau ruant, trottant, grommelant, qui se précipitait comme une trombe à travers les bruyères du Puy-Saint-Mary.

Elle ne prévoyait pas alors, la rieuse fille, que ces prouesses du jeune âge seraient dans la suite un remords, une peine de conscience.

A l'époque de sa première communion, Catherine devint plus sérieuse, pieuse même ; elle apprit son catéchisme, ce fut toute sa science. A cette époque, un prêtre allait chaque dimanche enseigner les enfants, tour à tour dans chaque village de la paroisse de Mauriac. Catherine se rendait à ces catéchismes avec empressement ; elle fit sa première communion avec une piété d'ange qu'on trouve dans les âmes candides mais ardentes.

A peu de distance de cet acte mémorable de la vie chrétienne, Dieu frappait Catherine dans ses plus chères affections ; la pauvre enfant devenait orpheline. Le 22 décembre 1767, au village du Cher, où elle s'était retirée, Marie Célarier, sa bonne mère, rendait à Dieu son âme sanctifiée par les derniers sacrements, disent les registres de Chalvignac. Catherine avait douze ans, Dieu commençait à la mener par la voie des sacrifices. ...

Nature ardente et vive, Catherine était dans sa jeunesse une de ces âmes qui courent avec le même élan tour à tour vers le monde et vers Dieu. Pieuse à sa première communion, triste à la mort de sa mère, elle reprit bientôt son humeur enjouée ; elle avait pour la danse un attrait singulier. "Je prenais, disait-elle, un gros bâton ferré et je partais ; j'allais partout où il y avait une veillée, une danse, une musette." ...

Un évènement qui faillit lui coûter la vie, la détermina entièrement, ou du moins contribua beaucoup à fixer ses incertitudes. Elle allait un jour à la fête de Soursac, au-delà de la Dordogne ; elle était accompagnée d'une autre fille, et toutes les deux se promettaient bien de s'en donner à coeur-joie, mais elle comptaient sans Dieu et sans l'eau. Point de pont sur la rivière ; une simple barque, conduite par un bâtelier, passait les voyageurs. Nos hardies jeunes filles n'hésitent pas un instant à monter dans la fragile nacelle, elles ne reculaient pas devant si peu ; mais voilà qu'au beau milieu de l'eau la pauvre barque se rompt, s'enfonce ; et nos danseuses, engouffrées dans les flots, de se débattre et de crier pitié. Elles allaient périr ; le nautonier pourtant fut assez heureux pour les sauver. Dans cet évènement, Catherine vit un avertissement du Ciel ; elle n'hésita plus.

Pour être plus libre d'accomplir les devoirs de la vie dévote qu'elle est résolue d'embrasser, elle apprend à faire la dentelle et se fixe définitivement à Mauriac.

 

MAURIAC

 

Sous l'inspiration sans doute de sainte Catherine de Sienne, cette brillante étoile dominicaine, sa patronne, la fille du fermier de Doumis choisit le tiers ordre de Saint-Dominique. Elle se présente à M. Ronnat, curé de Notre-Dame-des-Miracles de Mauriac, et cet homme de Dieu donne à cette fille du monde l'habit de la pénitence. ...

Quand la révolution commença, Catherine était prête pour les grands sacrifices, les nobles dévouements, et la ville de Mauriac connaissait déjà cette pauvre menette de taille moyenne, qui passait dans les rues, habillée de noir, avec un tablier de tiretaine, la tête couverte d'une coiffe qui s'épanouissait sur les épaules en forme de queue éparpillée de pigeon.

... à suivre ...

LA CATINON-MENETTE - Par M. l'abbé J.-B. SERRES - Aumônier du couvent de Notre-Dame, à Mauriac - 1864

Deuxième partie, ICI

Troisième partie, ICI

Quatrième et dernière partie, ICI

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