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La Maraîchine Normande
22 novembre 2012

MAURIAC (15) - CATHERINE JARRIGE, LA CATINON-MENETTE ♣ 2ème partie

Jarrige Catherine - Catinon Menette

Catherine avait trente-cinq ans quand la révolution commença. C'est pendant ce cruel bouleversement de toutes choses qu'elle déploya toute l'ampleur de sa charité et montra un zèle infatigable avec une activité prodigieuse. La révolution fut l'âge héroïque de la courageuse soeur.

Des hommes mécontents, ambitieux, sous prétexte de réformes, renversèrent le gouvernement légitime, tuèrent le roi, la reine, les nobles, tuèrent les prêtres, les femmes par milliers, massacrèrent tout ce qu'il y avait d'honnête en France, et, enrôlant tout ce qu'il y avait de bandits, organisèrent un gouvernement de scélérats et versèrent le sang le plus pur sans relâche et sans mesure. Toute la fleur d'une civilisation y périt. Le royaume fut horriblement bouleversé et les vieilles institutions détruites. C'est ce qu'on appelle la Révolution. Elle dura dix ans, les dix dernières années du dix-huitième siècle.

Dès le commencement, à Mauriac comme dans toute la France, la population fut dans une surexcitation fiévreuse. De vagues et terribles récits circulaient dans les rues ; on parlait de Bastille démolie, de brigands armés qui couraient les campagnes, brûlant les maisons, enlevant les troupeaux, saccageant les moissons. On organisait la garde nationale, les administrations nouvelles. Les clubs, les sociétés populaires, les comités patriotiques commençaient à se former, à faire du bruit. La fermentation était à son comble. On menaçait de raser les châteaux, de niveler toutes les classes sociales et de se ruer contre tout ce qui portait armoiries, crosse, froc et capuchon. Le tocsin sonnait dans toutes nos montagnes. C'était l'annado de las pours. Cette effervescence subite, ce langage nouveau remplirent Catherine de stupeur. Que signifient ces vociférations : Vive la liberté ! Mort aux aristocrates ! A bas les prêtres et les nobles ! L'imagination de la pauvre fille s'enflamme.

Il y avait à Salers, dans une maison de missionnaires, un vieux prêtre, en qui elle avait toute confiance, François Lavialle, oncle de M. l'abbé Lavialle encore vivant. Elle va le trouver et lui demande ce que signifie ce bruit qu'elle entend, ce mouvement qu'elle voit. "Ma bonne soeur, lui dit le saint missionnaire, ne vous désolez pas ; vous avez peur qu'il n'y ait bientôt plus de prêtres ! Il en aura toujours : la Providence est là ; elle y pourvoira. Nous passerons par des épreuves, c'est possible ; mais ne craignez pas, Dieu aura toujours le dessus." Catherine se retire un peu rassurée. Chemin faisant sur les montagnes, elle s'arrête fatiguée, s'assied à côté d'une pierre et s'endort. Elle a raconté depuis, avec une grande candeur, que là, derrière ce rocher de la montagne, elle avait eu le pressentiment certain de tous les malheurs et désastres qui arrivèrent dans la suite.

Aux douleurs que lui causait la révolution de jour en jour plus menaçante, vinrent s'ajouter des douleurs de famille. Dieu se plaisait à éprouver sa servante. Sa soeur était toujours malade ; et son père, le bon vieux Jarrige, quittait chrétiennement ce monde, à Cressensac, le 18 décembre 1790, âgé de soixante-dix-sept ans. Heureux père qui laissait sur la terre une fille toute de suave charité !

Cependant, prise de la fureur de détruire, l'Assemblée nationale décréta cette fameuse constitution civile du clergé, qui n'était rien moins que la destruction de la Religion et de l'Eglise en France. ...

Parmi les prêtres courageux qui, à Mauriac et dans les paroisses voisines, refusèrent de se séparer de l'Eglise, je nommerai ici : M. Ronnat, curé, qui se sauva en Espagne ; Pierre Fouilhoux, d'Auzers, principal du collège, qui émigra en Suisse avec trois de ses frères, prêtres ; Antoine, professeur de rhétorique à Mauriac ; Dominique-Antoine, dominicain à Clermont, et Guillaume, professeur à Billom ; puis Antoine Teissier, professeur de philosophie ; Gaspard Counil, professeur de troisième ; Etienne Leymonie, professeur de quatrième ; Antoine Chevalier, professeur de cinquième ; Antoine Chinchon, professeur de sixième ; Virbonnet, instituteur à Mauriac ; Antoine Sédillot, de Mauriac ; François et Géraud Lavialle, du Vigean ; Jacques Déribier, de Jaleyrac, vicaire de Saint-Paul ; Pierre-Martin Peyralbe, de Chalvignac ; Peyrié, curé de Chalvignac ; Antoine Pedebeuf, de Moussage ; Joseph Bachélerie, de Moussage ; Antoine et Pierre Périer, frères, curé et vicaire du Vigean ; François Filiol, vicaire de Drugeac ; Pierre Mailhes, de Saint-Martin ; Blanc, de Fontanges ; Pierre Mathieu, de Condamine, etc.

Ces confesseurs de la foi se cachèrent dans le pays ; ceux qui quittèrent la patrie, poussés à outrance par la fureur révolutionnaire, s'en allaient, déguisés, les uns en chaudronniers, les autres en savetiers, en marchands de dentelles, en aiguiseurs de rasoirs et de ciseaux. Quelques-uns rentrèrent avant la fin de la révolution et furent encore obligés de se cacher. Catherine rendit à tous des services importants. Les prêtres qui restèrent dans nos montagnes pendant la terreur, fuyaient dans les forêts, s'enfonçaient dans les plus noires solitudes de la Dordogne et de l'Auze, cachaient leurs têtes proscrites dans les caves, dans la paille des granges, sous les planchers de la toiture, dans les pigeonniers, sous les hangars, dans les souterrains ou les chaumières isolées sur la lisière des bois. Il y avait dans le pays un nombre considérable de cachettes ingénieusement inventées : presque chaque maison avait la sienne, les bois avaient les leurs. Les pauvres prêtres n'habitaient pas longtemps la même ; ils allaient de l'une à l'autre, couraient par les paroisses, déguisés en bourgeois, en marchands, en femmes, en vachers, confessant, administrant les malades, célébrant le saint sacrifice dans les maisons, les granges, les forêts.

Mgr de Bonal, évêque de Clermont, par une instruction pastorale datée du mois de mars 1791, leur avait donné tous les pouvoirs nécessaires dans ces temps difficiles. Ils en usèrent largement pour le salut des âmes. Ils travaillaient avec une ardeur d'apôtres, un courage de héros. En voici une preuve d'autant plus convaincante qu'elle nous est fournie par les révolutionnaires eux-mêmes. Pour comprendre le langage de cette époque, il est nécessaire de savoir qu'on appelait noir ce qui était blanc et blanc ce qui était noir ; ainsi la religion était nommée fanatisme, superstition ; les bons prêtres, prêtres pervers, fanatiques, aristocrates, réfractaires, perturbateurs du repos public, etc, etc. Les jureurs au contraire étaient appelés bons prêtres, prêtres patriotes, etc. Cela dit, voici l'éloquent morceau :

"Le fanatisme est industrieux ; les chapelles domestiques, les maisons, les chambres, les greniers, les caves, les lieux les plus abjects ont été substitués aux églises et chapelles. Partout ces prêtres pervers ont célébré les divins mystères ; partout ils ont offert le saint sacrifice de la messe ; partout enfin ils ont exercé des fonctions que les lois leur prohibent. Les citoyens, les femmes ont été exhortés à se confesser à eux en tous lieux, dans les chambres, dans les bois, derrière les buissons." (Procès-verbal des séances de l'assemblée départementale tenue à Aurillac, en décembre 1791)

Ainsi se dévouaient avec ardeur, avec amour, sans crainte de la mort, pour le bien des âmes, le salut de la Société et de l'Eglise de Dieu, nos confesseurs de la foi, nos martyrs, ces "prêtres pervers", que l'on poursuivait d'une haine d'enfer, et qu'on tâchait de rapetisser par d'âcres pamphlets où l'on jetait de tout, colère, mensonge et boue. Catherine fut pendant près de dix ans une seconde Providence pour ces malheureux proscrits de la société humaine. Elle se dévoua à leur service avec la générosité d'une vraie sainte.

Les jureurs étaient traités d'une tout autre manière. Elus curés par les assemblées électorales, ils s'introduisaient sans pouvoir et sans mission dans les paroisses, à la place des pasteurs légitimes, d'où le nom d'intrus qu'on leur donnait. Lorsque les églises furent pillées, fermées ou démolies en 1793, ils se retirèrent dans leurs familles, où ils vécurent pour la plupart assez paisiblement, munis d'un certificat de civisme. ...

Au commencement de la révolution, Catherine servait les pauvres, les malades. Les prêtres lui confiaient les missions les plus délicates, lui dévoilaient sans crainte leurs secrets, lui disaient la paroisse, la maison, la cachette où ils devaient se trouver telle semaine, tel jour ; l'informaient de leurs voyages, de leurs arrivées, de leurs départs, de leur marches et contre-marches. ...

Elle avait cent petites ruses, mille petites recettes pour déjouer adroitement les complots des patriotes, tromper leur vigilance ou leur donner le change. La bonne fille réussissait d'autant mieux, que son adresse était voilée, gazée de douce naïveté et de grande bonhomie. Elle avait l'air "de ne pas y toucher", de sorte que nul au monde ne se méfia d'elle d'abord, et que les administrateurs du district de Mauriac ne crurent jamais dans les commencements qu'une Menette de si piètre apparence fût capable de leur jouer des tours.

La généreuse dominicaine allait quêter chez les dames, chez les aristocrates, même chez les révolutionnaires modérés. Elle partageait le produit de sa ronde de charité entre les nécessiteux et les ecclésiastiques, qui, poursuivis par les gendarmeries, fuyaient dans les forêts. En outre, elle donnait le signe d'alarme quand ceux-ci étaient en danger. Elle portait d'un lieu à un autre les vases sacrés, les ornements sacerdotaux ; elle épiait, écoutait, voyait, avait l'oeil à tout : rien ne lui échappait, ni les complots qui se tramaient dans l'ombre, ni les perquisitions qui s'organisaient au chef-lieu du district. A mesure que l'orage révolutionnaire redoublait de fureur, elle redoublait d'énergie.

Elle étendait sa charité aux prêtres de toutes les paroisses voisines ; on la voyait passer dans les plaines et les vallées du Vigean, d'Arches, de Jallayrac, de Sourniac, de Chalvignac, s'enfonçant dans les rochers de la Sumène, où l'on voit encore la "cabane des prêtres". Elle franchissait la vallée d'Auze qui sépare le canton de Mauriac de celui de Pleaux, et visitait les communes échelonnées sur ses côtes : Brageac, Chaussenac, Ally, Scorailles, Drignac, Salins et Anglards. La route de Mauriac à Pleaux, tracée en 1770, était à peu près praticable, et ce ne fut qu'en 1794 qu'on construisit un pont sur la rivière. Avant comme après cette construction, Catherine passait l'eau, tantôt sur un point, tantôt sur un autre, la nuit comme le jour, au risque de périr. ...

Rien n'épouvantait Catherine. Seule, la nuit, elle passait là où l'homme le plus robuste craint encore aujourd'hui de passer dès que le soleil a disparu de l'horizon.

- Mais Menette, lui demandait-on plus tard, est-ce que vous n'aviez pas peur dans les bois, toute seule, la nuit ? - Oh ! non, répondait-elle ; en partant de Mauriac, je faisait mon acte de contrition, je mettais mon chapelet à la main, et je m'en allais. Et puis, je n'était pas seule. - Comment, vous n'étiez pas seule ? - Oh ! non. - Qui donc était avec vous ? - Le bon Dieu !

Pour n'être pas reconnue, Catherine usait de ruse : elle prenait des allures de révolutionnaire, se mettait une cocarde au chapeau, chantait la Marseillaise ou le Ça ira. Quand, à cause de l'obscurité de la nuit, elle perdait le chemin de la caverne où étaient blottis les prêtres fugitifs, elle poussait un cri ou frappait sur une pierre. Ce cri, ce coup était entendu, compris par les ecclésiastiques, qui s'empressaient de répondre par le même signal. La Menette suivait la direction du bruit, et, après avoir pataugé dans la boue une partie de la nuit, elle parvenait enfin à rencontrer ceux qu'elle cherchait. Elle vidait ses poches, son tablier, son panier, et repartait à la hâte, afin d'être de retour à Mauriac avant le jour.

Souvent Catherine passait  la nuit dans les forêts. Une fois, en compagnie d'une femme, elle était allée prévenir les prêtres d'au-delà de l'Auze de l'arrivée de la gendarmerie. Dans leur retour, arrivées au roc de Maze, dans l'ombreuse vallée, les deux voyageuses voient tout à coup sur le chemin une tête blanche : c'est le chien d'un gendarme, elles le reconnaissent. - Cachons-nous, dirent-elles, la gendarmerie est là. C'était la nuit : le chien aboie de plus belle. - Nous sommes perdues ! dit la femme. - Non, répondit la Menette, prions Notre-Dame-des-Miracles, et enfonçons-nous plus avant. Les gendarmes crurent que le chien aboyait après quelque renard, ils passèrent leur chemin. Mais les bonnes femmes s'étaient tellement enfoncées dans le fourré du bois, qu'elles ne purent plus retrouver leur route et furent obligées de coucher à la belle étoile. Catherine n'en perdit pas la joie ; elle avait la vocation du sacrifice. Elle s'en allait, faisant monter vers Dieu, avec un égal amour, l'expression de ses alarmes et le cantique de ses joies.

Quand elle arrivait en plein jour de quelque lointain voyage, elle avait soin, pour donner le change aux patriotes, de former dans la campagne un petit fagot de bois, le mettait sous le bras, et entrait ainsi dans la ville, laissant croire qu'elle venait uniquement de ramasser dans les chemins de quoi allumer son feu.

Lorsque, dans ses courses, elle voyait venir de loin quelqu'un à mine un peu suspecte, elle disparaissait un moment, s'enfonçait dans le bois ou courait derrière quelque buisson, déposait bien vite ce qu'elle portait, et continuait tranquillement sa route. Quand l'étranger était passé, la Menette rétrogradait, reprenait son précieux fardeau, les vases sacrés et la pierre de Marbre (pierre sacrée), comme elle disait, et arrivait heureusement au village solitaire où, la nuit, devait être célébré le saint sacrifice.

A Mauriac, les patriotes trouvaient grande joie à lui faire peur. - Où allez-vous, Catinon ? lui criaient-ils, avec l'accent et la mine d'un Iroquois qui poursuit un ours. - Je vais faire ce que j'ai à faire, répondait Catherine d'une voix qui avec la leur formait un singulier contraste. - Vous allez voir quelque aristocrate, quelque calotin ? Prenez garde, Menette, on vous mettra dedans. - Vous me mettrez dedans ? Ah ! vraiment la belle emplette que vous ferez ! Et toute souriante elle continuait son chemin.

Parfois elle répondait : Vous voulez me mettre en prison ? Tant mieux ! vous serez obligés de me donner du pain ; ça m'ira bien ; je n'en ai pas trop. Ou bien elle disait avec une apparence de mauvaise humeur : Mettez-moi dedans, ça m'est bien égal ! Vous serez bientôt fatigués de moi? Je n'ai pas peur de vous ! - Et elle s'en allait en fermant son poing et brandissant son bras.

Plusieurs fois, en effet, elle fut mise en réclusion, non pas précisément à cause de sa charité pour les malheureux, car au commencement de la révolution il y avait encore un peu d'humanité dans le coeur des patriotes, mais parce que, "fanatique" elle-même, elle soutenait et encourageait le "fanatisme", et secourait les prêtres réfractaires. Rien ne la décourageait ; elle continuait son oeuvre, invincible dans le danger, humble dans le succès, résignée dans la fortune adverse. ...

... à suivre ...

LA CATINON-MENETTE - Par M. l'abbé J.-B. SERRES - Aumônier du couvent de Notre-Dame, à Mauriac - 1864

Première partie, ICI

Troisième partie, ICI

Quatrième et dernière partie, ICI

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