Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
La Maraîchine Normande
18 octobre 2012

UN BAPTEME EN L'AN VI

Quoique on ait écrit beaucoup sur la déchristianisation de la Mayenne pendant la Révolution, il reste encore beaucoup à dire même après l'abbé Perrin, même après l'abbé Boullier, même après l'abbé Gaugain qui traitèrent de cette question en apportant chacun une ample moisson de documents nouveaux. Et surtout il reste encore plus à dire sur les moyens dont on usa, du côté catholique, pour lutter contre la déchristianisation officiellement poursuivie d'une région où les habitudes religieuses avaient si profondément marqué leur empreinte. Les prêtres traqués tenaient registre des actes qui dominaient la vie des paroissiens fidèles, et les cahiers qui ont résisté aux causes de destruction sont encore nombreux. Mais ce n'est pas seulement au milieu des populations où ils se réfugiaient qu'ils tâchaient de maintenir cette vie religieuse : partout où ils le pouvaient, profitant de la moindre circonstance favorable, jusque dans les cachots où ils attendaient l'échafaud ou la déportation, ils attestaient par un geste sacramentel la persistance de la foi et soutenaient la croyance populaire.

Le procès-verbal que voici nous donne un exemple curieux de ce zèle des prêtres mayennais.

L'an VI de la République française une et indivisible,

le 5 fructidor, sur les 6 heures du soir, nous gardien des maisons d'arrêt, de justice et de détention de la commune de Laval, chef-lieu du département de la Mayenne, certifions qu'étant à écrire dans notre bureau et ayant entendu un grand bruit dans la cour de cette prison, aussitôt descendu dans la ditte cour pour nous informer d'où pouvoit provenir ce bruit et qui pouvoit l'occasionner, y étant, nous y avons apperçu le citoyen René Rouxel, l'un des guichettiers de cette prison, ayant une forte rixe avec le nommé Julien Pocton, ex-prêtre réfractaire aux loix et détenu. Sur le champ interpellé le dit Rouxel de nous déclarer la raison pour laquelle il disputoit avec tant de chaleur avec le détenu Julien Pocton, à quoi il a répondu que, s'appercevant depuis une demie-heure de l'absence de sa femme, il avoit présumé qu'à l'invitation de la fille Françoise Forgé, domestique de la Charité, qui étoit venue causer avec sa femme, cette fille l'avoit probablement engagée à faire baptiser l'enfant, dont son épouze étoit accouchée, par le dit Julien Pocton qui lors étoit dans le local qui sert à faire la souppe aux détenus. Attaché aux principes du gouvernement républicain dont il se fait un devoir le plus sacré de suivre les loix, Rouxel ne voulant pas que sa femme, séduite par le fanatisme, eût trempé dans un pareil délit, pour y mettre empeschement, s'est rendu de suite à la porte de la cuisine de Charité : y étant, il a trouvé, en dehors de la ditte porte, la ditte fille Françoise dévidant du fil et qui causoit avec plusieurs autres détenus. A l'instant, il a demandé à cette fille si son épouze n'étoit point dans la cuisine. Sur la réponse affirmative qu'elle causoit avec le prêtre Pocton et sa domestique, la fille Rousseau, aussi détenue, il a aussitôt frappé avec force à cette porte. Ceux qui étaient dans l'intérieur : "Que voulez-vous ? Attendez un moment". lui ont-ils répondu. Rouxel a répliqué vivement : "Je veux que vous m'ouvriés sur-le-champ pour voir ce que vous faites-là". - "Attendez un moment", lui a-t-on encore dit.

Cependant, sur les fortes instances de Rouxel, la porte a été ouverte. Entré dans le dit appartement, il y a apperçu, vu et reconnu le dit Pocton, la tête nue, la fille Rousseau et sa femme tenant entre les bras son enfant tout démaillotté et l'estomac découvert. Ces trois individus étaient extrêmement proches les uns des autres et, d'après les gestes dudit Pocton, il a tiré conviction que ce prêtre s'était donné les airs de se mettre en devoir de baptiser son enfant et peut-être même que cela était déjà fait ; qu'il lui avoit fait à l'instant de vives reproches de ce qu'il avait profitté de la faiblesse de sa femme pour l'engager d'avoir recours à son prétendu ministère pour exercer sur son enfant des fonctions que la loy lui défendoit et pour lesquelles il étoit déjà détenu.

Tel est la déclaration que le dit Rouxel nous a faite ; a dit qu'elle contenoit vérité ...

Signé : Viviens, concierge ; Rousselle, guitié (sic)

 

 

Bulletin de la Commission historique et archéologique de la Mayenne

1920

Publicité
Commentaires
La Maraîchine Normande
  • EN MÉMOIRE DU ROI LOUIS XVI, DE LA REINE MARIE-ANTOINETTE ET DE LA FAMILLE ROYALE ; EN MÉMOIRE DES BRIGANDS ET DES CHOUANS ; EN MÉMOIRE DES HOMMES, FEMMES, VIEILLARDS, ENFANTS ASSASSINÉS, NOYÉS, GUILLOTINÉS, DÉPORTÉS ET MASSACRÉS ... PAR LA RIPOUBLIFRIC
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Newsletter
Archives
Derniers commentaires
Publicité