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La Maraîchine Normande
17 octobre 2012

LES TROUBLES DE CRAON DU 12 JUILLET AU 10 SEPTEMBRE 1789

 

 

Journal de ce qui s'est passé à Craon

"La milice bourgeoise fut créée à Craon vers le milieu du mois de juillet. Le 25 du même mois, la ville créa au hazard un comité composé de quatre membres pour prendre communication des lettres à l'adresse de M. le duc de Brissac.

Trois ou quatre jours après, on assembla la ville pour composer le comité de six membres. Il fut délibéré que l'état-major composé d'environ vingt personnes y aurait droit. La majeure partie des habitants donnèrent leurs voix pour que le comité ne durât que trois mois. Il s'est tenu depuis des assemblées très fréquentes pour animer le peuple.

Le 26 juillet, on fit la bénédiction du drapeau. M. le Marquis (Ambroise-Pierre d'Armaillé, marquis de Craon) y assista comme bon citoyen et même fut reconduit par les officiers de la milice et une partie de la troupe jusqu'à son château, le drapeau à la tête.

Le 30 juillet, il fut tenu le matin une assemblée et on députa huit citoyens pour engager M. le Marquis de remettre la place et le pré (on reprochait au seigneur de Craon d'avoir enlevé par fraude à la ville le pré dit de la Liberté et la promenade de Saint-Nicolas). Sur le refus de M. le Marquis, la ville s'assembla sur les quatre heures du soir ; il fut délibéré que les murs de la place et du pré seraient démolis. (Nota : on fit une quête dans le comité et dans l'état-major pour payer ceux qui travailleraient à cette démolition).

Le 6 août, le comité, à l'aide de l'état-major, fit avertir M. le Marquis pour venir à l'assemblée de la ville. On l'envoya chercher par un piquet de fuzilliers, le sieur Allard à leur tête. Rendu, on lui déclara, après avoir été beaucoup invectivé, qu'on allait s'emparer de son chartrier. Après l'assemblée, on le renvoya pareillement escorté de plusieurs officiers qui gardèrent son chartrier pendant son dîné, et ensuite arrivèrent commissaires, au nombre desquels étoient les sieurs Lavalée, juge au tribunal de Craon, Chartier (qui parvint à la tête de l'administration de Craon et créa une société populaire d'une violence sauvage), Bazile, d'Aigremont et autres, pour trier les titres de propriété d'avec ceux de féodalité.

Ce triage dura deux jours, pendant lesquels il y eut, jour et nuit, des gardes à la porte du chartrier ; ensuite les titres de féodalité furent enlevés et transportés au siège du comité.

Le huit août, il y eut une assemblée en l'église Saint-Nicolas pour délibérer si on brûleroit les titres de la baronnie ; les gens honnêtes s'y opposèrent. M. le Marquis fut assailly des sottises les plus atroces ! Le dimanche neuf août, il fut chanté un Te Deum où M. le Marquis assista. Ce fut dans ce jour qu'on fit la démarcation de la place et du pré.

Dans ce jour et les suivants, l'état-major forma une compagnie de volontaires, qu'on pourrait nommer avec plus juste titre une compagnie de brigands, à l'aide desquels il força les propriétaires et les fermiers d'amener des grains au marché et on fixoit le prix arbitrairement et à 20 l. par boisseau pesant 50 livres au-dessous du prix ordinaire ; il punissait avec toute la barbarie possible d'amendes et de prizons tous ceux qui ne vouloient pas obéir à ses ordres effrénés. Plusieurs des honnêtes habitants ont été insolemment emprisonnés. Ce qu'il y a de plus particulier, c'est que les sieurs Marais et Jaguelin, de la Chapelle (Chapelle-Craonnaise), ayant vendu deux charretées de froment et bled à un homme de Cossé (Cossé-le-Vivien), ce comité fit venir les sieurs Marais et Jaguelin et les força de faire revenir leurs graines à Craon afin de les y vendre aux taux fixé.

Un des membres du comité (le sieur Monier, boulanger), voyant gros à gagner sur le froment le prit au taux fixé par le comité et en fit du pain ; ce comité, qui faisoit baisser à son gré le prix du grain, bien loin de faire diminuer le prix du pain a au contraire augmenté, parce que tous les boulangers faisoient partie du comité et des volontaires.

Le comité envoyoit fréquemment des volontaires chez les propriétaires et les fermiers à trois lieues à la ronde pour les forcer d'amener du grain au marché, ce qui a empêché la libre circulation des grains si recommandée par l'Assemblée nationale, ce qui a déterminé les fermiers à faire sortir segretement leurs grains.

M. le Sénéchal ayant été absent quelque temps, le 16 août, il se tint une assemblée à Saint-Nicolas, où on proposa de créer une nouvelle juridiction ; pour cet effet, on nomma trois juges et un procureur du roi à la place des officiers ordinaires.

Au commencement du mois de septembre, il se tint encore une assemblée à Saint-Nicolas, où il fut question de la nomination de trois juges. M. Chasseboeuf (doyen des avocats), qui avoit été nommé président dans l'assemblée du 16 août, prêta serment en présence de l'assemblée. Il y fut dit que les deux autres juges et le procureur du roi prêteroient serment devant lui ; tribunal illégal, reconnu par les officiers nommés qui n'ont jamais osé exercer et qui ne le pouvoient.

Le 25 septembre, le comité, ayant reçu des lettres qui annonçoient que le sel étoit fixé à six sols la livre, deux des membres du comité (les sieurs Monier et Chartier) furent aussitôt chez plusieurs personnes pour achepter du sel à cinq liards la livre ; ils en acheptèrent deux charretées chez le nommé Fouilleul.

Le 26, il se tint une assemblée à Saint-Nicolas, où on annonça que le sel était fixé à six sols ; les habitants furent courroucés contre le comité d'avoir achepté ces deux charrettes de sel qu'ils vouloient vendre 4 sols la livre. Dans cette assemblée, il fut dit mille horreurs contre le Sénéchal (Jean-Baptiste-Michel Halbert) par le sieur Lavalée (Nota : les actes des assemblées étoient rédigés avant l'assemblée et on forçoit le sabre à la main, les honnêtes citoyens de signer ; on postoit des sentinelles à la porte de l'églize qui empêchoient de sortir sans signer). On lit en marge : "MM. L'Hommeau et Malard Chevallier."

Les habitants, le 26 septembre, conçurent le dessein de changer le comité, vu l'achapt du sel. Pour cet effet, ils tinrent une assemblée, le 27 septembre, sur les quatre heures après midi, dans la même église, pendant laquelle vinrent les volontaires, à la tête desquels étoit le sieur Doussault, ancien président au grenier à sel de Craon, commandant de la milice ; ils firent un bruit horrible et cherchèrent à dissoudre l'assemblée. Voyant ne pouvoir réussir, ils crièrent aux armes, le sabre à la main. Ceux qui étoient au bas de l'église, voyant les volontaires armés, furent forcés de sonner le tocsin pour appeler du secours. Il y eut même un coup de sabre donné par un volontaire à M. l'abbé de Florence, chanoine. Le comité, se voyant changé, députa le sieur Lavalée, avec trois volontaires, pour aller demander du secours à Laval, pour se perpétuer dans leur place. Quatre membres du comité de Laval s'offrirent pour venir pacifier les esprits à Craon ; ils les refusèrent, et, en s'en revenant, le 29 septembre, le sieur Lavalée, avec deux volontaires, rencontrèrent le sieur Lefranc, citoyen de cette ville, qu'ils voulurent assassiner dans le grand chemin, et, pour raison duquel assassinat, ils ont été décrétés.

Le 30, ils furent à la Guierche, d'où ils amenèrent 18 volontaires. Le jeudi 1er octobre, sur les dix heures du soir, plusieurs volontaires, tant de Craon que de la Guierche, en faisant patrouille, furent à la porte du sieur Lalande et voulurent entrer chez lui. Voyant qu'ils ne pourroient réussir, ils cherchèrent à foncer (sic) la porte.

Le 2 octobre, se tint une assemblée à St-Thomas, où le sieur Lavalée, après de longs discours, réussit, à l'aide des volontaires de la Guierche, armés de pistolets à leurs ceintures et dans leurs poches, à se perpétuer dans le comité, avec la modification, néanmoins, de quatre nouveaux membres.

Le 3 du même mois, les volontaires, après un copieux déjeuner, fait à l'abreuvoir, avec les volontaires de Craon, partirent pour s'en retourner par la route de Cossé. Ils firent rencontre, dans leur chemin, d'un Jacobin de Laval, qui venait prêcher à Craon et à qui ils dirent mille invectives. Rendus au bourg de Cossé, il y eut le nommé Coursier, de la Patrière, qui chercha à assassiner le nommé Legai. Plusieurs habitants de ce bourg l'ayant poursuivi pour l'arrêter, il se jetta, le sabre nud, sur le sieur Rivaud, de la Chevrie, à qui il porta un coup de sabre sur le poignet et l'a estropié.

Le 4 octobre, il y eut un cordonnier, d'un bourg voisin, qui fut chez le sieur Nupied, membre du comité, lui demander des pistolets, et fut ensuite au château parler à M. d'Armaillé. En lui parlant, il lui porta le pistolet sur l'estomac et le rata. Cet homme fut conduit au comité et il dit qu'il tenoit les pistolets du sieur Nupied. Ensuite il fut conduit en prison. Le lendemain, des huissiers voulurent le traduire à Angers, mais pendant la route il s'échapa.

Le 24 octobre, plusieurs volontaires furent, par ordre du comité, chez M. le Sénéchal, pour l'expulser de Craon. En vertu de la même délibération, les volontaires se divisèrent et furent, avec des personnes de la milice bourgeoise, chez les curés et les nobles, à qui ils enlevèrent tous leurs fusils, parce que, disoient-ils ils avoient reçu des ordres disant qu'il falloit se défier de tous les calotins.

Le 10 novembre, les volontaires et milices furent chés les fermiers et gens de la campagne pour leur défendre de brûler leur cidre, afin, disoient-ils, de le boire à meilleur marché.

C'est le comité qui a fait faire les patrouilles, les lundis, dans le marché, et qui a fait enlever une quantité de volailles et de beurres aux gens de la campagne, sans aucun objet apparent de bonne police ..."

♣♣♣

L'auteur anonyme de ce Journal ne mentionne pas les évènements du 15 août, jour où, suivant les Chroniques Craonnaises, pp. 378 et 379, "les femmes, les enfants, le peuple, armés de broches, se portèrent sur les grilles qui séparaient la promenade de l'église ; aussitôt un voisin, à qui précisément M. d'Armaillé avait enlevé un terrain pour arrondir son parc, M. Malard, fit avertir M. Doussault, commandant de la garde nationale et ancien président du grenier à sel de Craon ; grâce à cet avis, le marquis fut arraché à une mort certaine". Le même historien ajoute que les papiers de la baronnie de Craon furent brûlés. Notre auteur raconte seulement que les archives de M. d'Armaillé furent transportées au siège du comité, le 8 août. Il ne parle pas de l'émeute qui aurait eu lieu le 15 août dans laquelle la populace aurait fait mettre à genoux M. d'Armaillé pour souscrire son acte de renonciation, puis l'aurait forcé à assister, malgré lui, comme nous l'avons déjà dit, à la destruction de son chartrier brûlé par la populace.

André JOUBERT

Bulletin de la Commission

historique et archéologique

de la Mayenne.

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