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La Maraîchine Normande
25 septembre 2012

LE CHAMP DES MARTYRS (9) ♣ Septième fusillade ou massacre du 1er février 1794

 

 

Dixième lettre

Septième fusillade ou massacre du 1er février 1794.

- Soeurs Marianne et Odille - Madame Houdet et ses trois filles - Mademoiselle Bellanger.

Monsieur,

Ce n'était plus de la fièvre, c'était un délire effroyable qui dévorait les terroristes ; ils ne s'appartenaient plus, le sang leur tournait la tête, une insatiable avidité d'en répandre les tourmentait. Le jour, la nuit, leurs rêves en étaient pleins et la coupe, si vaste qu'elle fût, semblait toujours trop étroite à leurs lèvres altérées. L'homme en eux avait disparu pour laisser place non pas aux instincts des bêtes fauves qui épargnent leurs pareilles, mais à des exigences occultes infiniment supérieures en rage et en fureur.

Ils avaient nié l'enfer, et cependant ils en ont prouvé l'existence par des forfaits évidemment en dehors de la nature humaine.

"Le samedi, premier jour de février, au matin, on recommença les massacres ... Quatre cents personnes environ, tant hommes que femmes, celles-ci cependant plus nombreuses et toujours provenant des prisons royales et du château, ainsi que des communautés du Calvaire, du Bon-Pasteur, des Carmélites et des Pénitents, furent conduites dans les bois des Bons-Hommes où elles ont été impitoyablement massacrées.

Il y avait des personnes de tous les états, de toutes les conditions et de tous les pays."

Cette fusillade fut particulièrement célèbre par ses nombreux épisodes.

"On avait demandé, écrit M. Gruget, p. 2 de son Recueil, le serment aux respectables soeurs de Saint-Vincent, chargées de l'hôpital Saint-Jean ... Toutes, à l'exception de trois, le refusèrent constamment ... Il y en avait deux qu'on avait à coeur de gagner, ... C'étaient les soeurs Marianne et Odille ... On se décida à les conduire au Bon-Pasteur ... et à les sacrifier, pensant par là faire impression sur la supérieure et sur les autres qui avaient jusqu'à ce moment persisté à refuser ledit serment."

On se trompait étrangement. Le samedi, 1er février, ils tourmentèrent de nouveau la conscience de nos deux recluses, en se faisant comme un jeu d'éloigner ou de rapprocher de leur esprit les menaces de mort, suivant la crainte ou l'espoir que l'on avait de les voir persister dans le devoir ou faiblir. Le devoir l'emporta chez soeur Marianne Vaillant ; son héroïsme ne se démentit pas. La douce soeur Odille Bongard "parut un peu troublée à la vue des préparatifs ... Elle craignit de manquer de courage" ; mais au sortir de la prison, s'appuyant sur le bras de la soeur Marianne, toutes les deux liées à la même corde, elle puisa dans la fermeté de cette noble amie une force d'âme qui bannit désormais en elle toute terreur. L'une et l'autre se regardaient avec une tendre et pieuse affection, et des témoins entendirent, le long du chemin, s'échapper des lèvres de nos deux touchantes victimes ces mots plusieurs fois répétés et qu'aucunes larmes n'entrecoupaient : "Une couronne nous est destinée, ne la manquons pas aujourd'hui !"

Et leur courage soutint celui des autres martyrs.

Elles s'avancent donc "au milieu de leurs bourreaux, c'est-à-dire de deux haies de soldats armés de fusils ... Les juges les suivent par derrière ... Elles ne veulent point que des capots et des mantelets cachent leur visage ; elles portent de simples coiffes et vont ainsi tête levée au lieu du supplice, en récitant les psaumes de l'Église."

La vue de la fosse béante qui les attend ne les fait pas même reculer d'effroi, et leurs plaintes ne se mêlent point au cri d'horreur qui s'élève de toutes les poitrines à la fois. Les meurtriers s'en étonnent et leurs mains homicides restent paralysées. La haine chez eux fait place à l'admiration. Ils sont comme subjugués par l'ascendant de la vertu et du courage et comme rappelés à leur dignité d'hommes. La terreur semble même suspendue dans les rangs épais des trois cent quatre-vingt-dix-huit autres victimes, qui toutes rangées en bataille près de la grande fosse, s'encouragent à mourir chrétiennement et glorieusement à l'exemple de Marianne et d'Odille, dont les noms sont répétés avec amour et ferveur.

Le commandant n'y tient plus, il s'avance vers nos deux héroïnes pour les sauver ; la pitié est entrée dans son coeur avec l'admiration : un silence qui n'eut jamais son pareil s'établit à sa voix.

"Citoyennes, leur dit-il (je copie textuellement l'abbé Gruget, p. 10 de son Recueil), il est encore temps d'échapper à la mort dont vous êtes menacées ; vous avez rendu des services à l'humanité. Quoi ! pour un serment qu'on vous demande, vous voudriez donner votre vie et discontinuer des bonnes oeuvres que vous avez toujours faites ? Qu'il n'en soit pas ainsi ! Retournez dans votre maison, continuez de rendre les services que vous avez toujours rendus, ne faites pas le serment puisqu'il vous répugne et qu'il vous contrarie ; je prends sur moi de dire que vous l'avez prêté, et je vous donne ma parole qu'il ne vous sera rien fait ainsi qu'à vos compagnes (les autres religieuses de Saint-Vincent)."

Combien parmi les victimes, à ce langage qui ne manque assurément point de courage ni de noblesse, ne se fussent pas rattachées à la vie ? mais les femmes alors et les religieuses, en particulier, avaient des délicatesses de conscience admirables qu'à peine nous pouvons soupçonner aujourd'hui. "Citoyen, répondit Marianne ... non-seulement nous ne voulons pas faire le serment dont vous nous parlez, mais même nous ne voulons point passer pour l'avoir fait ..."

Cette réponse déconcerta le commandant, qui d'ailleurs lui-même, sous le coup de la terreur, craignit d'avoir été trop miséricordieux. "Il donna donc l'ordre de tirer, et à l'instant toutes les victimes furent renversées. La soeur Marianne ne tomba pas au coup, elle n'eut que le bras cassé. Comme Saint-Etienne, elle priait pour ses persécuteurs : - Pardonnez-leur, disait-elle, ils ne savent pas ce qu'ils font. - Aussitôt la fusillade finie, ils se jetèrent sur elle et sur toutes les autres, et avec leurs sabres et leurs baïonnettes, les hachèrent et les mirent en morceaux.

"Ce fut ainsi que ces deux respectables soeurs terminèrent glorieusement leur vie, après en avoir passé la plus grande partie aux soins des pauvres et des malades."

Le même jour et au même lieu périt Mme Houdet. Trois de ses filles, dont la plus jeune était âgée de trente-quatre ans, marchaient avec elle au supplice, elles avaient été enlevées de leur demeure située dans la paroisse de Notre-Dame de Chalonnes et conduites au Bon-Pasteur (rue Saint-Nicolas). Mme Houdet, crime impardonnable ! était mère du premier vicaire de la paroisse de la Trinité d'Angers, auquel on faisait reproche d'avoir suivi l'armée catholique, quoiqu'il se fût expatrié de lui-même en Espagne, au mois d'octobre 1792, et ensuite en Amérique où il paraît qu'il mourut. "On avait beau, assure l'abbé Gruget, montrer de ses lettres, on n'en voulait rien croire. M. de la Patrière, gendre de Mme Houdet, vint de Nantes où il demeurait, pour tirer de prison sa belle-mère et ses belles-soeurs ; il les rencontra dans la rue Saint-Nicolas, liées et garrottées. Il sollicita leur grâce et ne put rien obtenir."

Une de ces trois demoiselles était tombée malade dans la prison, "on fut même obligé de lui appliquer les emplâtres ; elle les avait aux jambes quand on vint la chercher ... Les bourreaux ne furent pas touchés de son état, ils la tirèrent de son lit, etc."

Le fait est encore plus odieux que ne le dit ici l'abbé Gruget. L'adresse du 5 frimaire de l'an III (25 novembre 1794) à la Convention, le rapporte ainsi : "Deux juges de la Commission entrèrent dans la maison du Bon-Pasteur ... Ils firent l'appel, et la citoyenne Houdet avec ses trois filles était sur la liste. Comme les malheureuses appelées ne se pressaient pas de descendre, ils firent beaucoup de tapage en jurant, et l'un d'eux, mettant le sabre à la main, menaça de faire descendre toutes les prisonnières ...

"S'apercevant que Marie Houdet manquait, l'un d'eux se fit conduire dans la chambre où elle était très-malade avec les vésicatoires. La crainte donna des forces à cette pauvre fille qui sortit de son lit et se traîna comme elle put sous un autre ; ce furieux menaça de mettre le feu à la maison si elle ne se trouvait pas ; il frappait, brisait tout ce qui se rencontrait sous sa main. Enfin, étant parvenu à la découvrir, il la fit traîner devant lui en la frappant de son sabre nu ; il la fit lier avec ses soeurs et conduire à la fusillade ..."

Une pieuse fille, Mlle Bellanger, native de la paroisse de la Trinité, fit également partie de cette septième chaîne.

"Avant la révolution, écrit M. Gruget, elle demeurait chez M. Chesneau, curé de Montreuil-Belfroi, dont nous avons déjà parlé, et se retira à Angers lorsqu'il fut obligé de quitter sa paroisse par suite de refus de serment. Il prit une maison avec elle et y resta jusqu'au 17 juin 1792, qu'on renferma les prêtres ; il trouva moyen de se cacher et de passer ensuite dans la Vendée avec M. le prieur de Saint-Aignan d'Angers ; ils se fixèrent à Saint-Florent-le-Vieux. Ils y étaient l'un et l'autre lorsque l'armée catholique et royale se décida à traverser la Loire. Ils firent avec elle toute la tournée, furent pris après le siège d'Angers, chez M. Raumont, commandant de la garde nationale de Luigné, et amenés dans les prisons. Ils ne tardèrent pas à comparaître devant le tribunal révolutionnaire, qui les condamna à la mort ; ce fut le 31 décembre 1793 qu'ils furent martyrisés au milieu d'une foule de spectateurs qui ne cessaient de crier : vive la République ! à chaque tête qui tombait. Le bourreau, ce jour-là, ramassa la tête de M. le prieur de Saint-Aignan et la montra à toute la populace qui redoubla ses hurlements."

Après l'exécution de M. Chesneau, on vint apposer les scellés dans sa maison à Angers, qui était aussi celle de Mlle Bellanger, et ce fut de la sorte qu'on la découvrit. Conduite au Bon-Pasteur, on lui fit subir un seul interrogatoire : "Allais-tu à la messe des prêtres constitutionnels ? - Non, répondit-elle, ce n'était pas mon opinion."

Il n'en fallut pas davantage aux prôneurs de la liberté de conscience pour la condamner.

Toutefois, ils lui adressèrent encore cette question : "As-tu des patriotes dans ta famille ? - Ils le sont presque tous, répondit-elle. - Alors tu as deux jours pour te faire réclamer ; presse-toi !" - Il n'en fut rien, et, Monsieur, vous savez le reste.

La fusillade du 1er février eut encore des victimes non moins dignes d'intérêt. J'aurai l'honneur de vous en parler dans ma prochaine lettre.

Agréez, Monsieur, etc.

.../...

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