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La Maraîchine Normande
25 septembre 2012

LE CHAMP DES MARTYRS (11) ♣ Huitième fusillade ou massacre du 10 février 1794

 

 

Douzième lettre

Huitième fusillade ou massacre du 10 février 1794.

- Mademoiselle de La Sorinière. - Mesdemoiselles Doyen et Cady.

Fusillades partielles.

 

Monsieur,

Dans ma première édition, je vous écrivais : "Un cahier perdu, de l'abbé Gruget nous empêche de savoir si d'autres fusillades ont eu lieu au Champ des Martyrs ; la tradition porte que le nombre des grandes fosses était de huit, il faut donc croire qu'après le 1er février, d'autres massacres s'effectuèrent en cet endroit. Quelques recherches dans les Archives de la cour impériale vont nous convaincre qu'il en a été ainsi et suppléeront, bien que très-imparfaitement, à la perte du cahier des Mémoires."

Le cahier ne s'est pas retrouvé, que je sache, mais le Recueil peut fort bien nous servir d'équivalent, et voici ce qu'il nous rapporte :

"Le lundi 10 février, fête de sainte Scholastique, patronne des religieuses du Calvaire, fut choisi pour cette exécution : deux cents personnes, tant hommes que femmes, en grande partie prises dans les communautés du Calvaire, du Bon-Pasteur et dans les prisons de la ville, furent saisies et attachées deux à deux pour être conduites au Champ des Martyrs. Vingt personnes ou environ, avaient été arrêtées la veille dans leurs foyers sans autre crime que celui d'être aristocrates, c'est-à-dire catholiques, et immolées avec les autres. M. Trotouin ne put s'empêcher de s'en plaindre hautement, aussi fut-il pris et conduit devant le tribunal révolutionnaire afin d'y rendre compte de sa conduite. Il témoigna hardiment de sa surprise et de son indignation ... Comme c'était le moment où on commençait à se plaindre, les juges voyant que les esprits s'échauffaient et s'indignaient de leur conduite atroce, le renvoyèrent chez lui après un seul jour de prison.

"On assure même que plusieurs personnes prises dans leurs maisons, s'y croyant en sûreté, n'ayant rien à se reprocher, arrivèrent à la prison au moment qu'on attachait les victimes, et qu'à l'instant un agent du tribunal révolutionnaire, que l'on croit être un nommé Colas, homme de confiance de ce tribunal de sang vendu à tous les crimes, les prit et les força de se mettre en rang avec les autres ; qu'il les attacha deux à deux et qu'elles furent martyrisées.

"Ce fait, qui m'a été certifié par des témoins dignes de foi, ne servit pas peu à M. Proust, apothicaire, pour inspirer de la haine contre les auteurs de ces massacres."

Quatre jours auparavant, c'est-à-dire le 6 février, lisons-nous dans le cahier n° 3 d'une liasse du greffe de la cour impériale, couverte des terribles lettres FF, et qui se rapporte aux victimes du Champ des Martyrs, "MM. de la Commission, Hudoux, juge, Vacheron, suppléant, et X, adjoint, nommés tous trois pour interroger les détenus des prisons nationales, s'y sont en effet rendus", afin de marquer les victimes, au nombre des quelles se trouvèrent Mlles de la Sorinière.

Par les interrogatoires qu'elles subirent et que nous reproduisons ci-après, vous verrez, Monsieur, la dérision de ces sortes de jugements.

"Catherine du Verdier, âgée de trente-cinq ans, née commune de Saint-Pierre de Chemillé, domiciliée au Longeron, fille ci-devant noble, arrêtée chez sa mère par des citoyens, depuis trois semaines, n'a dit pourquoi. A cependant avoué que Grosleau, non sermenté, ci-devant curé, avait constamment ses habitudes chez la mère de l'interrogée, qui ajoute qu'elle avait un frère, âgé de vingt-six ans, absent du pays depuis longtemps, et qu'on lui a dit être mort ; ne sait le lieu ni l'époque,"

En marge est la lettre F.

"Marie du Verdier, âgée de vingt-huit ans, soeur de la précédente, lecture faite des réponses de cette soeur, a dit qu'elles contenaient vérité et n'avoir rien à y ajouter, si ce n'est que le curé, qui avait remplacé Grosleau, fut vu par elle d'un mauvais oeil, parce qu'il était sermenté."

En marge la redoutable lettre F.

Signé HUDOUX, X..., VACHERON

Or, le lundi 10 février 1794, on entendit, depuis les prisons nationales, en suivant la rue Saint-Jacques, la rue Boisnet, les ponts, etc., etc., jusqu'au Champ des Martyrs, les airs retentir des plus doux et des plus saints cantiques ; on eût dit qu'il s'agissait de ces accents divins que l'oreille recherche avec délices dans nos processions du mois d'août. Ces chants célestes, psaumes, hymnes et litanies coulaient limpides et calmes des lèvres de Mlles de la Sorinière, et l'effet en était si puissant que la crainte de la mort se trouvait comme suspendue parmi les soixante-treize victimes de ce convoi qui devait bientôt, chemin faisant, en rencontrer deux autres.

Quelques voix même s'unirent à celles de Mlles de la Sorinière, de telle sorte que, suivant l'expression d'un témoin, le chant, parfois, gagnant la chaîne entière, faisait trêve aux larmes et aux cris lamentables. Les gardes et les bourreaux, sous le charme de la magnifique voix de la jeune Marie-Louise de la Sorinière, oubliaient de maudire et de blasphémer. Marie-Louise était d'une beauté remarquable, aussi ne la connaissait-on dans sa famille que sous le nom de la belle Lisette ; elle n'avait pas vingt-huit ans, comme le porte son interrogatoire aussi menteur que cruel ; elle entrait seulement dans sa vingtième année avec tous les avantages d'une personne accomplie ; la vie s'ouvrait donc à elle sous les plus charmants auspices, et cependant ses vertus supérieures à ses qualités de femme du monde, lui firent envisager la mort avec calme et comme sans regrets. Son courage en marchant au supplice est demeuré proverbial dans la mémoire des vieillards.

On s'entretint longtemps à Angers de son héroïsme et de la belle pelisse ouatée, qu'elle retira de dessus ses épaules, dans la rue Boisnet, pour en couvrir celles d'une mendiante qui passait près du cortège.

Cependant la chaîne avançait et la foule, cette fois, plus respectueuse qu'à son ordinaire, admirait et même s'attendrissait. Un officier républicain, séduit à son tour, s'approche de Mlle de la Sorinière et lui dit : "Si vous voulez m'épouser, je vous sauverai. - Sauverez-vous ma mère et ma soeur ? - Je ne le puis ! - Alors, laissez-moi mourir, j'aime mieux la couronne du martyre que votre amour."

Elle ignorait, la pauvre enfant, que sa mère n'était plus de ce monde et qu'elle avait été exécutée sur la place du Ralliement quinze jours auparavant, c'est-à-dire le 26 janvier 1794.

L'autre demoiselle de la Sorinière ne montra pas avant le supplice moins de courage que sa soeur. Sans la révolution elle serait entrée dans un couvent, et la mort fut une fête pour elle.

Quelques mots maintenant, Monsieur, sur l'arrestation de cette famille.

Aux approches de la Terreur, Madame de la Sorinière, forcée de quitter son château s'était retirée non loin de Cholet dans la paroisse du Longeron, où elle avait une maison à l'entrée du bourg ; ses filles l'accompagnaient. L'aîné de ses fils s'était réfugié en Angleterre, tandis que le cadet, non marié, combattait dans la Vendée.

Alors vivait au Longeron le grand loup, c'est-à-dire l'un de ces tyrans de village que le goût du sang et un vil orgueil mettent trop souvent en relief dans les temps difficiles. Ce cruel et ridicule petit César cotait son importance politique en raison du nombre des victimes qu'il aimait à faire. Aussi les enragés du pays l'estimaient-ils un personnage.

Cependant les Vendéens, désolés de voir leurs femmes et leurs enfants décimés par les ruses de ce scélérat, résolurent de s'en débarrasser ; ils se mirent à sa poursuite et ils allaient l'atteindre lorsque le misérable, épuisé de fatigue, se jeta dans la maison où Madame et Mesdemoiselles de la Sorinière se tenaient cachées ; se voyant perdu, il tombe à leurs pieds et demande grâce. Madame de la Sorinière, qui connaissait tous ses crimes, le repousse ; il insiste et s'écrie avec un accent hypocrite : "Vous voulez donc être la cause de ma perte éternelle, vous savez dans quel état est mon âme ! ils vont me massacrer ; écoutez, je les entends !"

Et le malheureux se tordait à ses pieds.

Madame de la Sorinière, vaincue par la pitié, s'empressa de le sauver ; trois jours après, le grand loup acquitta sa dette de reconnaissance en dénonçant sa bienfaitrice et ses deux filles qui, garrottées et conduites dans les cachots d'Angers, en sortirent, comme vous le savez, Monsieur, la mère pour monter à l'échafaud avec l'une de ses soeurs, religieuse, et ses deux filles pour donner à notre cité un grand exemple de courage, de grandeur d'âme et d'amour de Dieu.

Deux autres respectables demoiselles n'en montrèrent pas moins, lors du massacre du 10 février 1794, au Champ des Martyrs ; l'une, Mademoiselle Doyen, de la Haie-Longue, paroisse de Saint-Aubin de Luigné, sut préférer la mort, c'est-à-dire le ciel, à la main cette fois, non pas d'un bourreau, mais d'un honnête jeune homme ; c'est bien là ou jamais un exemple de foi vive et d'inaltérable espérance.

L'autre, Mademoiselle Cady, de Rochefort, comme la précédente renfermée au Calvaire, y soignait les malades. C'était son bonheur ! Personne plus qu'elle n'eut le goût de la charité. La mort la surprit à l'oeuvre ; elle partit au supplice encore vêtue de son tablier d'infirmière.

Cette huitième fusillade, d'après l'abbé Gruget, fut la dernière ; mais une dame, très-sûre elle aussi de sa mémoire, Madame F***, de Rochefort, reporte la fin des massacres au mercredi des Cendres. Cette divergence de dates m'a nécessité quelques recherches par suite desquelles j'ai acquis la preuve qu'en effet huit grandes fusillades avaient eu lieu, répondant à huit grandes fosses, mais qu'il ne s'ensuit point qu'il n'y en ait pas eu au même lieu plus tard et en détail, si je puis ainsi parler. En effet, poursuivant nos investigations, nous trouvons après les condamnations prononcées les 10 et 11 février, d'autres interrogatoires sanglants en date des mois de mars et d'avril, comme suit :

11 germinal an II (31 mars 1794), Citadelle, soixante noms marqués F.

Idem, Calvaire, trente-cinq.

16 germinal (5 avril), Bon-Pasteur, dix-huit F.

17 germinal (6 avril), Pénitents, neuf F.

Je vois également dans le même mois, d'autres noms marqués F par suite d'interrogatoires faits au grand Séminaire ; mais je ne suis pas aussi certain que les personnes auxquelles ces noms se réfèrent aient été fusillées au Champ des Martyrs, bien que tout donne lieu de le croire.

Quoi qu'il en soit, voici le dépouillement des interrogatoires du grand Séminaire :

"La République ou la mort.

Le 19 germinal l'an II (8 avril 1794) de la République française, une, indivisible et impérissable, nous X''... et Lepetit, membre de la Commission militaire établie à Angers par les représentants du peuple ; X... et Le Duc membres du Comité révolutionnaire d'Angers, nous sommes transportés dans la maison d'arrêt du grand Séminaire et avons procédé aux interrogatoires de détenus dans ladite maison."

Ce jour-là, en deux séances, vingt-trois noms furent marqués de la lettre F, sur quatre-vingt-sept détenus.

L'acharnement, on le voit bien, devenait moins vif ; l'opinion publique commençait à prendre le dessus.

Le surlendemain 10 avril, les membres de la Commission et du Comité marquèrent vingt-sept noms de la lettre F, sur quatre-vingt-cinq personnes.

Le 11 avril, vingt-une.

Tous ces malheureux, interrogés au grand Séminaire, étaient des femmes ; ce qui nous confirme dans cette pensée qu'elles ont dû être fusillées au Champ des Martyrs, où, en effet, les femmes subirent la mort toujours en plus grand nombre que les hommes.

Enfin, Monsieur, dans ma prochaine lettre, je m'occuperai de rechercher si quatre-vingt-dix-neuf soi-disant conspirateurs condamnés à la peine de mort, le 26 germinal an II (15 avril 1794), ont été exécutés sur l'échafaud ou fusillés au Champ des Martyrs, ce qui intéresse vivement les parents des victimes dont nous avons tous les noms sur une affiche appartenant aux archives de l'évêché.

Agréez, Monsieur, etc.

.../...

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