RAPPORT ADRESSE AU COMITE DE SALUT PUBLIC PAR LES REPRESENTANTS

PRIEUR DE LA MARNE, BOURBOTTE et TURREAU

Représentants du peuple près l'armée de l'Ouest au Comité de Salut public

Noirmoutier, le 14 nivôse, l'an 2e de la république une et indivisible

Nous vous marquions par notre dernière, citoyens collègues, que, nous nous rendions à Nantes pour concerter avec les généraux les mesures nécessaires pour terminer la guerre de la Vendée. Nous y sommes restés deux jours, et nous sommes partis pour Noirmoutier qui devait être attaqué d'un instant à l'autre. Nous passâmes par l'île de boin (sic), et là nous apprîmes que le lendemain les bâtiments de la République devaient attaquer les forts de Noirmoutier, qui étaient disposés de manière à beaucoup incommoder nos troupes lors de leur descente. Tous les bâtiments, et particulièrement la frégage la Nymphe, sur laquelle nous nous sommes rendus, firent un feu très vif : cette dernière surtout s'engagea de très près ; aussi ce fut sur elle que les brigands dirigèrent particulièrement une batterie de 36, dont plusieurs boulets l'atteignirent. La mer étant devenue tout à coup très calme et très basse, la frégate dont la vergue du grand hunier avait été brisée, qui avait reçu plusieurs boulets dans ses mâts et ses flancs fut entraînée par les courants, et, ne pouvant plus manoeuvrer, échoua devant Noirmoutier. Nous passâmes la nuit à sauver l'équipage et les divers objets qui étaient à bord. Nous eûmes dans ce combat deux hommes tués et cinq blessés ; les vents ayant changé, nous ne pûmes retourner à Boin, nous nous embarquâmes pour Pornic, et ensuite pour la Cronière, commune à trois quarts de lieue de Noirmoutier. Nous y trouvâmes les généraux Haxo et Dutruy, qui nous communiquèrent les dispositions qu'ils avaient faites pour l'attaque de l'île. Elles nous parurent parfaitement bien combinées, et on n'attendait plus qu'un vent favorable pour l'expédition.

Dans la nuit dernière, vers les trois heures du matin, nos troupes embarquées sur des chaloupes et des gabares se sont présentées devant l'île par trois points différents ; la principale attaque a eu lieu à la pointe de la Fosse, où les brigands avaient une batterie formidable ; à peine les bâtiments de transport approchent de terre, nos troupes, nos braves soldats, à la tête desquels est l'intrépide Jordy, adjudant-général chargé du commandement de la colonne, se précipitent dans les flots pour arriver sur l'ennemi ; un combat très vif s'engage, mais il n'est pas de longue durée, le poste est emporté par la valeur de nos républicains, et le pavillon blanc qui y flottait la veille est mis en pièces et remplacé par le pavillon tricolore.

La descente s'est opérée avec autant d'intrépidité sur les autres points. Tandis que nos troupes abordent, 900 hommes, à la tête desquels étaient Haxo et Dutruy, attendent, avec une grande impatience, au port de la Cronière, l'instant où la marée sera assez basse pour passer à pied, se porter sur l'île, et opérer leur jonction avec les autres colonnes. Le passage a eu lieu vers les 9 heures ; le pas de charge des républicains retentit dans toutes les parties de l'île, et nos troupes s'avancent avec cette intrépidité que commandait une pareille expédition, dans laquelle il n'y avait aucune retraite ; les brigands firent un feu très vif avec leurs canons, mais leurs batteries bientôt prises à revers et emportées leur devinrent inutiles ; ces mêmes brigands poursuivis, pressés de toutes parts, se replient alors sur la ville de Noirmoutier. Epouvantés par l'approche de nos colonnes, ils jettent leurs armes en monceaux sur la place, ils sont cernés par nos soldats ; nous entrons dans la ville aux cris de "vive la République", et la victoire est à nous. La reprise du port important de Noirmoutier, qui était le dernier retranchement et la dernière espérance des rebelles de la Vendée, nous donne l'assurance de voir bientôt totalement terminée cette infâme guerre ; elle ôte aux brigands toute communication par mer avec les perfides Anglais ; elle rend la république maîtresse d'un pays fertile en subsistances ; nous ne saurions assez rendre justice aux soldats qui combattent les brigands dans ces marais où les chemins sont impraticables dans cette saison, l'air très malsain, où il faut cependant bivouaquer sans cesse ; les soldats sont presque nus, sans souliers et ne se plaignent pas.

Nous avons eu dans cette expédition 2 hommes tués et environ 10 à 12 blessés, parmi lesquels se trouve le brave Jordy. Il reçut à l'instant du déparquement une balle dans la cuisse, un biscayen à la tête, harangua les soldats, emporta les batteries, et marcha encore deux heures à la tête des troupes ; lorsque nous l'avons rencontré au moment de notre débarquement, nous lui avons témoigné l'intérêt que nous inspiraient ses blessures ; il nous a répondu : "Vive la République !" Nous l'avons serré dans nos bras, et nous sommes partis avec nos frères.

Cette expédition vaut à la république environ 50 pièces de canon, 7 à 8 cents fusils, des munitions de guerre et de bouche. Les brigands ont perdu 500 hommes, et ceux qui ont mis bas les armes sont au nombre d'environ 1 200 ; on compte parmi ces derniers 10 à 12 chefs. Le scélérat Delbec (sic), généralissime des ci-devant armées royales et catholiques, qui a été blessé à Cholet, et que l'on disait mort, est tombé entre nos mains : il était accompagné de sa femme et de M. Durand, curé de Bourgneuf, signataire des assignats au nom de Louis XvIII, dont nous vous avons envoyé la planche. Une commission militaire que nous venons de créer va faire une prompte justice de tous ces traîtres.

Nous avons pensé qu'il était intéressant, dans un pays gangrené comme la Vendée, de changer jusqu'au nom des lieux qui ont été souillés par la présence des brigands. Nous avons, en conséquence, nommé l'ïle Boin, l'île Marat, et celle de Noirmoutier, l'île de la Montagne. Nous vous prions de faire confirmer ces dénominations par un décret de la Convention nationale. Vive la République ! Vive la Montagne !

Salut et fraternité

Les réprésentants du peuple près l'armée de l'Ouest :

BOURBOTTE, PRIEUR DE LA MARNE, L. TURREAU,

BLAVIER, secrétaire de la Commission

P.S. - Nous vous joignons l'état des braves bataillons qui ont concouru à la prise de Noirmoutier et le procès-verbal du capitaine de la frégate la Nymphe échouée devant l'île.

Turreau, général en chef de l'armée de l'Ouest, nous a accompagné dans toute cette expédition. Il s'embarque à l'instant pour se rendre à Nantes, et de là diriger le mouvement des troupes de la Vendée. Son quartier général sera établi à Cholet.

Revue du Bas-Poitou

1892 (4e livraison)