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La Maraîchine Normande
4 septembre 2012

LA BANDE DU CAMP DE LA VACHE-NOIRE

 

Le nom de cette bande vient d'une butte de terre située dans la commune de Saint-Symphorien au milieu d'un taillis. C'était son lieu de rendez-vous habituel. Cette troupe pouvait compter jusqu'à cinq cents hommes. Louis Courtillé dit Saint-Paul, dit aussi le Bâtard, la commandait.

Courtillé était un enfant naturel élevé par charité dans la paroisse d'Epineux-le-Chevreuil. Quand les Vendéens passèrent dans le Maine, il était garçon de charrue et n'avait pas vingt ans. Il suivit l'armée royale, fut blessé à la bataille du Mans et revint alors dans son canton. Dès que sa blessure le lui permit, il reprit les armes. Son mépris pour le danger, son audace entreprenante surpassaient tout ce qu'on peut imaginer : il portait un chapeau couvert de plumes blanches, et souvent, au plus fort du combat, poussant son cri de guerre : "Au nom de Saint-Paul, en avant !" Il allait se placer loin des siens, en vue de l'ennemi, afin d'attirer tous les coups de son côté. Dans une guerre comme la Chouannerie, un tel homme, s'il échappe aux balles, devient chef aussitôt. Il est chef parce qu'il se tient à la tête, et on lui obéit parce qu'il dit : Suivez-moi. Ce fut ainsi que Courtillé le Bâtard fit reconnaître son autorité par ses camarades.

Sa piété comme son courage allait jusqu'à l'excès. Dans son exaltation religieuse il en vint à se figurer que l'apôtre Saint Paul lui faisait des révélations, le protégeait au milieu des dangers, et lui prescrivait ce qu'il avait à faire. Les idées mystiques auxquelles il s'abandonnait n'adoucirent point son esprit naturellement austère ; il exigeait de ses hommes la plus stricte obéissance, et punissait sans pitié la faute la plus légère. Jamais il n'accordait de pardon : "Il n'y a que Dieu qui ait raison de faire grâce, disait-il, car Dieu seul voit dans le coeur du coupable et sait s'il se repent." Il avait interdit à ses soldats toute espèce de jurements. S'étant aperçu qu'on tenait peu de compte de son ordre, il fit assembler sa troupe et lui dit : "Nous tous ici nous nous sommes dévoués à la défense de la religion ; d'après cela, on doit regarder comme un traître celui qui blasphémera le nom de Dieu ; il sera de mon devoir de le faire fusiller : ne l'oubliez pas." Un jeune homme, révolté de sa menace, se récria, et, pour le braver, prononça le jurement défendu. Courtillé, ainsi qu'il l'avait annoncé, le fit fusiller sur-le-champ.

Une seule fois il avait dit : "Je demande qu'on m'appelle par le nom de Saint-Paul qui s'est déclaré mon protecteur." Depuis ce moment, pas un des siens ne manqua jamais à l'appeler ainsi, et leur cri de combat fut : "Victoire à Saint-Paul !" Dès lors ce nom, connu et redouté par les Patriotes, sembla réellement produire un effet surnaturel.

Ce chef si absolu, si inflexible, était, comme je l'ai dit, un jeune homme de vingt ans. Sa petite taille, sa figure agréable, ses grands yeux bleus, son teint frais et coloré, ses longs cheveux blonds retombant en boucles sur ses épaules, tout son aspect enfin était loin d'annoncer le caractère inexorable qui faisait que les plus hardis ne l'approchaient qu'avec une sorte d'appréhension. Dès le commencement, il avait donné une organisation à sa troupe et nommé des capitaines pour les huit ou dix paroisses sur lesquelles il étendait son commandement. Ceux-ci avaient défense expresse d'admettre un étranger dans leurs rangs et devaient éviter autant que possible de se joindre aux autres Insurgés. "Je me suis chargé devant Dieu de conduire les hommes du Camp de la Vache-Noire, avait dit Saint-Paul, j'en réponds, et je ne les laisserai fauter en rien, mais personne du dehors ne doit se mêler à ma bande."

Ayant appris qu'on accusait les Chouans d'aller pendant la nuit marauder et commettre des désordres, il ordonna à chaque capitaine de paroisse de rassembler ses hommes chaque soir et de les tenir réunis pendant la nuit. Lui-même faisait, à la fin du jour, la revue de ceux qui devaient rester près de lui, et il avait déclaré que l'homme qui manquerait à cette revue, sans motif, serait fusillé. Aucun autre chef n'eût osé proposer une telle mesure, Saint-Paul y soumit sa troupe, et, pendant longtemps, personne ne se trouva en faute. Enfin un soir, après la prière récitée à haute voix par le chef, suivant l'usage, il arriva qu'à l'appel du nom de Marin (Sans-Souci) il ne fut pas fait de réponse. Sans-Souci était un jeune soldat de la compagnie de Rouëz-en-Champagne. Son absence ne fut pas expliquée, cependant le visage de Saint-Paul restant impassible, on put penser qu'il ne l'avait pas remarquée. L'appel terminé, il donna ses ordres avec son sang-froid accoutumé. Il avait passé la journée en préparatifs pour une expédition qu'il projetait, il annonça qu'on se mettrait en marche le lendemain au lever du soleil.

Dès la pointe du jour toute la troupe se trouvait sur pied et Sans-Souci était dans les rangs. Saint-Paul vint se placer devant la ligne et élevant la voix : "Hier, dit-il, un de vous manqua à l'appel ; s'il a une raison à donner qu'il parle." Sans-Souci était allé la veille voir un de ses parents, on l'avait fait boire, il s'était enivré, puis endormi ; il savait que cette excuse ne serait pas admise, il garda le silence. Le chef reprit : "N'as-tu donc rien à dire, Sans-Souci." Sans-Souci ne répondit pas. Alors Saint-Paul s'écria : "Que les quatre premiers soldats de la compagnie de Rouëz saisissent cet homme ! Qu'ils l'emmènent à cent pas d'ici, qu'ils lui donnent dix minutes pour recommander son âme à Dieu, et qu'ils le fusillent puisqu'il a manqué à son devoir !"

Les quatre soldats saisirent Sans-Souci, le tirèrent hors du rang, ils l'emmenaient déjà, quand Turmeau dit Grand-Francoeur, capitaine de la paroisse de Rouëz, leur fit signe de s'arrêter. S'avançant vers le chef, il lui dit : "Sans-Souci est un brave, il n'a failli qu'une fois, il faut lui pardonner." Grand-Francoeur était camarade d'enfance de Courtillé, seul il osait encore lui parler librement : ils avaient été au catéchisme ensemble, et, par conséquent, se traitaient en amis. Toutefois Saint-Paul, détournant la tête, répéta : "Sans-Souci a manqué à l'ordre, qu'on le fusille !" - "J'ai demandé à notre commandant de lui pardonner, reprit le capitaine de Rouëz." Mais le commandant répéta de nouveau : "Sans-Souci a manqué à l'ordre, qu'on le fusille !" Toute la troupe des Chouans demeurait immobile et muette, attendant avec anxiété la fin de ce débat. Grand-Francoeur alla poser la main sur la tête de Sans-Souci, puis, élevant la voix, il dit : "Ce jeune homme est mon soldat, j'en réponds pour l'avenir, on peut lui faire grâce." A ces paroles, Saint-Paul eut un tressaillement de colère, mais il le comprima aussitôt. Il s'avança lentement vers Grand-Francoeur : "Le capitaine répondra-t-il de l'homme corps pour corps, dit-il ?" - "Oui, j'en répondrai corps pour corps." - "Ainsi soit, si tu le veux ..." - "Oui, je le veux ainsi." - "Eh bien, il suffit, qu'il rentre dans les rangs." Aussitôt, sans plus s'occuper de ce qui venait de se passer, Saint-Paul donna l'ordre de partir. On l'avait averti qu'un convoi de munitions, sorti de Laval avec une escorte peu nombreuse de garde nationale, était dirigé sur Sainte-Suzanne ; il espérait le surprendre au passage et s'en rendre maître.

L'ennemi parut à l'heure annoncée, mais non pas en petit nombre ; de plus, il avait fait toutes les dispositions nécessaires pour résister à une attaque. Saint-Paul, l'ayant reconnu, fit retirer sa troupe après une légère escarmouche, et revint occuper la position qu'il avait quittée le matin. L'heure de l'appel arrivée, Sans-Souci ne se présenta pas. "Je m'attendais à cela, dit Saint-Paul, le traître manquait hier, parce qu'il était allé porter un avertissement pour l'escorte du convoi ; il manque aujourd'hui, parce que, se sentant coupable, il n'a plus osé rester parmi nous. Au moment où j'ai ordonné la retraite, je l'ai vu rester en arrière, puis disparaître : il sera passé du côté des Bleus. Cela ne finira pas ainsi, je ferai un exemple afin qu'on ne gêne plus mes volontés. Le capitaine de Rouëz a répondu de son soldat corps pour corps, je lui laisse jusqu'à demain pour nous le présenter ; si demain, à l'heure de la prière, l'homme n'est pas là, son capitaine sera fusillé à sa place." - "J'attendrai demain sans crainte, répliqua Grand-Francoeur ; mort ou vivant, mon soldat se retrouvera."

Saint-Paul, suivant son habitude, passa la nuit sans se coucher, faisant la ronde à l'entour du bivouac en récitant son chapelet. Le jour commençait à peine à paraître, quand, à travers le brouillard, il entrevit un homme qui, marchant à quatre pieds, s'approchait lentement. Il pense que c'est un espion venu pour observer la position des Chouans ; il tire son sabre, court sur lui et le saisit : c'était Sans-Souci. Le pauvre jeune homme ne venait pas pour espionner : dans l'escarmouche de la veille il avait été blessé à la cuisse au moment de la retraite ; ayant vainement appelé à son secours, il était resté seul, perdant tout son sang, et ne pouvant pas même se tenir debout. Comprenant pourtant qu'il avait à sauver la vie de son capitaine, même avant la sienne propre, il s'était mis à se traîner sur les genoux et sur les mains afin d'arriver au rendez-vous. Avec des efforts désespérés, toute la nuit durant, il s'était traîné ainsi. "Ne suis-je pas arrivé trop tard, dit-il à Saint-Paul en achevant ces explications ?" En disant ces derniers mots, il perdit connaissance et, pendant long-temps, sa vie fut en danger par suite de l'excès de fatigue et d'épuisement.

Après la prière du matin, Saint-Paul, élevant la voix, dit à sa troupe : "Sans-Souci est un brave, son capitaine avait raison ; mais moi j'ai eu tort : quand il s'agit d'ordre et de discipline, on ne doit pas céder. Plus jamais je ne ferai grâce." Ceci m'a été raconté dans tous ses détails par Grand-Francoeur et Sans-Souci, et j'ai, autant que possible, reproduit leurs propres paroles. ...

Souvenirs de la Chouannerie par Jacques Duchemin-Descépeaux - Laval - 1852

Louis-René Courtillé, alias Courtillers, ou Courtilliers, dit Saint-Paul, ou le Bâtard, né vers 1771, fut un chef chouan de la Charnie et de la région de Sainte-Suzanne en Mayenne.

Courtilliers était bâtard. Son père, qui ne le reconnut pas et abandonna sa mère, s'appelait Jean Legros. A l'époque de la Révolution, Legros habitait Sillé-le-Guillaume. Sa mère, Louise Courtilliers, qui se maria ensuite à un nommé Touchard, puis en seconde noces à François Lenoir, était servante de ferme. En 1792, elle habitait Epineu.

La carrière de Courtilliers fut courte. Le 26 février 1796, en attaquant au Livoas, entre Amné, Ruillé et Epineu, un convoi républicain d'armes et de munitions, il fut atteint d'une balle à l'aisselle.
Saint-Paul, transporté d'abord à la ferme de la Folie, fut conduit ensuite à la ferme de Launay où les opinions du fermier mettaient le blessé à l'abri des recherches républicaines.
La blessure du chef chouan ne fut pas d'abord considérée comme mortelle. Seulement il n'observa pas la diète et voulut s'essayer à la "joûte", exercice violent qu'il aimait beaucoup. Trois semaines après, il succombait, victime de son imprudence.
Son corps fut descendu du grenier où il était caché et inhumé sur le bord de la Vègre.
Saint-Paul n'était âgé que de vingt-cinq ans.

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