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La Maraîchine Normande
24 août 2012

L'INSTITUT PHILANTHROPIQUE ~ société secrète

On connaît peu cette partie de notre histoire moderne ; la Vendée attira toujours à elle toute l'attention, soit par la durée de sa résistance, soit par la grandeur de ses héros, soit par l'importance des combats qui s'y livrèrent ; la chose a été poussée au point que l'on a ignoré généralement, et que beaucoup de gens ignorent encore, que dans les départements de la Haute-Garonne, du Gers et de l'Ariège, des Français fidèles au roi, essayèrent de renverser la république, dans un temps où la réussite n'était pas impossible ; on ne trouve jusques à présent, dans aucun ouvrage, le récit de ce qui se passa à cette époque ; le seul, abbé de Montgaillard, en a dit en passant un mot dans sa volumineuse histoire de la révolution ; mais la nature du rôle qu'il a joué dans cet évènement, l'a empêché de le traiter comme il aurait du le faire, s'il eût consulté ses souvenirs, et s'il eût écouté sa conscience et ses remords. Je tâcherai de remplir cette lacune en me servant tantôt d'un mémoire, que je dois à l'amitié d'un jeune littérateur de ce pays, qui le tenait lui-même, d'un officier-général, l'un des principaux chefs de l'insurrection royaliste, tantôt du souvenir des récits que m'ont faits nombre d'insurgés, tous gens pleins d'honneur et de probité. Je présume que l'on me saura gré de jeter quelque lumière sur cet incident qui, quoique de peu de durée, ne prouva pas moins que la résistance de la Vendée, le désir d'une partie des Français de rentrer dès cette époque sous le sceptre paternel de la maison de Bourbon.

 

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Tant que Louis XVIII ne fut que régent, au nom de son neveu, il ne songea point à établir des relations directes entre lui et les provinces situées au-delà de la Loire ; mais dès que la couronne lui fut échue en partage, alors il porta l'oeil du maître sur les provinces méridionales, non moins que dans les autres parties de la France ; il organisa un vaste plan, et il espéra réunir dans les mêmes noeuds les contrées qui s'étendent depuis l'Océan jusques aux pieds des Alpes. L'Institut philanthropique fut la conception qu'il imagina, on devait sous ce nom indifférent en apparence, et qui semblait n'annoncer qu'un établissement de charité, cacher les complots de plusieurs esprits ardents, et réunir tous ceux qui, faute de chefs, ne pouvaient qu'exhaler leur dévouement en de vaines plaintes.

Le Roi commença par choisir des sujets fidèles, il leur donna le titre de ses commissaires, et les envoya parcourir les contrées du midi. Leurs instructions portaient ordre de tout observer, de retenir l'impatience des forts, de stimuler le royalisme des faibles, et surtout de rallier à un centre commun les opinions singulièrement divergentes. Les messagers, véritables Missi dominici, tels qu'on les trouve dans nos époques du moyen-âge, apportèrent les éléments d'une association que l'on organisa. Le midi de la France fut divisé en arrondissements composés de cinq, six et jusques à sept provinces, ou fractions de provinces, suivant leur étendue topographique et l'importance des localités. La capitale de toute l'insurrection projetée, fut Lyon, soit en récompense de la première tentative de cette ville, soit parce que, plus rapprochée de la frontière, elle avait plus de facilité pour correspondre avec l'agence générale du Roi, pour les départements de la rive gauche de la Loire, régence établie dans la Saxe.

Je trouve à ce sujet des détails précieux, et passés presque inaperçus dans un ouvrage récent, dans lequel l'auteur étale cette manie malheureuse et personnelle à presque tous les royalistes, qui les pousse à se donner chacun en particulier, comme ayant contribué plus que tout autre au rétablissement de la monarchie, tandis qu'en résultat ils n'ont rien fait. Voici ce qu'il dit, et sur ce point il est croyable :

"L'objet apparent de cette immense association était de soutenir et de défendre la constitution existante alors, ainsi que le gouvernement qui nous l'avait imposée ; mais son but véritable, son but essentiel, était au contraire de renverser cette constitution, ainsi que le gouvernement usurpateur, pour relever l'autel et le trône légitime.

La masse des associés ignorait et devait ignorer le but dans lequel nous marchions, il n'y avait d'initiés dans le secret, qu'un très petit nombre d'adeptes ; le langage de la clémence et de l'oubli, l'obéissance aux lois et aux autorités constituées, étaient bien recommandés, et tous les chefs avaient l'ordre secret de conserver avec soin, même au moment de l'insurrection projetée, les couleurs et les formes républicaines ; c'était, en un mot, un petit gouvernement organisé dans un grand, mais qui, par son excellente organisation civile et militaire, par l'union, la confiance, la subordination, l'énergie et le courage qui y régnaient, devait amener tôt ou tard le grand et précieux résultat que se proposait le chef suprême de cette institution. Les opérations de l'institut avaient deux objets principaux, l'un civil et l'autre militaire.

Les agents civils devaient s'attacher à former et à diriger l'opinion publique, à surveiller les révolutionnaires, à recueillir les renseignements utiles ou nécessaires, à multiplier le plus promptement possible les associés, à activer les insouciants, à éclairer, à ramené les hommes trompés ou égarés, à neutraliser ceux qu'il était impossible de convertir, à protéger les ministres de la religion, les émigrés rentrés, les nobles qui n'avaient pas émigré, et généralement tous les individus persécutés à cause de leurs opinions politiques ou religieuses, à donner des secours de toute espèce aux prisonniers, à faciliter leur évasion, à leur donner des défenseurs lorsqu'ils étaient traduits devant les tribunaux, à influencer autant que possible les assemblées primaires et électorales, et enfin à surveiller avec soin les manoeuvres et les intrigues des ennemis de la maison de Bourbon.

L'armée de l'institut était composée de deux corps de troupes très distincts, l'un appelé troupes d'élite, composé de déserteurs, de conscrits réfractaires, de fugitifs, de proscrits et de tous les hommes de bonne volonté, pris dans toutes les classes de la société et surtout parmi les artisans et les ouvriers ; c'était l'armée active ou agissante, destinée à se porter partout où besoin serait. L'autre, appelé troupes auxiliaires, et composé des hommes âgés, des pères de famille, des chefs de maison, était destiné à la garde de la villes, à l'exécution des ordres de la police royale, au maintien de l'ordre, de la sûreté publique, etc. On avait établi dans chaque arrondissement une hiérarchie d'employés : un visiteur en était le chef, il correspondait avec l'administrateur de chaque province, celui-ci commandait à l'affidé de chaque division, qui transmettait à son tour les ordres à l'aide ou adjoint de chaque commune, tous ne correspondant qu'avec leur supérieur direct, ignoraient le nom de celui qui était au-dessus. Les visiteurs seuls dans l'intérieur étaient nommés et brevetés par le Roi, qu'ils représentaient dans l'arrondissement confié à leur direction. Ils étaient tout à la fois chefs civils et militaires ; les administrateurs et tous autres employés sans distinction, devaient leur être subordonnés, tant dans le civil que dans le militaire. La chaîne de ces associations secrètes embrassait tout le territoire méridional, entre les deux mers ; elle s'étendait depuis le Var jusqu'au Jura, comprenait les départements de la Dordogne et des deux Charentes, et réunissait les provinces de l'ouest à celle de la Guienne, et à tout le midi, des pyrénées aux Cévènes."

On voit par là avec quelle habileté était conçu ce plan, que Sa Majesté Louis XVIII avait entièrement fourni et écrit, dit-on, de sa main, mais, pour en tirer un bon parti, il aurait fallu en confier l'exécution à des esprits supérieurs, et malheureusement, comme je l'ai déjà dit, et par une fatalité singulière, tous les royalistes mis à la tête des affaires, ne se distinguaient que par leur ignorance et leur nullité. On ne trouva en eux que des gens faibles, sans moyens, luttant d'audace en parole et de poltronerie dans l'exécution, parlant du danger en Spartiates, et le fuyant en Napolitains ; à peine dans le nombre trouvait-on quelques hommes fermes et véritablement braves, les autres (je parle des chefs), se montrèrent des lâches lorsqu'ils ne furent pas des traîtres ; on n'en a eu que trop la preuve.

Le Roi se trouvait encore à Vérone, lorsqu'il envoya dans la France méridionale des commissaires chargés de ses pouvoirs, avec autorisation de les déléguer lorsqu'ils le jugeraient avantageux à ses intérêts. Le premier de ces commissaires qui se présenta dans le département de la Haute-Garonne, fut M. de la Pourquerie Dubourg, ancien militaire et peu propre à la haute mission qui lui était confiée ; il ne possédait rien de ces formes douces et insinuantes qui sont si nécessaires à ceux qui se trouvent dans sa position, il se montrait dur, bouffi, arrogant, entier, impérieux, et convaincu que le salut de la monarchie dépendait entièrement de lui. Dissipateur et besogneux, il mangea en toute hâte les fonds qu'il tenait du Roi, et il lui fallut bientôt venir à des emprunts qui le déconsidérèrent promptement. La mauvaise direction de ses démarches, sa faiblesse, son hésitation, le firent soupçonner par plusieurs personnes, d'être un traître, de jouer un double jeu, et d'être à la fois l'agent du Roi et du directoire. C'est à tort que l'on éleva ces soupçons sur son compte, il n'y avait en lui rien de perfide, il était seulement incapable, et c'était bien assez pour tout perdre.

L'agent qui véritablement mangeait à deux rateliers, était l'abbé Roque de Montgaillard, qu'il est temps enfin de faire arriver sur la scène. C'était un petit bossu, rempli de fiel et de malice, un composé du singe au physique et du chat au moral ; il y avait en lui un besoin constant de tout souiller de la bile qui l'étouffait. Loin d'être descendu d'une race illustre, et d'appartenir aux anciens seigneurs de la terre de Montgaillard, dans le Lauraguais ; il était issu, lui et les siens, du sieur Roque, simple homme d'affaires de ce lieu : la chose est patente et connue dans le Languedoc, et hors l'abbé et son frère, personne n'en doute.

Lorsque le directoire, qui soupçonnait un complot à Toulouse, voulut y envoyer un agent à lui, Roque Montgaillard lui recommanda l'abbé, et celui-ci partit muni des instructions secrètes de Barras, tandis que, d'une autre part, il en recevait de Louis XVIII. C'était un émissaire d'autant plus dangereux, que comme il était de Toulouse même, il connaissait personnellement ceux à qui il s'adresserait, et pouvait par là les entraîner dans le piège avec plus de facilité.

Le visiteur de Bordeaux, M. Dupont Constant, prétend avoir de son côté transmis les pleins-pouvoirs dont il était muni à M. de Vaure Clairfons. Certes il ne pouvait plus mal choisir, non que ce personnage fût un perfide ; mais quoique d'une ancienne famille, il ne possédait ni la fortune, ni la considération nécessaires à devenir le chef d'un parti qui comptait parmi ses membres les premières maisons du pays. M. de Vaure manquait d'ailleurs des connaissances indispensables à ce poste éminent ; il n'avait aucune instruction ni en administration ni en diplomatie, et fort bon peut-être pour un coup de main, comme militaire, il n'aurait pas su diriger un grand mouvement, tracer un plan de campagne et le suivre dans tout son développement.

Il y aurait eu un meilleur choix à faire, c'eût été de prendre pour chef principal de l'entreprise le général baron Rougé. Celui-ci avait vu de près l'ennemi et savait comment s'y prendre pour le battre ; intrépide jusqu'à la témérité, prompt à prendre un parti, habile à l'exécuter, rien ne l'arrêtait dans sa course, et il emportait de front les obstacles qu'il ne pouvait pas tourner. Le danger plaisait au général Rougé, comme à un autre le repos ; il n'avait pas émigré, il avait servi la république, et après avoir travaillé pour la gloire, il voulut s'occuper de procurer à sa patrie le bonheur et la tranquillité en la replaçant sous le gouvernement royal. Il était en retraite ou en congé à Toulouse à cette époque ; on l'employa d'abord en sous ordre ; mais dès qu'il eut mis le pied à l'étrier, il prit le premier rôle, parce que dans les temps difficiles on ne classe pas les hommes, ce sont eux-mêmes qui se mettent à leur place.

A côté du général Rougé parut un jeune gentilhomme à la taille gigantesque, à la figure agréable, beau, fier, hardi, impétueux, galant auprès des dames, poli avec les hommes, mais de cette politesse cérémonieuse qui vise à la supériorité. Il avait ce courage qui fait regarder la mort avec indifférence, il savait l'affronter avec une témérité sans égale ; c'était un véritable héros de roman. Il est à regretter que la nature, en accordant au comte Jules de Paulo des dons aussi brillants, lui eût refusé les qualités nécessaires pour en faire un bon usage. Léger, superficiel, sans capacité, sans prévoyance, il avait la bravoure du soldat et non le génie du grand capitaine ; bon pour un coup de main, pour charger en enfant perdu, il était hors d'état de prendre ces mesures habiles, ces dispositions savantes qui forcent la victoire ; il croyait que toute la science de la guerre consister à aller toujours en avant, de ne reculer jamais, et que l'on est à couvert de toute responsabilité morale, lorsque l'on a croisé le sabre avec l'ennemi, et versé comme lui son sang pour la cause qu'on défend. Avec ces vertus, avec ces désavantages, le comte de Paulo était aimé, et la foule aventureuse préférait se perdre avec lui, que de triompher sous la direction d'officiers non moins braves mais plus instruits.

M. de la Pourquerie Dubourg, arrivant à Toulouse, et déjà signalé par l'abbé Montgaillard, prit des précautions minutieuses pour ne pas se laisser dépister par les autorités constituées ; il craignait de compromettre l'importance de sa mission. Grâce à sa prudence, il put enfin se mettre en rapport avec plusieurs Toulousains, dévoués à la famille royale, et qui ne demandèrent pas mieux que de le seconder. Il eut des conférences multipliées avec M. de Vaure, le baron de Villeneuve Beauville, honnête gentilhomme, assez spirituel, et pourtant d'une nullité désespérante ; c'était le chef des politiques du Jardin Royal : à la tête de ses vieux amis, il triomphait chaque jour dans leurs promenades belliqueuses, des armées de la république, qu'ils battaient régulièrement par de savantes manoeuvres tracées sur le sable avec le bout de leurs cannes ; le chevalier d'Auffrery, maltais aimable, le comte de Parazols, ancien lieutenant-colonel de la garde constitutionnelle de Louis XVIII, et peut-être de tous le seul propre à cette besogne ; les avocats Jamme et Giz, le premier, gascon, étincelant d'esprit et de malice, vif, habile en intrigue, sachant se servir de ses amis pour son avancement, les servant à son tour avec un dévouement extrême, et mettant de la probité là où en général on ne place que de l'égoïsme. M. Jamme était jurisconsulte profond, beau parleur, aimable académicien ; il s'était montré avec beaucoup de zèle et de fermeté en 1788, à l'époque des querelles de la cour et des parlements ; défenseur des libertés publiques, il passa plus tard, lors de la révolution, dans les rangs de ceux qui défendaient les droits du trône ; royaliste non moins chaud qu'il était ardent ami, il inspira ces qualité à ses enfants, dont un trouva la mort dans l'insurrection qui se préparait. Le général Rougé et le comte de Paulo furent admis par M. de la Pourquerie Dubourg à ces conciliabules, où l'on cherchait les moyens et les voies les plus propres à favoriser le succès de l'entreprise.

Un grand nombre de plans furent proposés ; la jalousie de chacun des membres du comité les porta à refuser celui du général Rougé, qui peut-être aurait obtenu un bon résultat. On parla beaucoup, comme c'est l'usage dans toute réunion, et l'on ne décida rien, ce qui est encore fort commun en pareil cas ; il fallut forcément reculer le moment de se montrer. Le commissaire royal fut rappelé tout à coup par Louis XVIII, sans qu'on sût le motif de ce rappel, qui ne devint pas pourtant une disgrâce ; car le prince, à ce qu'on croit, l'employa depuis ailleurs.

De nouvelles instructions arrivèrent de Blackembourg, où le Roi se trouvait alors ; elle revêtirent M. de Vaure du titre de commissaire principal de Sa Majesté. Il dut en même temps et conformément à la volonté royale, s'adjoindre un conseil secret, qui dirigeait avec lui l'impulsion à donner à l'insurrection. Là parurent MM. de Villeneuve Beauville, d'Auffrery, Martin Lacroix et de Montoussin, ces deux derniers parfaits royalistes, très honnêtes, très dignes de l'estime de leurs concitoyens, sans être pour cela capables de les conduire à la victoire. Ces délégués, dès qu'ils se furent constitués, étendirent leurs relations dans treize départements : c'étaient ceux de la Gironde, de Lot-et-Garonne, du Lot, de l'Aveyron, du Tarn, de l'Hérault, du Gard, de l'Aude, du Gers, des Hautes, des Basses-Pyrénées, des Pyrénées-Orientales, de l'Arriège et de la Haute-Garonne, où se trouvait le chef-lieu des opérations. On forma dans chaque département des affiliations secrètes, cachées sous le titre de sociétés philanthropiques, comme je l'ai dit plus haut, et on ne les composa que d'hommes propres à prendre une part active à ce qui serait tenté. On n'y était admis que sur les preuves d'un dévouement absolu, et après avoir prêté un serment de fidélité au Roi. Cette société, quoique divisée en de nombreuses ramifications, conserva toujours son secret, et s'organisa en compagnies particulières, en attendant la formation général des corps.

Les choses ainsi préparées, on en fit donner avis au Roi, afin de savoir ce qu'il fallait faire et en quel temps il serait convenable d'agir. En réponse à cette demande, et vers le milieu du mois de juillet 1799, de nouveaux ordres de Louis XVIII furent apportés de Blackembourg et transmis à M. de Vaure ; ils portaient en substance :

1° Que tout fût disposé de manière à pouvoir opérer dans le département de la Haute-Garonne un soulèvement général dans le mois d'août ;

2° Que le comte de Caraman (Riquet de son nom et aujourd'hui duc), ou le marquis de Bouillé commanderaient en chef l'insurrection royale dans les treize départements ;

3° Que les généraux Rougé et de Guintran étaient nommés pour commander, le premier dans la Haute-Garonne, le second dans le Tarn et à Montauban.

Ces ordres une fois reçus, on s'empressa de les transmettre dans tous les chefs-lieux ; partout des mesures furent prises pour en assurer le succès, et tout, du moins en apparence, semblait promettre un heureux résultat. La circonstance, d'ailleurs, était éminemment favorable ; la Vendée se réveillait vers l'Ouest et menaçait de nouveau la république ; tandis que l'armée austro-russe, déjà presque sur le Var, inspirait de plus pressantes craintes au Directoire, l'intérieur de la France était travaillé par un malaise universel, par un besoin extrême d'échapper aux fureurs de la démocratie ; partout on désirait n'avoir qu'un seul maître, bien préférable à une multitude de tyrans ; on ne voulait plus que du gouvernement d'un seul ; certes c'était l'instant le plus propice pour le Roi, mais la suite des choses devint telle, que ce fut Bonaparte qui en profita.

Cependant tout marchait dans le midi en exécution de la volonté du monarque. Le 2 août, M. de Vaure reçut par un courrier extraordinaire, secrètement dépêché par Sa Majesté, l'ordre de faire éclater l'insurrection dans la nuit du 8 au 9 du même mois ; c'était le moment fixé pour ébranler les treize départements ensemble. M. de Vaure, fidèle à son mandat, réunit chez M. de Villeneuve Beauville les principaux chefs de l'entreprise, auxquels il joignit dans cette circonstance MM. de Villeneuve Crousillac, de Guintran, lieutenant-général dès avant la révolution, de Quinquiry d'Olive, le plus fou, le plus brusque, le plus intrépide et le plus fidèle des royalistes ; homme sans tête et tout de coeur, qui aimait la royauté à cinquante ans comme on aime sa maîtresse à dix-huit ; M. de Roquemaurel, issu d'une des plus anciennes et des plus nobles familles du midi ; de Saint-Germain Lavalade, franc et dévoué ; de Papus, non moins porté à servir la cause du trône ; de Boussac Dufaur d'Encuns, issu de la maison du célèbre Pibrac, chancelier de la reine de Navarre et du roi de Pologne Henri III ; de Quilla de Saint-Félix Las Varennes, d'Esquirol, et enfin un nouveau venu qu'on présenta sous le nom de M. Delaunay, se disant aussi commissaire du Roi.

L'assemblée formée, M. de Vaure prit la parole ; il annonça que l'heure d'agir était venue, que Sa Majesté l'avait fixée irrévocablement, que l'on ne pouvait plus reculer, puisqu'un soulèvement universel devait éclater la même nuit, dans treize départements contre une cruelle et méprisable tyrannie ; que tout faisait espérer un succès complet, et qu'il n'y avait plus qu'à prendre les derniers arrangements, afin que tout fût préparé, et que les efforts de chacun en particulier concourussent à l'exécution général de l'entreprise. Tous les membres du conseil s'engagèrent à seconder de leur mieux les commissaires du Roi. Il fut convenu que MM. de Vaure, Delaunay et plusieurs autres chefs s'empareraient, à la tête des compagnies royales, dans la ville de Toulouse, des places du Salin, d'Azessat, Roaix et du pont, entre onze heures et minuit, tandis qu'à la même heure, le général baron Rougé occuperait les dehors de la ville, principalement dans la partie des promenades publiques dites du Boulingrin, de la grande allée et du Jardin Royal, afin de pouvoir communiquer avec les insurgés qui, dans l'intérieur, auraient pris possession des portes Saint-Michel, Montolieu, Montgaillard et Saint-Etienne, qui correspondaient avec ce point d'attaque. ...

 

Extrait du livre : Mémoires et souvenirs d'un pair de France, ex-membre du sénat conservateur - Volume 2 - Paris - 1840

par Etienne Lion (Lamothe-Langon baron de)

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