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La Maraîchine Normande
17 août 2012

LES AVENTURES DU BONHOMME QUATORZE - 4ème partie

Chroniques et légendes de la Vendée Militaire

LES AVENTURES DU BONHOMME QUATORZE

4ème partie

 

Sur le rivage de la mer qui s'étend de Saint-Gilles à Saint-Jean-de-Mont, le garde-côte, placé en sentinelle en face des rochers de Sion, après avoir fait sa promenade accoutumée, non sans jeter souvent un regard inquisiteur sur la vaste étendue des flots, était enfin rentré dans sa hutte de roseaux, pour chercher un abri contre les fraîcheurs d'une nuit de septembre. Peu de moments après, on eût pu voir à l'horizon un petit cutter anglais qui, poussé par un bon vent du large, s'approcha de terre à toutes voiles, comme s'il se fût attendu à trouver devant lui une vaste embouchure de rivière. Cette manoeuvre hardie était assez incompréhensible en face des immenses rochers qui bordaient la côte à perdre de vue, et contre lesquels la mer brisait avec violence. Mais le petit bâtiment ne tarda pas à carguer ses voiles, et ayant viré de bord, il mit en panne et demeura immobile à quelques encâblures du rivage.

A en juger par les gestes animés des personnages qui se trouvaient sur le pont du navire, une discussion violente paraissait avoir lieu entr'eux. Sans le bruit incessant du ressac, il n'était pas douteux que la voix de ces hommes, montée sur un diapason si élevé, n'eût attiré l'attention des gardes-côtes enfermés dans la cabane fragile qui leur servait de corps-de-garde ; mais, grâce à cette circonstance, il n'en fut rien.

Après avoir argumenté longtemps avec une ténacité toute britannique, celui qui semblait être le capitaine fit un geste de la main et un mouvement d'épaules qui semblaient dire : "Eh bien ! puisque vous le voulez, partez donc ! mais je m'en lave les mains". Aussitôt une péniche ayant été mise à la mer, deux hommes y descendirent et s'éloignèrent à force de rames. Pendant ce temps, l'Anglais et son second, armés chacun d'une lunette de nuit braquée sur la frêle embarcation, faisaient tranquillement des paris sur la chance plus ou moins grande qu'avaient les deux imprudents de se briser les os contre les rochers, et franchement, à la vue des difficultés de l'abord et à la manière dont la péniche était gouvernée, une catastrophe était à peu près inévitable. Cependant le flot les poussait toujours à la côte en les faisant dériver de la ligne du corps-de-garde, qu'ils ne pouvaient apercevoir. Déjà ils n'étaient plus qu'à quelques brasses de la terre, lorsqu'une vague monstrueuse, prenant la petite embarcation par le travers, la fit complètement chavirer, et précipité dans la mer les deux hommes qui la montaient.

Heureusement pour eux, ils purent prendre pied sur un fond de sable, et ils s'avancèrent vers la terre ferme, en tenant élevés au-dessus de leurs têtes leurs pistolets chargés qui, avec les épées pendues à leur côté, paraissaient composer à peu près tout leur bagage.

Arrivés sur la plage, le plus jeune des deux, après avoir secoué ses habits mouillés, s'élança au sommet de la dune, et là, étendant les bras du côté de la terre, il sembla aspirer fortement l'air du pays, et d'un ton moitié joyeux et moitié sentimental, il s'écria : - Enfin, nous voilà donc dans notre chère patrie !

Un chut prolongé de son compagnon coupa court à ses exclamations patriotiques, et aucun mot ne fut plus prononcé entr'eux, si ce n'est à voix basse. Ils cherchèrent, en se courbant, à apercevoir quelque bouquet de bois se dessinant sur l'azur du ciel, afin de tenir conseil un moment sans courir le risque d'être découverts ; mais comment trouver un abri sur ces immenses parées (déserts de sable) qui ressemblent à une longue bande de sable taillée dans le grand désert du Sahara, où nulle végétation n'apparaît à l'oeil fatigué, si ce n'est un sombre tapis de mousse semé çà et là de petits oeillets roses et d'immortelles sauvages qui fleurissent à peine sous les âcres baisers des brises de la mer. Il ne fallait pas y songer, et ils furent contraints, pour se cacher, de descendre dans une de ces cavités en forme d'entonnoir que l'on rencontre à chaque pas au milieu des dunes et qui sont comme les vallées de ces montagnes en miniature.

Après avoir écouté un instant au fond de leur trou, n'entendant d'autre bruit que celui des flots sur les rochers, il commencèrent à prendre confiance, et le plus âgé des deux adressant la parole à l'autre, lui dit à demi-voix :

- Savez-vous, chevalier, que nous avons été fort heureux que ce coquin d'Anglais ait enfin consenti à nous abandonner sa péniche ? sans cela, jamais nous n'eussions pu débarquer.

- C'est vrai ! répliqua le jeune homme ; mais je vous avoue que je ne lui en ai aucune reconnaissance, attendu que nous avons bien payé son méchant bateau trois fois sa valeur, et que le vieil arabe a fait là une excellente affaire.

- N'importe, mon ami, il nous a donné ou, si vous l'aimez mieux, il nous a vendu le moyen de rejoindre l'armée de la Vendée et de nous rendre encore utiles au service de Sa Majesté ; et, vive Dieu ! je lui en saurai gré toute ma vie, quoique ce soit un Anglais.

- A la bonne heure, mais à moins qu'il ne vienne un jour me demander l'hospitalité à la Boulaie - ce qui est peu probable - j'espère bien ne plus le revoir jamais, lui et ses aimables compatriotes. Nous voici sur notre terrain, et, quoi qu'il arrive, nous ne le quitterons plus, n'est-ce pas mon cher parent ?

- Oh ! non, non, mille fois non ! je suis las de cette vie d'exil, et des superbes dédains de l'étranger. Je suis surtout excédé de cette versatilité ou plutôt de ce machiavélisme qui, tour à tour, excite ou enchaîne nos courages et ne nous permet pas franchement de venir ici nous faire tuer pour le service du roi. Maintenant, nous voilà, grâce à Dieu, sur la seule terre qui soit restée fidèle ; je veux m'y cramponner jusqu'à mon dernier soupir ! Hélas ! ajouta-t-il, après un moment de silence, y retrouverons-nous encore les objets de nos chères affections ? ... ma femme, ma fille bien-aimée ... Ah ! mon cher chevalier, vous ne savez pas, vous ne pouvez pas savoir combien une pareille pensée peut ébranler les plus fermes courages ! ... et, tenez, je suis bien aise qu'il fasse aussi noir, afin que vous ne puissiez jamais vous vanter d'avoir vu un gentilhomme et un soldat pleurer comme une femme ou un faible enfant ! ... Allons ! pardonnez-moi, mon cher chevalier ! c'était un nuage ... cela ne m'arrivera plus ! et maintenant, il faut agir ! Notre position n'est pas des plus agréables au milieu de ces espèces de steppes arides, avec nos habits mouillés, et la perspective d'être arrêtés au point du jour ! Il faut absolument aller en avant et tâcher de gagner un pays plus couvert, car nous ne pouvons guère espérer que mon message soit parvenu à Mme de Montbriant, et compter sur le guide ...

- Excusez-moi, mes maîtres ! - dit tout à coup une voix derrière eux, - v'là votre guide lui-même, en personne.

Les deux gentilshommes, surpris, armèrent en même temps leurs pistolets, et se levant aussitôt, ils s'apprêtèrent à faire feu.

- Doucement ! doucement ! mes gentilshommes, reprit la même voix, ne tirez pas, car vous attireriez sur nous toute la bande des "Qu'as-tu-là" (sobriquet donné aux douaniers) du village de Sion ; après ça, vous me tueriez peut-être, et çà serait encore dommage de moi.

- Mais je connais cette voix ! ... - dit le chevalier de la Boulaie en désarmant son pistolet - n'es-tu pas ? ... attends donc ! comment donc est-ce qu'on t'appelait au château de Monbriant ?

- Gusty, monsieur le chevalier, pour vous servir.

- Tiens, c'est toi, Gusty ! dit le vieux gentilhomme, et comment te trouves-tu ici, mon pauvre enfant ? qu'y viens-tu faire ? qui est-ce qui t'a envoyé ?

- C'est Madame elle-même

- Madame ! ... oh ! parle, mon cher ami ! ma femme, ma fille ! sont-elles encore vivantes ? pourrais-je les revoir ? où sont-elles ? ... Mais parle donc ! parle donc !

- Oui, oui ! - reprit Gusty ou Quatorze, que ces messieurs ne connaissaient pas sous ce nom de guerre - Oui ! mon gentilhomme ! elles sont en sûreté, et elles vous attendent ; mais dépêchons-nous de déguerpir, parce que j'ai vu les gabelous occupés tout à l'heure à regarder votre barque échouée sur le sable. Allons, mes maîtres ! allons !

Les deux émigrés, le coeur allégé par les bonnes nouvelles qu'ils venaient d'apprendre, suivirent leur guide sans hésiter, et tous les trois s'engagèrent plus avant dans les dunes en se dirigeant vers le Bocage.

Il fut heureux peut-être pour la sécurité des voyageurs que M. de Montbriant, le plus âgé des deux, se fût trouvé si fort ému des consolantes espérances apportées par Quatorze ; car, en toute autre circonstance, il n'était pas homme à se laisser conduire ainsi par un jeune paysan qu'il supposait sans expérience, ni même à prendre un parti sans l'avoir longuement examiné, et avant d'avoir tenu avec le chevalier de la Boulaie, ce qu'il eût appelé un conseil de guerre. C'était un brave et loyal militaire, mais tellement amoureux de la forme, tellement fanatique des règles de la stratégie, que c'eût été l'homme le moins propre que l'on eût pu trouver pour le métier de partisan et les aventures de la guerre civile.

Le chevalier de la Boulaie, au contraire, son voisin et son parent éloigné, qui l'accompagnait en ce moment, avait toute l'ardeur imprévoyante de la jeunesse, et ne demandait qu'à se lancer dans les hasards d'une lutte encore mal connue, dont la mystérieuse poésie devait sourire à une imagination de vingt ans.

Ces deux messieurs n'avaient aucune donnée positive sur la guerre à laquelle ils brûlaient de prendre part ; les chefs de l'armée, son organisation, ses ressources, le mode de recrutement et de nomination aux grades, tout leur était également inconnu. Ils savaient seulement qu'on se battait là pour la religion et le roi ; c'était assez. Mais si le chevalier de la Boulaie, avec ses jeunes idées et son bouillant courage, était disposé à faire bon marché de certaines règles de la hiérarchie aristocratique, pourvu qu'on lui permit de se battre, il n'en était pas ainsi de M. de Montbriant, qui était la vivante expression de l'ancien régime. Il allait bientôt voir dans la marche et les habitudes de cette guerre des choses qui devraient étonner, choquer même la rigidité de ses principes et les pures traditions de Versailles.

On pense bien que les deux émigrés étaient fort impatients d'avoir des détails sur l'état du pays, sur les progrès de l'Insurrection et sur une foule de choses qui les intéressaient particulièrement ; mais l'inflexible Quatorze ne leur répondait que par des chut ! répétés, et ce ne fut qu'à une assez grande distance de la côte et après avoir écouté attentivement, à plusieurs reprises, qu'il prit la parole, et se mit à leur raconter les évènements dont nous avons fait plus haut le récit.

M. de Montbriant, que nous avons vu tout à l'heure pleurer au souvenir des personnes les plus chères à son coeur, ne donna pas un regret à la perte de son château incendié par les patriotes de M*** ; mais s'adressant d'une voix émue à notre ami Quatorze :

- Mon pauvre enfant, lui dit-il, je ne serais jamais attendu, je l'avoue, à recevoir un pareil service de ta part ; tu es un bon et fidèle serviteur ; tu ne me quitteras plus, et quand le roi aura repris sa couronne, je te récompenserai dignement, tu peux y compter.

- Oh ! mon maître, dit Quatorze, c'est pas la peine ... mais, tout de même, si ce beau jour arrive jamais, et que ce soit un effet de votre bonté, je voudrais bien ... il y a bien une affaire qui me ferait grand'joie !

- Eh bien ! qu'est-ce ? parle hardiment, mon garçon.

- C'est qu'il y a le vieux Bastien, le piqueux à monsieur, qui ne peut quasiment plus monter à cheval, et si monsieur me trouvait bon pour ...

- Ah ! ce n'est que cela ? ... Oui, oui, mon brave Gusty, tu seras piqueur, je te le promets, et je te donnerai à conduire une meute comme tu n'en as jamais vu de ta vie.

- Oh ! merci, mon gentilhomme ! et vive le roi ! s'écria Quatorze dans l'effusion de son coeur.

- Ainsi donc, voilà un point réglé ! Mais maintenant parle-moi un peu de la guerre ... Qui est-ce qui vous a recrutés pour le service du roi ? quels sont vos chefs ? combien comptez-vous de régiments ? ...

- D'abord, mon gentilhomme - dit Quatorze se hâtant d'interrompre son noble interlocuteur, dans la crainte de s'embrouiller au milieu de cette avalanche de questions - nous nous sommes recrutés tous seuls ; un beau jour, le monde se sont lassés de ne pouvoir plus aller à la messe le dimanche, et d'endurer la misère que les patauds nous faisaient voir depuis tantôt trois ans ; ils se sont tous assemblés, ont été chercher des commandants et les ont emmenés avec eux.

- Comment ! ils les ont emmenés avec eux ! mais il me semble que ce sont ordinairement les chefs qui emmènent les soldats et non pas les soldats qui emmènent les chefs !

- Dame ! c'est pourtant bien comme çà que çà s'est fait partout !

- C'est une chose étrange ! dit M. de Montbriant en se tournant vers le chevalier, - et si ce garçon n'est pas fou, il faut croire que le monde est maintenant complètement à l'envers.

Puis s'adressant de nouveau au jeune gas :

- Eh bien ! qui avez-vous choisi pour chef, vous autres ?

- Nous autres ? ... dame, nous sommes une belle-fois de notre paroisse qui allons avec M. Joly, le commandant d'Aizenai.

- Monsieur Joly ! dit le gentilhomme, je ne connais pas une seule famille de ce nom dans tout le Bas-Poitou ; il faut que ce soit un étranger ... Si je pouvais seulement savoir quelles sont ses armes ... ajouta-t-il comme se parlant à lui-même.

- Ses armes ! répliqua naïvement Quatorze, prenant le change, - ah ! c'est pas malaisé à voir, mon gentilhomme ; il ne les cache pas, je vous en réponds ! Il a d'abord un grand sabre qu'il fait vironner comme une plume au milieu des Bleus ; une bonne carabine suspendue à son échine avec une courroie de cuir, et dans sa belle ceinture de laine blanche, qu'il ne met qu'aux jours de grandes batailles, une paire de pistolets qui n'ont jamais manqué leur coup. Ah ! c'est un fameux homme, allez, mon maître ! il vous raccommode un blessé aussi proprement qu'il raccommodait les pendules avant d'être général ; mais pas commode, par exemple ! Quand il n'est pas content, et que nous voyons le sang lui monter dans les yeux, c'est à nous de nous ranger du chemin, car c'est un homme à vous tirer un coup de pistolet par la figure sans vous dire gare, au moins !

Le gentilhomme de la vieille roche était confondu de tout ce qu'il entendait, et il gardait le silence, ne pouvant arranger dans son esprit le but incontestablement monarchique de cette guerre avec ses allures populaires et ses formes presque républicaines.

- Mais - fit le chevalier de la Boulaie qui réfléchissait moins et que tous ces détails amusaient infiniment - vous avez encore d'autres chefs ?

- Ah ! oui, nous avons encore M. Charette, qui commande vers Machecoul, Legé et jusque vers Belleville.

- Ah ! pour celui-là, je le connais, dit M. de Montbriant, il est d'une bonne maison de Bretagne ; avant d'avoir épousé sa cousine, il était lieutenant de vaisseau dans la 1ère division de la 1ère escadre de Brest, sous le commandement du comte de Peinier. Mais je serais curieux de voir comment un marin vient à bout de se tirer des manoeuvres d'une armée de terre !

En ce moment, le guide au lieu de répondre s'arrête tout à coup, et étendant les mains de chaque côté comme pour empêcher ses compagnons d'avancer ;

- Chut ! mes maîtres, s'il vous plaît, dit-il à demi-voix, m'est avis que j'entends quelque chose.

- C'est un chien qui aboie, dit le chevalier.

- Oui ! mais ce chien de malheur, j'ai eu le temps d'apprendre à le connaître depuis six nuits que je suis à rôder sur cette côte, pour vous attendre. Il m'a bien fait de la misère, allez ! heureusement qu'il n'a pas le vent ; mais pressons-nous, tout de même, messieurs, pressons-nous !

Et les trois voyageurs doublèrent le pas.

Après avoir marché quelque temps en silence, le guide reprenant la parole :

- Bon ! dit-il, nous voilà rendus au canal de la Bardonnerie, et voici le pont.

Ce pont n'était qu'une planche sans garde-fous placée là pour la commodité des piétons. Après qu'ils l'eurent franchie, Quatorze la prit par un bout et la jeta dans le fossé pour retarder d'autant ceux qui les poursuivaient ; car leur marche avait été éventée, la voix du chien qui se rapprochait sans cesse ne pouvant lui laisser aucun doute à cet égard.

Après avoir encore marché pendant dix minutes, il vit bien que la précaution prise par lui n'avait pas eu tout le succès qu'il en attendait ; car les aboiements, un instant interrompus, avaient repris comme de plus belle. Il était évident que les ennemis avaient repêché la planche, trop lourde pour avoir été entraînée par le courant presqu'insensible du canal, et qu'ils étaient encore sur leurs traces.

- Ah ! bête gatée, va ! - marmonna Quatorze entre ses dents, en saisissant ses pistolets ; - c'est bien le diable qui t'a fait le nez ! mais ne t'inquiète pas ! si je pouvais seulement voir à quinze pas ! ...

Mais ses projets canicides étaient impossibles à exécuter, la nuit était trop noire et il fallait toute la connaissance qu'il avait du pays pour pouvoir se conduire au milieu de pareilles ténèbres. Aussi, sentant bien qu'il serait difficile de se débarrasser de son persécuteur par la force ouverte, il essaya de le séduire, et tirant de sa poche un morceau de pain de seigle qui lui restait de son souper, il le jeta perfidement sur le chemin.

Mais le chien était trop bon républicain pour se laisser corrompre par de pareils présents. Arrivé près du morceau tentateur, il s'arrêta un instant, le flaira de tous côtés, puis reprenant bravement la voie, il recommença la chasse avec une nouvelle ardeur.

- De quoi diable nourrissent-ils donc leurs chiens, ces damnés gabelous, dit Quatorze désappointé, pour qu'ils fugnent le nez comme ça sur un morceau qui ferait joie à un chrétien ?

- Qu'y a-t-il ? demanda M. de Montbriant.

- Oh ! rien, rien, mon gentilhomme, c'est le maudit caniche qui nous suit toujours ; mais encore un petit saut, et nous nous moquerons de lui et de ses gueux de maîtres.

En effet, ils arrivèrent bientôt sur le bord de la petite rivière du Ligneron, et le guide, saisissant la chaîne d'une nyole (bateau plat) amarrée à un pieux ; y fit entrer les deux émigrés, y monta après eux, et s'emparant d'une ningle (perche armée d'une petite fourche pour conduire la nyole) qui se trouvait au fond du bateau, il se mit à cingler vers la rive opposée où ils disparurent bientôt dans une forêt de grands roseaux connue sous le nom de Marais des rouches.

Le chien, arrivé sur le bord très-peu de temps après, faisait entendre des aboiements furieux, allant et venant le long de la rivière comme s'il n'eût attendu qu'un mot pour se jeter à la nage, lorsqu'une troupe de douaniers qui l'avait suivi de près parut sur la berge, et une voix s'écria au chien :

- Ici, Marquis ! ici !

Marquis se tut à l'instant, et la même voix reprit :

- Quand nous serons à dix, nous ferons une croix ! avez-vous jamais vu pareille chose ? Voilà pourtant la quatrième fois que nous appuyons la chasse à ce brigand, et toujours il nous échappe à cet endroit ! il a toujours bien le diable au corps ! - puis forçant sa voix pour se faire mieux entendre de celui qu'ils poursuivaient :

- Mais qu'il recommence un peu ce jeu-là ! et je lui promets, foi de lieutenant, de lui allumer une mèche comme il n'en aura jamais vu !

Après avoir appuyé cette menace d'un juron de corps-de-garde pour lui donner plus d'énergie, le lieutenant des douaniers donna, d'un ton de mauvaise humeur, l'ordre de rebrousser chemin, et tous se remirent en marche pour retourner au bord de la mer.

- Holà donc, là donc ! la main me démangeait-elle ! - dit Quatorze en les voyant confusément, à travers les roseaux, disparaître dans les ténèbres. - On n'y voit quasiment pas, mais c'était bien le plus grand des hasards, si, en tirant dans la mouée (masse), je n'en avais pas descendu un ... Après tout, j'aurais fait une bêtise, à cause de ces pauvres mondes ; vaut mieux garder ma charge de poudre pour une autre fois.

Les gentilshommes ne comprenaient pas toujours les monologues de leur guide ; mais ils eurent bientôt l'explication de ses dernières paroles en se voyant tout à coup accostés par une multitude de nyoles venues à leur rencontre de tous les points du marais.

Ce marécage isolé et presque inconnu était devenu le refuge des vieillards, des femmes et des enfants des rives de Saint-Hilaire et Notre-Dame de Rié, qui, pendant que les hommes valides guerroyaient dans le Bocage, venaient passer toutes les nuits dans cette immense roselière, pour n'être pas surpris dans leurs maisons et égorgés par la garnison de Saint-Gilles.

Il était impossible de trouver une cache plus sûre dans tout le pays insurgé. Lorsque les chiens des métairies, enroués à force d'aboyer contre les Bleus pour lesquels ils avaient une haine instinctive, se démenaient plus qu'à l'ordinaire et se répondaient en hurlant le soir à l'entour des maisons, c'était un signe certain que les républicains étaient en campagne et rôdaient dans les environs. Aussitôt les habitants des bourrines (chaumière en terre battue et couverte de roseaux) emportant ce qu'ils avaient de plus précieux, s'embarquaient dans la nyole toujours amarrée à la barre d'au tchéré (barrière de la cour), et à demi-couchés dans le bateau pour n'être pas aperçus, ils glissaient sans bruit jusqu'au Marais des rouches où les roseaux flexibles se relevant derrière eux, ne gardaient aucune trace de leur passage.

La sécurité que ces pauvres gens y trouvaient était si grande et si appréciable en ces temps malheureux que beaucoup d'entre eux n'en sortaient que le jour pour aller pêcher aux environs ou porter au moulin le blé de la semaine ; puis ils revenaient chaque soir à leur lieu de refuge où ils s'endormaient paisiblement dans leur barque, au doux frémissement des roseaux.

Cette vie à demi sauvage, toute poétique qu'elle puisse paraître à ceux qui en entendent aujourd'hui le récit, commençait à devenir bien rude à cette époque de l'année ; toutefois nos deux gentilshommes furent encore heureux de trouver cet asile, où Quatorze, qui était connu à peu près partout dans la Basse-Vendée, leur avait préparé un accueil digne de la franche et cordiale hospitalité des Maraichins. Les ménagères empressées allumèrent un feu de bouzats (combustible animal) sur une large pierre plate posée au fond de la nyole ; on fit cuire quelques poissons pêchés dans la rivière de Vie ; on accrocha des profondeurs d'une barque un énorme pain de gaboreas (mélange de blé et de fèves) pour les nobles convives, et les dernières bouteilles de vin de l'an passé, conservées jusqu'à ce moment pour les malades de la pauvre colonie, furent généreusement sacrifiées dans cette grande occasion.

Rien n'était touchant comme de voir l'empressement et la joie de ces pauvres gens, qui n'avaient alors rien à craindre ou à espérer de l'aristocratie et qui, pourtant, courtisaient son infortune comme ils avaient aimé sa prospérité. Les deux gentilshommes n'étaient personnellement connus d'aucun d'entr'eux ; mais ils faisaient partie de cette noblesse de province que les peuples du Bocage et du Marais considéraient comme une branche aînée de la grande famille chrétienne. Ils souffraient pour la même cause ; c'était assez pour qu'ils fussent entourés de marques de dévouement et de vénération.

Après le repas, chacun s'étendit au fond de sa nyole, sur un lit de feuilles de roseaux, enveloppé d'une couverture de laine verte dont les Maraichins étaient assez bien pourvus, et ce fut sur cette couche flottante, au milieu de cette espèce de désert, que les exilés goûtèrent les douceurs de la première nuit passée sur le rivage de la patrie.

Leur sommeil ne fut pas long. Dès trois heures du matin, avant que le cri du héron et le chant du courlis n'eussent troublé le silence du marécage solitaire, ils furent réveillés par la voix amie de leur guide.

- Allons, mes maîtres, allons ! il est temps de hobber (partir), il faut résolument que nous soyons dans le Bocage avant le jour ; ainsi levez-vous, s'il vous plaît, et parton de suite ! nous dirons nos prières en passant, à la chapelle Saint-Ambroise.

Ses deux compagnons de voyage se levèrent à l'heure même, et comme leur toilette n'était pas longue, ils furent prêts en un instant. Ils passèrent dans la nyole de Quatorze, et celui-ci saisissant la ningle qu'il maniait passablement pour un bocageon, dirigea l'embarcation vers la rive septentrionale du marais où ils abordèrent après une courte navigation. Après avoir prié un instant à la chapelle de Saint-Ambroise qui, par hasard, était encore debout, ils suivirent le cours de la rivière de Vie, en évitant le Pas-au-Peton, où se trouvait un poste de douaniers, et s'enfoncèrent enfin dans le Bocage par les coulées ombragées des environs de Saint-Maixant.

Rendus au bord d'un petit ruisseau qui vient des landes pour se jeter dans la Vie, Quatorze s'arrêta et s'adressant aux deux émigrés :

- M'est avis, mes gentilshommes, qu'il serait temps de déjeuner ? qu'en dites-vous ?

- Je dis, répliqua M. de Montbriant, que c'est une fort bonne idée, mon garçon, mais pour déjeûner il faut avoir de quoi se mettre sous la dent, et je ne vois pas ...

- Ah ! chien de malheur, va ! ... - murmura Quatorze en songeant alors au superbe morceau de pain inutilement sacrifié la veille - mais c'est égal, espérez-moi ici un moment, et c'est bien le diable, si je ne trouve pas de quoi frire par là, dans les métairies. Je connais les bons endroits, et bien fines sont les ménagères qui peuvent me cacher quelque chose !

- Tiens ! - dit M. de Montbriant en tirant de sa poche une pièce de monnaie - prends cela, mon enfant, et tâche de nous acheter quelques provisions.

- De l'argent ! - fit Quatorze en examinant la pièce avec une certaine curiosité, mais sans y toucher - il y a, par ma foi, bien longtemps que je n'en avais vu !  mais j'en ai pas besoin de votre argent, mon gentilhomme ; que voulez-vous que les créatures (les femmes) en fassent à cette heure ? il n'y a plus de foires nulle part, plus de marcellots pour vendre des rubans ou de la dentelle, et puis, d'ailleurs, tout ce qu'il y a dans le pays n'est-il pas au service du Roi ?

Peu rassuré par cette morale de soldat maraudeur, M. de Montbriant voulut vainement insister : le jeune gas, tournant brusquement les talons, était parti au pas accéléré pour aller à la découverte.

- Quel singulier garçon ! - dit le chevalier de la Boulaie à son compagnon, en voyant décamper maître Quatorze, - quel mélange de ruse, d'audace, de sentiments religieux et de morale relâchée ! C'est vraiment à n'y rien comprendre !

- Pardonnez-moi, chevalier, pardonnez-moi, cela se comprend fort bien. Ce pauvre enfant, devenu orphelin dès ses plus jeunes années, n'a jamais sucé dans la famille les principes de rigide probité qui sont, pour les patriarches de nos campagnes, ce que l'honneur est pour les gentilshommes, et puis la licence inséparable de la guerre, la misère qui parle haut en ces temps de perturbations sociales, tout cela peut expliquer et jusqu'à un certain point excuser notre ami Gusty.

Ils en étaient là de leur conversation, et le jour commençait à grandir, lorsqu'ils entendirent, à peu de distance, un bruit confus que l'oreille exercée du vieux soldat reconnut à l'instant pour le trépignement d'une troupe de cavalerie. Privés momentanément de leur guide et ne sachant si ceux qui s'approchaient étaient amis ou ennemis, les deux émigrés passèrent derrière la haie du chemin au travers de laquelle ils pouvaient tout observer sans être vus.

Ceux qui chevauchaient ainsi semblaient se considérer comme en pays ami, car au lieu de prendre les précautions d'usage et de marcher en silence, ils recordaient (chanter une chanson dont le refrain se répète en choeur) une chanson entonnée par le plus beau chanteur de la troupe, à en juger par ses cadences interminables et les houpements prolongés qui marquaient la fin de chaque couplet.

Ils passèrent ainsi toujours chantant en face des deux gentilshommes, qui eurent tout le temps de les examiner. Ils étaient environ une quarantaine d'hommes, montés sur leurs petits chevaux de landes, fort communs dans le pays, ou sur des chevaux d'escadron, tous équipés de la manière la plus bizarre. Les uns étaient assis sur des coussinets remplis de paille, les autres sur des bâts ou de vieilles selles aux pommeaux de cuivre, avec des étriers de corde et des licous passés dans la bouche du cheval, comme les maquignons qui s'en vont à la voire. Leur costume, moitié civil et moitié militaire, composé d'habits de paysans et de vieilles défroques républicaines, formait un mélange impossible à classer, et qui répondait parfaitement au reste de l'équipage. Si leur air déterminé et les armes dont ils étaient bien pourvus indiquaient suffisamment des habitudes batailleuses, leurs allures désordonnées et l'extrême négligé de leur tenue ne donnaient pas une haute idée de leur discipline militaire.

Les deux gentilshommes étaient assez familiers avec les mélodies poitevines pour avoir reconnu de prime-abord que c'était bien des gens du pays qu'ils avaient sous les yeux ; et les plumets blancs qui surmontaient leurs coiffures, plus ou moins originales, ne pouvaient laisser aucun doute sur le parti auquel ils appartenaient. Mais dans cette horde de vagabonds déguenillés, le rigide officier des troupes de Sa Majesté avait peine à reconnaître les défenseurs de l'autel et du trône, tels, du moins, qu'il aimait à se les figurer ; aussi les laissa-t-il passer sans se faire voir.

A peine furent-ils rendus à quelques centaines de pas, que Quatorze parut dans le chemin qu'ils venaient de quitter, et coupa court par sa présence aux commentaires à perte de vue que faisaient les deux émigrés sur l'apparition de cette étrange cavalerie. Le jeune gas avait jeté son fusil sur son épaule et revenait tranquillement en plumant, avec une attention marquée, une poule qu'il avait à la main. Quand il ne fut plus qu'à quelques pas, M. de Montbriant se leva et lui cria de loin :

- Eh bien ! mon garçon, as-tu fait quelque trouvaille et déniché quelque gibier ? que nous apportes-tu là ?

- C'est une poule, mon gentilhomme, une belle poule que j'apprête pour votre déjeûner.

- Une poule ! ... mais où l'as-tu prise ?

- Ah ! voilà ! ... en approchant d'une métairie, j'ai avisé la bête qui s'était levée trop matin pour son malheur, je l'ai galopée et je l'ai pêchée dans un buisson de coux (houx).

- Mais, malheureux ! elle ne nous appartient pas, cette poule ?

- Ah bah ! le renard l'aurait mangée, pour le sûr ! ... Eh bien ! ne vaut-il pas mieux qu'elle serve pour le déjeûner de braves gentilshommes comme vous ! ... sans compter qu'elle n'est pas maigre, la gaillarde !

Et tout en disant ces mots, il ramassait des branches sèches dans le buisson, battait le briquet pour avoir du feu, puis ayant embroché sa volaille dans une broche de bois et piqué en terre deux petites branches fourchues pour la soutenir, il se mit à la tourner doucement comme il avait fait maintes fois au château de Montbriant, quand le tourne-broche avait besoin de réparations.

Les deux gentilshommes se regardaient en souriant, et M. de Montbriant, pensant bien qu'il serait inutile d'insister, apprit à Quatorze la rencontre qu'ils avaient faites.

- Ah ! je sais ! oui, oui ! ... ce sont les faux-sauniers, dit celui-ci, j'ai bien entendu leur chanson.

- Les faux-sauniers ! ... qu'est-ce que c'est que cela ? font-ils partie de l'armée ?

- Oui et non ! ... c'est-à-dire, à des fois, quand le jeu leur hête (leur plaît).

- Quoi ! c'est là la cavalerie de Charette ?

- Oh ! c'est pas tout ! il y en a bien plus que ça, ma fois ! et puis ...

- Et c'est avec de pareils soldats, interrompit M. de Montbriant, que ces messieurs prétendent renverser la République ! ... Ah ! mon pauvre chevalier, je crains bien que nous ne soyons venus nous fourrer dans un guêpier ! mais, n'importe, nous ne reculerons pas !

Bien que Quatorze ne comprit pas sans doute toute la pensée du vieil officier, le ton de mépris avec lequel il parlait ne lui échappa point, et il répondit avec un peu de vivacité :

- Eh ! mon gentilhomme, croyez-vous donc que nos hommes sont des culottes de soie, comme les gardes nationaux de Nantes, qui passent leur temps à se friser la moustache et à brosser leurs uniformes dans leur camp de Villeneuve ? Par ma foi, ils ont autre chose à faire, et si vous les aviez vus à la prise de Machecoul, vous me diriez si ce ne sont pas de fameux gaillards ? Je les ai vus, moi qui vous parle, mon gentilhomme, quand les dragons endiablés de la République nous fauchaient avec leurs grands sabres, et que même les plumets de boucs (Elite de la cavalerie qui portait des panaches de poil de bouc) n'en voulaient plus ; v'là que M. Guérin, le commandant des Paydrets (habitants du Pays de Retz), arrive au grandissime galop vers les faux-sauniers, et qu'il leur crie : "A votre tour, les sauniers ! en avant, les enfants du diable ! ... "Ah ! fallait voir comme ils se jetèrent sur les Bleus, et comme les casques roulaient par terre, et quelle boucherie de monde ça faisait ! ... Vingt-cinq mille millions de tonnerres ! jamais homme vivant n'a vu un pareil abattage !

- C'est possible - répliqua M. de Montbriant, d'un air un peu incrédule - mais tu conviendras que leur tenue n'est pas des plus régulières et qu'ils ne paraissent pas trop bien disciplinés ?

- Ah ! dame ! tant qu'à ça je ne dis pas ! il y en a bien plus d'un parmi eux qui n'est pas trop bon catholique et qui a plus d'un péché sur la conscience ! J'ai entendu bien des fois M. Charette rager contre eux à cause de ça ; mais que voulez-vous ? ... c'est pas la crème de l'armée, après tout ; chacun a sa mode, et ... voilà !

Après cette défense éloquente des faux-sauniers, Quatorze jugeant que la poule devait être cuite à point, la fit glisser adroitement de la broche sur un tas de feuilles de noisetier qu'il avait cueillies pour servir de table, et les trois voyageurs se mirent à déjeûner de bon appétit.

Tout en mangeant, le guide apprit aux deux émigrés que ces faux-sauniers, ainsi nommés parce qu'ils se livraient à la contrebande du sel, avaient profité de la guerre pour donner plus d'extension à leur commerce interlope. Ce n'était plus par petites bandes et en usant de ruses qu'ils allaient dérober sur le sel sur les marais salants, mais bien à force ouverte, et en nombre assez considérable pour battre et disperser les douaniers chargés de la garde des côtes. Ces hommes habitués aux luttes et aux périls de la guerre, s'étaient jetés dans le parti royaliste moins encore par principes que par amour de la vie aventureuse. Ils étaient comme les enfants perdus de la cause royale, et si leur esprit d'indépendance était quelquefois embarrassant, et leur indiscipline peu honorable pour l'armée, ils rendaient tant de services comme soldats, que les chefs de la Basse-Vendée étaient bien un peu obligés de fermer les yeux sur l'irrégularité de leur conduite. Il y avait loin, sans doute, de cette troupe indisciplinée à la noble race de paysans sortis de la charrue, qui avaient pris les armes pour obéir à leur conscience et à la voix de Dieu ; mais tels qu'ils étaient, on eut été mal venu à leur contester le titre de chrétiens, et il n'en était pas un seul qui n'eût donné tout son sang pour la défense de la religion.

... à suivre ...

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La Maraîchine Normande
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