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La Maraîchine Normande
29 juillet 2012

LA BANDE D'AUBAGNE SOUS LA REVOLUTION - 1ère partie

Tout près de Marseille, à Aubagne, s'était organisée une compagnie dite du Soleil ou de Jéhu, qui longtemps tint la campagne. Le chef de cette bande paraît avoir été le boulanger Antoine Michel, dit La Calade. Pendant plusieurs années, il terrorisa la contrée, arrêtant les diligences, détruisant les récoltes ; pillant les fermes isolées, massacrant les voyageurs, les prisonniers et surtout les Républicains. Lorsque enfin il tomba entre les mains de la justice, il était accusé de vingt assassinats, à peu près constatés, et tous ces crimes, commis sous couleur de vengeances politiques, étaient restés impunis.

Voici d'ailleurs l'acte d'accusation, tristement instructif, lancé le 26 Vendémiaire an VIII (18 octobre 1799) par l'huissier Vernet contre "Antoine Michel, dit La Calade, natif d'Aubagne, y résidant, prévenu d'assassinat commis, le 3 messidor an IV, près le pont de l'Etoile, chemin de Roquevaire, sur la personne du citoyen Jullien père et de ses deux enfants ; ce celui commis, en messidor an III, sur le citoyen Jean-Baptiste Domergue ; de celui commis le 14 messidor an III, dans la terre de la Deydière, commune d'Aubagne, sur les citoyens Poutet, Bayle, Authier, Olivier et deux autres de la commune de Castelet ; de celui commis le 9 messidor an III sur les citoyens Etienne, Amiel, Gury et Bonnifay ; d'avoir fait partie de l'attroupement armé qui, le 12 germinal an IV, demandait les têtes des administrateurs municipaux de la commune d'Aubagne, ainsi que celle du commissaire exécutif placé près de cette administration ; d'assassinat commis sur la route d'Aubagne à Toulon, en brumaire an V, sur le citoyen Etienne dit le Berger ; d'avoir fait partie de l'attroupement armé qui, en nivose an V, se porta à l'auberge d'Olivary, commit des attentats sur sa personne ainsi que sur les Républicains qui s'y trouvaient ; de vol et de dévastation à la bastide du citoyen Champesertier situé dans le territoire du dit Aubagne, en germinal an V ; de vol et de dévastation commis, dans le mois de floréal an V, à la maison du citoyen Pourgier de Gemenos ; de vol avec effraction extérieure à la maison de Joseph Guillon à Aubagne, le 11 fructidor an V ; d'assassinat commis à Aubagne, le 1er jour complémentaire de l'an V, sur la personne du citoyen Sicard dit Pot-de-vin ; de celui commis sur le citoyen Jean-Baptiste Achard, enlevé de nuit des prisons de la commune d'Aubagne le second jour complémentaire an V ; de vol à la diligence à sa sortie d'Aubagne pour se rendre à Toulon le second jour complémentaire an V et de vol et de pillage commis le 3 vendémiaire an VI, sur les habitants de la commune de Roquefort ; d'assassinat commis à Aubagne dans le courant de l'an V sur la personne de Mathieu Dagnan ; de vol de la malle conduite par le citoyen Ponssin ; de vol de la caisse des impositions de la commune d'Aubagne ; de dévastations commises à la bastide de Gabriel Taurel, située dans le terroir d'Aubagne, quartier de Beaudinard ; d'assassinat d'un volontaire enlevé aux gendarmes sur la route d'Aubagne à Marseille, et finalement d'avoir tenu un dépôt d'armes pour la compagnie dite du Soleil".

En même temps que ce triste émule de Gaspard de Besse, se distinguaient à ses côtés, en qualité de lieutenant Auguste Faren, ex-tailleur, et Pignol, tous deux déserteurs et qui ne devaient tomber entre les mains de la justice que fort tard et à Milan, Achard et Jeanselme d'Aubagne et environ une soixantaine de complices, qui constituaient la compagnie, presque régulière, du Soleil. Cette compagnie avait une existence en quelque sorte officielle. Elle avait son cadre d'officiers, et son règlement. Elle s'intitulait même compagnie des chasseurs et des grenadiers d'Aubagne. Un de ses membres, Auguste Monieri, un tanneur, "interrogé s'il n'était pas de la Compagnie de Jésus et du Soleil, a répondu qu'il était de la compagnie de grenadiers commandée par le capitaine Achard. Celui-ci lui dit qu'il était son soldat, qu'il n'avait qu'à obéir à ses ordres et qu'il ne sait pas s'il était inscrit dans la compagnie de Jésus et du Soleil ; que cette compagnie était nommée la Compagnie des chasseurs et des grenadiers". Il se peut que quelques inconscients aient fait partie de la bande, et participé à ses crimes en croyant ne remplir que leur devoir, mais ce manque de clairvoyance est peu probable, et, en réalité, soldats et officiers n'ignoraient pas ce qu'ils faisaient, et en vertu de quels ordres ils agissaient.

On a conservé les noms des principaux d'entre eux. Que ce soit leur punition rétrospective de figurer sur cette liste d'incendiaires, de voleurs et d'égorgeurs. Sans parler de ceux que nous avons déjà nommés, citons encore les deux frères Cayol, le faïencier Camoin, le traiteur Camoin, Labaume aîné, Marc Boutin, Jamet, les deux frères Etienne, Sicard, Jean Decroix, Donnet, les six frères Monier, Jean Jullien, Blin, Denis Sicard, Poucel dit Ferry, Rousselier, Sivan, Jeanjean, le chapelier F. Faren, la Machine, Lande, Poucel dit Barthélémy, Reverdit, les deux frères René Sicard, Arnaud, de la Place, Comte, Paul fils de l'ex-juge de paix, Donde, Lion, le trompette Gautier, Martinot, l'apothicaire Baumier, Marin, Giraud, Tancrède Girod, Etienne de Prot, les trois frères Martel, Isnard dit du Rono, Jullien dit la Deydière, Bertrand, Bistagne, Camoin fils boulanger, le menuisier Raspaud aîné, Baudin dit Sichelle, les deux frères Maurin, Dupont dit Postillon et Etienne dit Maigne.

C'étaient là les bandits à tout faire, les agents d'exécution, mais les vrais chefs étaient les bourgeois, nobles ou prêtres, qui, en sous main, entretenaient le fanatisme et au besoin savaient à propos faire un sacrifice d'argent pour solder les assassinats. La compagnie ne recevait en effet aucune solde. Elle vivait du bénéfice de ses opérations, mais parfois un certain Rousselier, maître de café, dans le domicile duquel se réunissaient les compagnons, leur distribuait de petites sommes, qui lui étaient fournies par les membres secrets de la bande. Une autre auberge, celle de Sivan, était également fréquentée par les compagnons de Jéhu. D'après la déposition de Pignol et celle de Janselme, "c'est là que l'on désignait les Républicains et qu'on offrait de l'argent pour les égorger." On a conservé les noms de quelques-uns de ces instigateurs de crimes : Martin dit Degoin, le notaire Bérenger, Lieutaud homme de loi, l'ex-curé Martinot, le charron Paul Rey, l'ex-négociant Blancard, l'ex-lieutenant de vaisseau de Louve, l'ex-juge de paix Paul, le notaire Cartier ex-commissaire du Directoire, Delile ex-commandant d'Aubagne, et, ce qui vraiment dépasse la mesure cinq conseillers municipaux d'Aubagne, tous en fonction, "lesquels applaudissaient tous les crimes qui se commettaient". Certes la passion politique excuse bien des fautes, mais non les crimes de droit commun, et c'étaient de vrais criminels que ces membres actifs de la compagnie du Soleil et leurs protecteurs secrets.

Deux de ces agents, Rousselier et Delille, paraissent avoir joué un rôle prépondérant. Nous savons déjà que Rousselier était le distributeur ordinaire des sommes versées. Il était encore le gardien des armes. "Ledit dépôt était dans le café de Rousselier, et tous les individus de la compagnie étaient armés de fusils, sabres, pistolets et stylets ; Michel, dit Calade, avait un nombre d'armes dans sa maison ; les cartouches étaient à la maison commune et les officiers municipaux et Rousselier leur en fournissaient. Interrogé s'il n'avait pas connaissance de ceux qui signaient les ordres de route, quand ils allaient dehors, il a répondu "qu'ils marchaient sans ordre de route, et qu'une fois ils furent à Roquevaire, le commandant de la place, appelé Delille, était à leur tête, et firent le désarmement de cette commune d'Aubagne, dans la maison du commandant de la place". Voici donc une commune en quelque sorte en état d'insurrection contre le gouvernement légal, et ce sont les autorités constituées, c'est le chef militaire de la place, qui donnent l'exemple de l'insubordination. Ils ne se contentent pas de tolérer par leur connivence des actes coupables ; ils violent eux-mêmes et ouvertement la loi.

Il est vrai que la plupart d'entre eux prétendaient avoir le droit de soutenir leurs opinions par les armes, et se disaient les défenseurs du trône et de l'autel. De fait, ils ne se cachaient pas pour affirmer leurs sentiments anti-républicains. Ils ne se contentaient de les étaler au grand jour en insultant les Républicains, ils s'attaquaient même aux pouvoirs établis et en quelque sorte légitimés par la victoire. Le brillant vainqueur de l'Italie était l'objet de leurs invectives. A Cuges, Joseph Benoît déchirait la proclamation de Bonaparte relative à la célébration du 14 juillet, et en mettait tranquillement les morceaux dans sa poche, sans être inquiété. A Aubagne, lors du carnaval de l'année 1797, un mannequin de paille figurant Bonaparte, avec l'inscription Bon à pendre et Bonne patte, fut pendu et fusillé sur la place publique, en présence du commandant Delille, qui ne protesta seulement pas contre ce scandale. Dans toutes leurs exécutions même les plus odieuses, dans le moindre de leurs vols ou dans le plus prémédité de leurs assassinats, ils invoquaient toujours le nom du Roi, dont ils se disaient les mandataires. Aussi bien ils poussaient si loin la haine et l'exécration de la République que l'un d'entre eux s'emporta jusqu'à dire "qu'il fallait assassiner homme, femmes et enfants, jusques aux chiens et aux chats, et qu'il ne fallait plus de Républicains !" Donc, malgré toutes les excuses et toutes les dénégations, il s'agit bien de bandes Royalistes, et de crimes commis par les Royalistes.

Essaierons-nous de reconstituer la série de ces crimes ? Ce serait risquer de tomber dans une monotone énumération. Nous nous contenterons de rappeler les plus saillants ou les plus dramatiques, sans parler des simples effractions à main armée, ou des vols avec menaces de mort, mais non suivies d'exécution : telles la dévastation de la maison de campagne Joseph Paul au Garlaban par Poucel Léon et Coste le 7 ventose an IV (25 février 1796) ; celle de la bastide Gabriel Taurel et Maurel Lacoste à Beaudinard ; celle de la bastide Honoré Pichon au Garlaban, en vendémiaire an V (octobre 1796), opérées sans doute par la même bande ; le pillage de la maison Champourlier, dont on brutalise la fille, et contre lequel on tire un coup de fusil, germinal an V (avril 1797) ; de la maison Guillon à Aubagne, le 11 fructidor an V (28 août 1797) par le maçon Guilhermy, le tailleur d'habits, Pallen, le fameux La Calade et la femme Autheman, qui servit de recéleuse ; la mise à sac de la maison de Guillaume Depoussier à Gemenos, floréal an V (mai 1797), par Mascaron, Boubaron, Glouglou et naturellement La Calade, qui emportent chez eux meubles et objets volés ; le vol avec effraction de la maison Bernardy, dont on oblige la femme à aller chercher un serrurier pour ouvrir la cachette où elle avait enfermé son épargne ; le vol avec effraction chez Pierre Blanc, auquel on se contente de voler une partie de son vin, et de laisser écouler dans son cellier ce qui restait ; la première affaire de Fonblanche, du 7 brumaire an VI (28 octobre 1797), et la seconde alors qu'une quinzaine d'hommes armés, sur les sept heures du soir, le 20 septembre 1798, envahissent la maison de Garnier Fonblanche, exigent que le paysan Giraud et la fermière Tione leur ouvrent toutes les portes, enfoncent à coups de pieds le cabinet de "la citoyenne", et ne se retirent qu'après avoir exprimé le regret de ne pas rencontrer le propriétaire "pour lui faire son affaire". Le même soir les bandits se faisaient donner à manger et à boire chez le fermier Brémond, et exhalaient leur dépit par de sinistres menaces.

C'était encore La Calade qui jouait le rôle principal dans l'affaire Mathieu Raynaud. Voici la déposition de ce dernier, saisissante dans sa naïveté : "Etant à fossoyer sa terre située en ce terroir, au quartier de Garlaban, Antoine Michel dit La Calade lui dit : "comment t'appelles-tu ?" Le déclarant leva la tête et le dit Calade armé d'un fusil le coucha en joue et lui ayant demandé par trois fois son nom il lui répondit s'appeler Mathieu Raynaud. Ledit Calade, sans discontinuer d'avoir son fusil de même, se mit à siffler, et il entendit une voix qui lui dit "fais-le venir". Ledit Calade lui dit de marcher, et, après avoir pris ses souliers et son gilet, Calade cueillit des pêches et le suivit. Il s'aperçut que devant la porte de sa bastide, il y avait les nommés Joseph Guillermy, son fils et les deux frères Maurin. Etant arrivé au devant de la bastide, ils lui dirent d'ouvrir, que l'on voulait faire visite tout de suite. Ils volèrent une cage avec trois grives vivantes dedans ... Calade lui dit alors d'aller se mettre à genoux sous un amandier et dire son confiteor, qu'il allait être fusillé. Après s'être parlé entre eux, ils firent leur chemin. Il en fut quitte pour la peur", (1 vendémiaire an V). Au même moment était pillée après effraction une autre bastide à Garlaban, celle d'Honoré Pichon. Calade était le principal organisateur de ces expéditions nocturnes.

Il avait encore la spécialité de l'arrestation des diligences sur les grandes routes, et ces coups de main étaient si fréquents que les voyageurs, avant de se mettre en route, faisaient pour ainsi dire la part du feu, et gardaient en réserve une petite somme à remettre aux bandits. La mise en scène était réglée à l'avance. A un tournant de la route survenaient à l'improviste des hommes armés, en général couverts d'un masque et les mains noircies. Ils arrêtaient le conducteur, sans lui faire de mal, ordonnaient aux voyageurs de descendre, puis défaisaient les malles et brisaient les caissons et prenant tout l'argent qu'ils contenaient, enfin ils priaient poliment les voyageurs de remonter, non sans les avoir allégés de la monnaie qu'ils portaient sur eux. Si par hasard la diligence était escortée, ou bien ils laissaient filer en avant les gendarmes, ou bien n'hésitaient pas à leur livrer bataille. C'étaient presque toujours les mêmes, Mascaron, Faren, Jeanselme, Poucel et l'inévitable Calade, qui combinaient et exécutaient ces coups de main, et ils étaient fructueux. Chacun des complices gardait pour lui une dizaine de louis. Ce qui restait formait comme le fonds commun qui alimentait les partisans de la bonne cause.

Les arrestations de diligence devinrent si fréquentes qu'on en arriva à soupçonner de connivence avec les brigands les fonctionnaires chargés de la surveillance. L'un d'entreux, le commissaire de police Sardou, fut même destitué à ce propos. "Le bureau central instruit que malgré l'ordre positif donné à tous les commissaires de remettre chaque jour au bureau de la police le rapport des évènements qui ont eu lieu dans leurs sections respectives, le commissaire de l'arrondissement 23 n'a donné aucun renseignement sur le vol qui a eu lieu le 23 courant, aux petites Crottes, qui a été commis sur la messagerie dite la Turgotine par une bande brigands armés, destitue Sardou.

... à suivre

Paul GAFFAREL

Annales de Provence (Aix-en-Provence)

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