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La Maraîchine Normande
15 juillet 2012

L'abbé Maury ; son enfance ...

L'abbé Maury ; son enfance ...

 

A deux lieues au midi de Grignan, une petite cité se déploie au penchant d'un mamelon : c'est Valréas. Une petite rivière, appelée Couronne, desséché en été, coule en hiver à un quart de lieue de la ville. Des murs ferment la modeste cité ; de beaux platanes l'environnent. Sa population, toute agricole, dont on cite l'honnêteté religieuse et la vive intelligence, n'a éprouvé depuis le dernier siècle ni accroissement, ni diminution : elle se compose de quatre mille habitants. Valréas, toutefois n'est plus ce qu'il était avant la révolution ; il a perdu son petit séminaire, qui dépendait du séminaire de Sainte-Garde, à Avignon ; il a perdu aussi la plupart des grandes maisons qui lui donnaient de l'importance et de l'éclat, et dont on vantait le ton exquis et les moeurs élégantes.

Ce fut là, au milieu de ces moeurs simples et fortes, dans ce pays de foi et de respect, que naquit Maury (Jean-Sifrein), le 26 juin 1746. Le défenseur futur des titres de noblesse contre les Montmorency et les Noailles était fils de cordonnier : les grands talents n'ont rien à perdre à l'obscurité d'une origine. L'échoppe qui fut le berceau de Maury est devenue une maison bourgeoise entre les mains de possesseurs nouveaux. Les anciens de Valréas racontaient que le père de Maury était orateur, et que les gens du peuple recouraient souvent à lui pour pacifier leurs différends ou porter la parole en leur nom : il y aurait eu ainsi dans l'éloquence du fils quelque chose de l'héritage paternel.

La famille de Maury, originaire du Dauphiné, et autrefois protestante, n'avait embrassé le catholicisme que lors de la révocation de l'édit de Nantes ; c'est de cette époque que datait son établissement dans le comtat Venaissin.

Une grande pénétration marqua les premiers ans de Jean-Sifrein ; les ressources pour la culture de l'esprit ne manquaient point alors aux enfants pauvres ; les pieuses libéralités des siècles y avaient pourvu.

A l'âge de treize ans, Maury achevait ses humanités dans le petit séminaire de Valréas. On a recueilli un souvenir de son enfance dans cette maison d'éducation :

Un jour que le lieutenant-général de Grandpré en faisait l'inspection et qu'il visitait la classe du petit Maury, il se plaignit que les enfants ne lui répondissent qu'en patois. - "Monsieur, répliqua Jean-Sifrein, nous ne pouvons savoir que ce qu'on nous enseigne. Un jour, j'étudierai le français et je le parlerai bien ; mais jamais je n'oublierai mon patois, parce que l'esprit consiste à apprendre et non pas à oublier". Cette double promesse fut remplie, car Maury plus tard parla bien le français, et, au milieu des splendeurs de sa fortune, lorsqu'il recevait la visite d'un compatriote, ou que les rouliers de Valréas lui apportaient des provisions à l'archevêché de Paris, il ne souffrait d'autre langue que le patois du comtat dans l'expansive familiarité des conversations : il lui semblait retrouver ainsi l'air, les horizons, le soleil du pays natal.

Les maîtres de Valréas ne suffisant plus au jeune Maury, on le conduisit à Avignon, la cité papale où fleurissaient les études littéraires et religieuses. Il y passa une année au petit séminaire de Sainte-Garde, et puis entra au grand séminaire de Saint-Charles, dirigé par les Sulpiciens.

Un trait de mémoire prodigieuse se rattache à son séjour à Avignon. l'abbé Poulle y prêchait ; ce prédicateur célèbre, à qui il n'a manqué que du travail et un censeur d'un goût sévère pour devenir un grand prédicateur, touchait au déclin de l'âge, paraissait rarement dans la chaire et jouissait paisiblement de sa renommée ; Avignon son pays avait parfois le bonheur de l'entendre ; le bruit de son éloquence enflammait les jeunes imaginations du séminaire de Saint-Charles.

 

Maury demanda et obtint la permission d'assister à un sermon de l'abbé Poulle dans l'église de Saint-Agricole. Le supérieur du grand séminaire s'y était rendu de son côté ; il n'avait pas vu le séminariste dans l'auditoire, et crut pouvoir lui dire le soir, sur le ton du reproche et de la menace, qu'il était allé ailleurs qu'à l'église ; à chaque affirmation du jeune abbé, il opposait une négation plus vive : "J'ai si bien assisté au sermon, répondit à la fin le séminariste, que j'en ai transcrit de mémoire la première partie, et que j'allais achever la dernière quand vous m'avez fait appeler." Le supérieur demande à voir le cahier, s'étonne à chaque page qu'il parcourt, fait des excuses, et embrasse Maury. Il lui ménagea pour le lendemain un petit triomphe, à la suite duquel le vice-légat demanda pour lui, à Rome, un diplôme de membre de l'Académie des Arcades.

Les années du jeune Maury à Avignon avaient rempli son âme de vastes espérances. Autour de lui rien n'allait à sa mesure ; tout lui semblait étroit ; un seul point au monde s'offrait à ses rêves ardents, c'était Paris, Paris où les lettres qu'il aimait avaient leur foyer le plus éclatant, où la renommée portait le succès aux quatre vents du ciel, où le talent menait à la fortune ; ces enivrantes perspectives s'étaient surtout mêlées aux derniers temps de son cours de théologie ; une fois ce cours terminé, il prit son parti et songea aux moyens d'exécuter le voyage au bout duquel son imagination plaçait les plus séduisantes merveilles.

Maury avait alors dix-neuf ans. Il s'en va à Valréas pour revoir et embrasser tous les siens ; son père, à qui il avait confié son projet dans une lettre, s'effraie de sa hardiesse, accuse sa témérité et ne veut pas d'abord consentir à une entreprise où il n'aperçoit que des périls. Sa mère pleurait, priait Dieu et avait une confiance qu'elle parvint à faire partager à son mari ; celui-ci autorisa le départ du jeune abbé, dont toutes les paroles respiraient l'avenir. Un de ses frères l'accompagna jusqu'à Montélimart, et, en recevant ses adieux, lui remit tout ce qu'il possédait : c'était une somme de dix-huit francs qu'il devait ajouter à ses modestes ressources ; "un jour je t'en rendrai dix-huit mille" lui dit l'abbé. Il lui en rendit bien davantage.

On rapporte que, sur la route de Montélimart à Valence, seul et sans amis dans la mauvaise voiture publique dont chaque tour de roue le séparait de sa famille, il fut pris d'attendrissement et de tristesse au point de songer à revenir à Valréas ; mais la pensée de Paris ranima son coeur qui triompha de ses vives mais passagères émotions.

Une rencontre qu'il fit en Bourgogne acheva de lui rendre toute l'énergie de ses espérances ; parmi ses nouveaux compagnons de route à partir d'Avallon, il y avait deux jeunes gens qui se rendaient à Paris, et avec lesquels il ne tarda pas à lier conversation ; l'intimité des entretiens amena peu à peu les confidences ; chacun parlait de ses projets et se faisait sa destinée.

L'un de ces jeunes gens avait étudié en médecine dans sa province et disait : je veux être membre de l'Académie des sciences et médecin du roi ; c'était Portal ; il voyait juste dans son avenir.

L'autre jeune compagnon de Maury avait fait son droit et disait : Je deviendrai avocat général, c'était Treilhard ; il aurait frémi alors si quelqu'un lui avait annoncé qu'il serait un jour régicide.

Maury, interrogé à son tour, répondit : Moi, je deviendrai prédicateur du Roi et l'un des quarante de l'Académie française. On ne se représente pas sans un vif sentiment d'intérêt et de surprise ces trois jeunes gens dans une patache, s'échappant de leur obscurité par les élans d'une imagination prophétique, marchant vers la renommée qui les attendait sur des chemins différents, et deux d'entre eux appelés à de grands rôles dans des révolutions que personne au monde ne prévoyait à cette époque.

 ...

Extrait du livre :

Le cardinal Maury, sa vie et ses oeuvres

par Jean Joseph F. Poujoulat

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