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La Maraîchine Normande
10 juillet 2012

Le feu de l'enthousiasme brûlait à travers les rides de la Vendéenne ...

LETTRE

EUGENE A LEON

Nantes.

Depuis deux jours, je n'ai pu vous écrire, mon bien cher Léon : avant de quitter Clisson, j'étais allé visiter les ruines de Tiffauges et le champ de bataille de Torfou. J'y arrivai vers midi. La chaleur était accablante ; les paysans avaient abandonné leurs travaux.

Je ne rencontrait dans la campagne qu'une vieille femme qui revenait du lavoir ; elle avait déposé sur l'herbe son paquet de linge ; elle se reposait assise à l'ombre d'un chêne.

Suis-je loin du champ de bataille de Torfou ? lui demandai-je.

"Du champ de bataille de Torfou ! répéta-t-elle avec quelque chose de fier dans la voix ; vous y êtes ; c'est là qu'ils se sont battus."

Elle s'était levée, et son bras étendu montrait l'espace devant moi. "Montez sur ce fossé, ajouta-t-elle, et je vous dirai tout."

Je la remerciai. Elle répondit : "Ne me remerciez pas : parler à une Vendéenne, de Torfou, c'est lui faire plaisir. Mon mari y était, et a fait son devoir. Moi aussi j'ai fait le mien ; car, chez nous, il faut que les femmes aient du coeur comme les hommes.

"Au commencement de la bataille, de jeunes gars, qui n'étaient pas encore aguerris, eurent peur, s'égaillèrent et se mirent à fuir. On venait de mettre le feu à nos chaumières ; nous étions furieuses ; nous voulions être vengées. Au milieu des flammes, j'appelai nos voisines ; nous nous armâmes de fourches, de faux et de bâtons, et nous barrâmes le chemin des fuyards ; nous leur criions : Lâches ! que venez-vous faire ici ? retournez au combat : les républicains brûlent les maisons de vos pères ! Retournez au combat, ou vous mourrez de nos mains !

"Ils eurent honte de leur peur, et retournèrent joindre le Général Charette, que nous voyions de loin avec son plumet blanc. Il allait, il venait ; il criait : "C'est ici qu'il faut vaincre ou périr ! Dieu et le Roi ! Dieu et le Roi ! Mes amis, si vous fuyez, tout est perdu ! vous ne me verrez plus à votre tête."

"Bientôt M. de Bonchamps arriva ; il était blessé, et se faisait porter sur un brancard. Pour rien au monde il n'aurait voulu manquer l'occasion de battre les républicains.

"Tous nos bons se trouvaient réunis ce jour-là : d'Elbée, d'Autichamp, Lescure ! C'était à qui ferait le mieux, à qui s'exposerait le plus pour le service du Roi. Aussi, les bleus eurent une déroute comme nous n'en avions jamais vu. Leurs canons, leurs charrettes, leurs bagages, tout cela pêle-mêle dans les chemins creux. Leurs canonniers, qui étaient Français aussi, mouraient tous sur leurs pièces : ils se battaient vraiment comme des Vendéens.

"Kléber, leur général, avait été blessé dans la bataille ; et, comme M. de Bonchamps, il se faisait porter dans les rangs, pour encourager ses soldats ; et, comme M. Charette, il criait aussi : "C'est ici qu'il faut vaincre ou mourir !" Mais il eut faire, les bleus ne l'écoutaient plus et fuyaient de tous côtés. Nos hommes, acharnés après eux, en faisaient une grande boucherie. Le lendemain, ah. ! c'était grand pitié que de les voir : il y en avait plus de deux mille partout par là. J'ai aidé à les recouvrir d'un peu de terre. Que Dieu leur fasse paix !

 

"Le carnage eût été encore plus grand, sans un brave homme. Mon mari le connaissait, quoiqu'il fût dans les bleus ; il se nommait Chouardin. Son Général lui dit : "Chouardin, fais-toi tuer sur le pont de Boussay, avec ton bataillon, pour protéger la retraite de l'armée. - "Oui, mon Général," répondit Chouardin. Il courut au pont de Boussay, s'y fit tuer. Le bataillon obéit aussi : il n'en resta pas un seul homme."

La Vendéenne, en me parlant ainsi, s'était animée ; le feu de l'enthousiasme brûlait à travers ses rides. Walter Scott en eût fait une inspirée ... Ah ! il serait digne de son talent de peindre ce peuple que je vois et que j'admire chaque jour ! Mais un Anglais protestant pourrait-il concevoir la Vendée catholique ? Je ne le crois pas.

Après avoir ainsi parlé, la femme du soldat royaliste s'arrêta un instant, et ajouta :

 

"Bien des Messieurs viennent, comme vous, voir ce champ de bataille. Dernièrement, il y avait au château du Coubourreau, que vous voyez là-bas, plusieurs grands personnages. Ils se rendirent ici avec Monsieur le Marquis. Il y en avait un qu'on dit un Seigneur de la cour (Le Duc de Fitz-James), un Duc : ce qui est mieux que tout cela, un ami du frère de notre Roi ... Quand il fut là, sur la place où l'on s'est battu, il ôta son chapeau, comme s'il avait marché sur une terre sainte. Il se fit raconter toute la bataille par plusieurs anciens qui y avaient été. Ah ! celui-là a le coeur bien noble, je vous en réponds ; il est bien digne d'être Vendéen ! ... Si vous l'aviez vu, Monsieur, lui et son jeune fils, en écoutant les récits que leur faisaient nos paysans, ils pleuraient tous les deux d'admiration, leurs regards étaient pleins de feu et de larmes. Enfin, le Duc s'écria : "Mes amis, vous êtes des soldats au-dessus de tous les autres soldats ; vous ne faisiez pas la guerre pour de l'argent ; l'honneur seul vous payait. Le Roi, la France, le monde vous admire !"

"Alors un brave homme du pays s'avança et lui dit : "Monsieur le Duc, nous savions bien que nous avions bien fait, mais on ne nous l'avait pas encore dit."

 

Une colonne indiquant le lieux du combat de Torfou, va dit-on, être élevée à l'endroit où les Vendéens remportèrent cette grande victoire. On la devra à M. le Marquis de la B.

 

Quand la bonne femme m'eût quitté, j'allai, selon mon habitude, faire visite au curé du lieu. Celui de Torfou était jeune quand la guerre commença. Il la fit avec distinction, et servit valeureusement dans les rangs des soldats vendéens. Quand les temps furent plus calmes, il se consacra tout à Dieu, entra au séminaire, se fit prêtre, et devint curé de la paroisse où il avait partagé la gloire de tant de hauts faits d'armes. Je ne puis vous rendre combien ce rapprochement me touchait. Le zèle de ce digne prêtre est admirable, c'est un Vincent de Paul de village ; il a chez lui une école de vingt-cinq ou trente garçons qu'il prépare aux études ecclésiastiques. Il vient aussi de fonder une maison de Soeurs de la Foi destinées à donner aux filles de campagne l'instruction religieuse. Elle compte déjà plus de soixante élèves. J'avais grand plaisir à causer avec cet homme de bien. Il est heureux et fier de sa paroisse. Il me racontait que, dans les temps de guerre, quand les paysans étaient obligés de quitter leurs chaumières pour aller combattre, ces hommes religieux s'adressaient à Dieu pour lui recommander tout ce qui leur était cher, tout ce qu'ils abandonnaient pour sa cause. Alors les voeux étaient très-communs. Il me redit :

Qu'un paysan vendéen, nommé Retailleau, qui était né à la métairie de la Chabossière, où son père et son grand-père étaient nés, avait, en s'éloignant de chez lui, recommandé sa famille et sa demeure au bon Dieu et à la Sainte-Vierge ; et, après la bataille de Torfou, le feu qui avait été mis à son village, n'avait point atteint sa chaumière.

Mais plus tard, l'armée de Mayence, furieuse de sa défaite, saccagea et brûla tout ce qui était encore debout. Retailleau fut une seconde fois obligé de quitter la Chabossière. En en sortant, il fit voeu que, lorsqu'il y reviendrait, il élèverait une chapelle (un arceau) à la bonne Vierge. Il y est revenu ; mais sa maison était détruite : il n'en restait que des murs lézardés et noircis par le feu. Dieu voulait l'éprouver. Il le trouva chrétien résigné. "Me voilà de retour aux champs où je suis né, aux champs que mes pères ont cultivés. Que la volonté de Dieu soit faite, dit Retailleau au milieu de ses ruines ; j'élèverai l'arceau que j'ai promis à celle qui m'a protégé dans les batailles."

Fidèle à sa promesse, le soldat vendéen a choisi sur sa métairie l'endroit le plus apparent, au bord de la grande route, et là il a élevé une modeste chapelle, composée d'une arcade en granit du pays, au fond de laquelle il a déposé une petite statue de la Vierge Marie. Le curé de Torfou vint processionnellement la bénir, précédé de la croix et de la bannière, et suivi de tous ses paroissiens. Depuis ce temps, le voyageur surprend souvent, vers le soir, quelques Vendéens agenouillés sur la route, en face du monument champêtre. Les jeunes filles y apportent des fleurs la veille des fêtes, et les petits enfans viennent prier la divine Mère de l'enfant Jésus. On y a vu aussi, confondus dans la foule fidèle, MM. de La Bretêche qui, en 1815, menaient si noblement au feu ces mêmes paysans qu'ils édifient aujourd'hui par leur piété, et qu'ils secourent par leur bienfaisance.

C'est auprès de cet arceau qu'on découvre la belle vallée de Tiffauges que dominent la ville et les belles ruines du vieux château de ce nom.

 

Lettres vendéennes

ou correspondance de trois amis,

en 1823,

Dédiées au Roi

Par le Vicomte Walsh.

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