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La Maraîchine Normande
28 juin 2012

COLLOT-D'HERBOIS A LYON

Capture plein écran 28062012 205522

 

Collot-d'Herbois, le véritable Carrier de Lyon réunissait la férocité de système à la férocité de passion qu'inspire la vengeance : il avait autrefois joué la comédie en qualité d'histrion dans cette même ville où il déployait toute la puissance du proconsulat, et il n'avait jamais été accueilli que par des sifflets. Les êtres abjects ne pardonnent jamais de pareils affronts.

L'entrée de ce comédien législateur dans Lyon dut signalée par l'organisation du comité de séquestre pour s'emparer des propriétés, d'un comité de démolition pour renverser les édifices, et d'un tribunal révolutionnaire pour immoler les victimes.

Ensuite, dans le dessein d'électriser ces hommes qui n'ont d'autre politique que l'athéisme et qui sont tout dans un empire où la morale n'est rien, il fit faire l'apothéose de l'infâme Châlier, qu'il donna l'ordre de présenter à la vénération de la multitude comme un Dieu sauveur mort pour elle. Cette fête sacrilège se termina par jeter un Evangile dans les flammes. On ne sait jusqu'où cette orgie aurait conduit les satellites de Collot-d'Herbois, si un orage subit n'avait dispersé cette horde de profanateurs.

Comme le tribunal révolutionnaire n'était pas encore à la hauteur de celui de Dumas et de Fouquier-Tainville, Collot-d'Herbois le cassa de son autorité privée, et lui substitua une commission temporaire, composée de cinq membres et présidée par un scélérat de l'armée de Ronsin. L'interrogatoire, toujours uniforme, faisait frémir par sa concision : "Quel est ton nom, ton état, ta conduite pendant le siège ?" Sur les réponses de l'accusé, les juges touchaient une petite hache suspendue sur leur poitrine avec un ruban tricolore, en forme d'ordre de chevalerie, ou bien ils la portaient à leur tête, ou enfin ils l'étendaient sur le bureau où le greffier écrivait. Dans le premier cas, l'infortuné était traîné à la guillotine ; dans le second, il était fusillé ; le dernier signe rendait la liberté, mais on ne se le permettait presque jamais. Il ne fallait que dix minutes pour présenter sept prisonniers, pour les interroger, les inscrire sur le registre funèbre et les renvoyer dans leurs cachots.

Cependant la soif du sang, dans Collot-d'Herbois, s'irritait, comme celle du tigre, par la facilité même de le répandre. Il songea, pour varier les scènes de carnage, à faire fusiller en masse les détenus dans les caves, ou à les enfermer dans des maisons proscrites sous lesquelles on ferait jouer la mine ; il préféra de les placer en face de canons chargés à mitraille. Ici le tableau offre une telle invraisemblance dans son atrocité, que je me contenterai de transcrire quelques traits du livre qui me sert de guide. Le rôle ordinaire d'historien est trop pénible pour ma sensibilité.

Soixante-neuf jeunes proscrits furent tirés de la prison, et conduits dans une plaine qui borde le Rhône, en face du quai. On les plaça garrottés deux à deux, et dans la direction des pièces d'artillerie, entre deux fossés parallèles, bordés à quelque distance par des troupes de ligne. Au signal donné, la décharge emporta les membres de ces infortunés, sans leur arracher entièrement la vie. Les soldats franchirent ensuite les fossés, et frappèrent à coup de sabre ces hommes mutilés : ce ne fut qu'après deux heures de massacre que ces victimes des cannibales cessèrent de souffrir et de vivre.

Le lendemain, deux cent dix nouveaux proscrits furent destinés pour le même supplice, mais sous une forme de spectacle variée. En traversant le pont Morand, la gendarmerie les compta, et il s'en trouva deux de plus qu'il n'était porté dans la sentence. On en référa à Collot-d'Herbois, qui répond : "Qu'importe qu'il y ait deux surnuméraires ? S'ils périssent aujourd'hui, ils ne périront pas demain." Arrivés dans la plaine fatale, on les attache, avec des câbles, à une longue rangée parallèle de saules, entre les canons qui vont les mutiler et les soldats qui doivent achever de les faire mourir. On assure que la lassitude de ces derniers ne leur permit pas de consommer leurs assassinats, et que plusieurs respiraient encore le lendemain, quand les fossoyeurs révolutionnaires vinrent couvrir leur corps de chaux vive, dans le moment même du passage de la vie à la mort.

L'abominable proconsul, voyant que ses canonnades républicaines remplissaient Lyon d'une douleur quelquefois sombre et plus souvent expansive, défendit par une proclamation de laisser apercevoir, même involontairement, sur sa physionomie ou dans ses propos le plus léger signe de tristesse ou de pitié. Les réfractaires devaient être traités comme les suspects et partager leur supplice. Cette atrocité était copiée de Tibère, qui, suivant Suétone, défendit de pleurer ceux qu'il faisait égorger.

Deux femmes éperdues vinrent éplorer la grâce de leurs époux : un jugement de la police correctionnelle, dicté par Collot-d'Herbois, les fit attacher pendant six heures aux montants de la guillotine, teinte encore du sang de tout ce qui leur faisait chérir l'existence.

Cependant, quoique la férocité du proconsulat de Collot-d'Herbois remplit parfaitement les vues de la Montagne, la Convention en masse n'était pas encore assez sanguinaire pour y applaudir. Des députés des Lyonnais, dont la pétition ingénieuse et véhémente avait été dressée par le poète Fontanes, étant venus la lire à la barre, une indignation profonde éclata dans l'assemblée. C'est là qu'on apprit que, lorsque quatre cents têtes étaient tombées sous la hache des bourreaux, l'atroce proconsul avait encore fait périr avec le canon à mitraille quatre mille victimes. Les législateurs, dans un premier mouvement, rappelèrent Collot-d'Herbois ; mais lorsque celui-ci parut à la tribune, le buste de Châlier à la main, lorsqu'avec son éloquence de démagogue il eut fait entendre à ses collègues que, s'il restait dans Lyon une population de plus de trente mille individus, la patrie serait blessée à mort, un décret d'enthousiasme approuva sa conduite pour le passé et ses plans de destruction pour l'avenir. Alors il ne resta plus aucun espoir aux infortunés Lyonnais, et ils furent tentés, comme le second Brutus, de blasphémer la vertu.

Les supplices furent loin de cesser au départ de Collot-d'Herbois ; mais du moins le sang ne coula que sur les échafauds. Un des hommes qu'on regrettait le plus fut l'officier d'artillerie Chappuy de Maubast, dont le génie était connu dans toute l'Europe. Comme son talent pouvait être nécessaire aux désorganisateurs, on lui offrit la vie s'il voulait servir la république : "Non, répondit-il, je ne me suis battu et ne veux me battre que pour mon Dieu et mon Roi." La hache fit tomber sa tête.

Lorsque enfin la rage d'assassiner des hommes et de renverser des édifices fut portée au dernier période de la satiété, lorsque l'abandon des arts et des manufactures eut fait craindre à la politique que les étrangers ne s'emparassent de ce grand instrument de la prospérité publique, la Convention fit un pas rétrograde, et envoya Reverchon pour faire germer l'olivier de la paix sur les ruines sanglantes de Lyon. Le nouveau proconsul ne portait dans coeur ni l'humanité ni la justice ; il ne fit que le bien qu'il ne pouvait pas s'empêcher de faire. Il arriva au commencement d'avril 1794, et, dès le 6, disait-il dans son arrêté, il ne se trouvait plus d'innocents à rendre libres ni de coupables à punir. Cependant la commission, avant de se dissoudre, fit encore périr les deux bourreaux qui avaient exécuté Châlier : elle ne croyait pas qu'on dût exister, quand on avait porté la main sur un demi-dieu dont Collot-d'Herbois avait fait l'apothéose. (Bertrant de Moleville, Annales)

Anecdotes du temps de la terreur

L. Hachette (Paris) 1863

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