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La Maraîchine Normande
28 juin 2012

MASSACRES DE LYON

Il y avait deux énormes caves à l'hôtel de ville, l'une appelée la bonne, l'autre la mauvaise. Dans la bonne cave étaient renfermés ceux qui n'étaient pas encore destinés au supplice ; la mauvaise recélait ceux qui devaient périr immédiatement. Un des condamnés, nommé Grivet, fut oublié dans cette cave ; il y passa quatre jours, vivant des restes que ses compagnons y avaient laissés. Au bout de ces quatre jours, le geôlier, amenant un nouveau prisonnier, aperçoit Grivet et recule d'effroi ; il le prend pour un spectre, avec lequel il avait effectivement assez de ressemblance. Il appelle la sentinelle, et crie à Grivet : "D'où viens-tu ? - Je ne suis pas sorti d'ici ; on a sans doute mis à mort tous mes compagnons d'infortune, c'est un oubli que tu vas sans doute faire réparer."

Grivet est conduit à la commission ; on l'interroge ; il parle du profond sommeil où il était plongé lorsqu'on est venu chercher ses camarades : il est mis en liberté.

Le sculpteur Chinard, proscrit pour avoir servi pendant le siège, se déguisa avec un énorme bonnet, prit un faux nom, se munit de quelques papiers inutiles, et se fit arrêter comme filou ; il fut condamné à un an de détention par la police correctionnelle, et échappa de cette manière au massacre.

Un officier municipal de M. ..., nommé Laurenson, espérait sa prochaine liberté ; sa commune l'avait réclamé avec énergie, ses dénonciateurs se rétractaient, il allait être rendu à la liberté. Malheureusement, on l'avait mis auparavant sur la liste des condamnés ; les sbires viennent, on l'entraîne. En vain il se récrie, on le fait marcher au supplice. Enfin un gendarme fait attention à lui ; il prend pitié de l'infortuné, il fend la presse et présente sa réclamation. On y fait droit ; mais pendant cet intervalle Laurenson continuait d'être traîné à l'échafaud ; déjà le bourreau l'étendait sur la funeste planche ; le gendarme crie, Laurenson est détaché. Le malheureux avait perdu la raison. "Ma tête n'est-elle pas à terre ? disait-il dans son égarement. Ah ! qu'on me la rende ... Ne voyez-vous pas mon sang qui fume ! il coule près de moi et sur mes souliers ... Voyez ce gouffre où sont entassés tous ces corps. Retenez-moi, je vais y tomber." Il fut conduit à l'hospice.

Voici un trait de barbarie que j'ai entendu raconter comme un fait très-certain. Il se trouve dans plusieurs recueils, et cependant j'hésite à le croire.

Une femme, âgée de quatre-vingts ans, nommée Martinon, malade au point de ne pouvoir se soutenir sur la voiture qui conduisait au supplice, y fut jetée comme un ballot, et, au moyen de cordes, on la garrota avec force, de crainte qu'elle ne vînt à rouler à terre. En vain elle fait entendre des cris plaintifs, on la serre encore davantage. Après quelques instants de marche, la charrette éprouve une secousse ; le ventre de la malheureuse se brise, ses intestins se répandent, elle expire.

Au milieu de ce délire de férocité, on voyait éclater le plus grand courage, même dans l'âme de ceux où l'on devait s'attendre à en trouver le moins.

Une jeune fille de seize ans, nommée Marie Adriane, s'était habillée en homme, et avait servi dans l'artillerie pendant le siège. "Comment, lui dirent les juges, as-tu pu braver le feu, et tirer le canon contre la patrie ? - C'était, au contraire, pour la défendre," répondit-elle.

Une autre jeune fille du même âge refusait de porter la cocarde ; on l'interroge sur le motif de son refus. "Ce n'est point, dit-elle, la cocarde que je hais ; mais, comme vous la portez, elle déshonore mon front." Lafaye fait signe au guichetier d'attacher une cocarde au bonnet de la jeune personne. "Va, lui dit-il ensuite, en portant celle-là, tu es sauvée." Elle se lève avec sang-froid, détache la cocarde, ne répond que ces mots : "Je vous la rends," et marche au supplice.

Une autre jeune fille, au milieu des transports du désespoir, entre dans la salle du tribunal, et s'écrie :

"Mes frères sont fusillés, vous venez de faire périr mon père, je n'ai plus de famille : que faire seule au monde ? Je m'y déteste : mettez un terme à mon malheur, de grâce, faites-moi périr."

Elle était aux genoux des juges en leur adressant cette prière. Courchand et Fernex firent paraître quelque sensibilité, et la firent retirer.

Les billets dits de siège obsidional avaient été fabriqués dans l'imprimerie des frères Bruysset, et portaient la signature de l'aîné : c'était à celui-là qu'on en voulait. Au moment où le jugement devais avoir lieu, il était malade On fait venir son frère, on lui présente un de ces billets, et on lui demande si c'est sa signature. Il se contente de répondre, sans autre explication : "C'est bien la signature Bruysset." Cette équivoque courageuse sauve son frère ; c'est le plus jeune que les juges envoient à la mort.

M. Badjer avait un frère malade des blessures qu'il avait reçues dans l'affaire du 29 mai ; il fut arrêté à sa place et conduit en prison. Un mot pouvait lui sauver la vie ; il se tut, fut condamné, et marché gaiement au supplice.

M. Couchaux, jeune homme de vingt-deux ans, parvient à s'introduire dans le lieu de détention de son vieux père, à la faveur d'un mouvement autour des prisons, et veut l'engager à fuir. Le vieillard s'y refuse. "Ainsi, dit le fils, nous périrons tous deux, car je ne sortirai pas d'ici sans vous." Le père cède ; mais il a les jambes enflées, ulcérées, et ne peut marcher. Le fils le charge sur ses épaules, ils arrivent aux barrières, et sortent de la ville.

On admira aussi le courage résigné de quelques prêtres. On exterminait tous ceux qu'on pouvait saisir. "Si votre devoir est de nous condamner, disait l'un d'eux, obéissez à votre loi ; la mienne m'ordonne de mourir et de pardonner à mes ennemis."

"Crois-tu à l'enfer ? disait le président au curé d'Ampleguy. - Comment en douter, dit-il, puisque je vous vois ?"

Mais parmi les prêtres, il y en avait aussi de semblables à ceux dont la peur faisait des apostats dans d'autres départements. "Crois-tu en Dieu ? dit Parrein à l'un de ces prêtres. - Très-peu, répondit-il. - Meurs, infâme, et va le reconnaître."

"Que penses-tu de Jésus ?" demande-t-on à un autre. Il répond que sa morale a mis les hommes dans l'erreur. "Cours au supplice, scélérat. Jésus trompe les hommes ! lui qui leur prêchait l'égalité, et qui fut le premier et le meilleur sans-culotte de la Judée !"

Un des proscrits se nommait Calas ; les juges lui demandent s'il appartenait à la famille des Calas ; il répond que oui. " Va, lui dit le président, ton nom te sauve." Il est mis en liberté.

(Beaulieu, Essais historiques)

Anecdotes du temps de la Terreur

L. Hachette (Paris) 1863

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