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La Maraîchine Normande
4 juin 2012

RECIT D'UN VIEUX CHOUAN : LE PERE COURTEAU

RECIT D'UN VIEUX CHOUAN

M'SIEU HENRI

Soldat de Bonchamps, de La Rochejaquelein et de Charette, le père Courteau avait assisté à des journées héroïques, à des scènes terribles qui revenaient sur ses lèvres avec une vérité saisissante.

Après la mort de Bonchamps, il s'était présenté au jeune généralissime qui, frappé de sa bonne mine, de son courage et de son adresse, l'avait attaché à sa personne. C'est surtout quand il parlait de M'sieur Henri, que l'enthousiasme du vieux chouan débordait.

Voici un de ses récits dont l'auteur respecte autant que possible la syntaxe capricieuse et le style naïvement imagé :

"Je le suivions quasiment partout, disait fièrement le père Courteau. C'est moi qui soignais ses chevaux, qui fourbissais son sabre, ses fusils, ses pistolets, tout, quoi ! Ah ! celui-là, voyez-vous, c'était le brave des braves. Y en a pas eu, je crois ben, deusse pareils à lui su la terre de France.

A Saumur, les gâs n'alliont point de bon coeur à l'assaut, rapport que les Bleus avaient fait des trous dans le mur et qui zavaient mis derrière des canons qui nous crachaient de la mitraille, en veux-tu, en v'là. Quand Msieu Henri vit, comme ça, que le monde avait peur d'y aller, vlà qui prend son grand chapeau avec sa cocarde blanche et qui le jette par-dessus le mur ... "Qui va me le chercher ?" qui dit. Et vlà tous les gâs qui se mettent de suite à sauter, à monter, à grimper jusqu'en haut. Et chacun qui se disait : "C'est toujours ben moi qui va ravoir le chapeau à Msieu Henri." Ouiche ! c'était encore lui qui était rendu le premier, si tellement que le diable n'aurait pas censément été plus vite. Et qui avait remis son chapeau su sa tête, qui courait sur le mur, qui faisait monter le monde, que les Bleus s'en sauvaient déjà de tous les côtés. Dame ! pour être un gaillard, c'était ben sûr un gaillard ! Aussi je l'aimions tout plein, Msieu Henri, voyez-vous. Avec ça, un point fier ... Ben des fois, je l'ons vu, au lieu d'aller déjeuner avec ces messieurs qui avaient leur fricot à part, i s'en venait, comme ça, nous trouver pendant que je mangions. "I a-t-y une place pour moi, les gâs ? qui disait." Fallait voir comme les hommes étaient ben aises d'avoir Msieu Henri quanté eusse ! Tout un chacun, voyez ben, se serait censément retiré le pain de la bouche pour Msieu Henri.

"Ah ! c'est les Bleus qu'auraient ben voulu le détruire ! Figurez-vous que Msieu Henri, histoire de faire la niche aux Bleus, attachait comme ça des mouchoirs de Cholet, vous savez ben, ces petits mouchoirs-là qui sont tout fin rouges et qui se voyont de ben loin ... Eh ben ! Msieu Henri avait mis comme ça, des mouchoirs de Cholet à sa ceinture, à son cou et à son chapeau ; que les Bleus le visaient sans décesser. I zauraient donné venté ben pu de mille écus pour l'attraper ...

"Msieu Henri ! que je disions, tirez donc ces mouchoirs-là. Voyez ben que les Bleus ne visont que vous ! Et lui qui riait !

"Croyez-vous, les gâs, qui disait, que je vas me cacher devant les Bleus ! C'est pas eusse qui me feront rentrer mes mouchoirs !"

"Quand j'avons vu ça, je nous sommes dit : C'est pas ça ! Vlà Msieu Henri qui va se faire attraper une fois ou l'autre. Pisqu'i ne veut pas nous écouter, j'allons tertous faire itou ! (la même chose). Ca fait que tous les gâs ont mis aussi eusse un mouchoir de Cholet à leur chapeau, que les Bleus ne savaient pu ousqu'était Msieu Henri. Et lui qui riait : "Farceurs, qui disait, c'est pas du jeu, ça !"

"Ce brave Msieu Henri, ajoutait le père Courteau, c'est lui qui en a donné des beignes aux républicains ! A Entrammes, de l'autre côté de la Loire, pas ben loin de Laval, il a quasiment détruit l'armée de Mayence. Et à Dol, donc ! quelle nuit ! ... Je m'en souviendrai toute ma vie. Sans Msieu Henri j'étions f.... perdus ! I s'est battu, voyez-vous, trente-six heures durant, sans manger un morceau ; qu'il a changé sept fois de cheval ; deusse qui sont tombés sous lui, tués par des boulets, et les autres quasiment fourbus, parce qu'il galopait comme ça sans décesser. Je nous sommes battus, c'te fois là, sept heures de nuit ; qu'on ne reconnaissait seulement pas l'ami de l'ennemi. Je prenions des fois des cartouches, les Bleus et pis nous, dans les mêmes caissons. On ne voyait pu qu'au feu des fusils. Mais dame ! on reconnaissait les républicains quand ils sacraient le nom du bon Dieu. Les gâs de chez nous ne juriont jamais.

"Je nous sommes empoignés, une fois, un Bleu et pis moi, sans savoir qui j'étions. J'avions chacun le sabre à la main.

- Qui es-tu ? que je dis

- Qui es-tu toi-même ? qui me répond, en jurant comme un païen

- C'est pour sûr un Bleu, que je me dis - Et je lui avons passé mon sabre à travers la gorge. Y en a beaucoup qui sont péris comme ça.

"Les Bleus avaient perdu tant de monde qu'en voyant ça, le lendemain matin, i se sont ensauvés de tous les côtés. Msieu Henri les a encore galopés pendant deux heures, en ramassant les canons qui zabandonnaient pour courir pu vite.

"Après ça, il a tout de même déjeuné avec un morceau de pain et des patates bouillies que je lui avons fait cuire chez de bonnes gens de par là qui nous aimaient ben. I zauraient ben voulu nous donner autre chose, mais dame ! i n'avaient rien non pu eusse.

"Pauvre Msieu Henri ! dire qu'il a péri si jeune en remattant le pied chez nous !

"L'armée était finie, quoi ! Y avait plus de Vendée ! Msieu Henri avait repassé la Loire avec M. Stofflet et deux ou trois cents de ses soldats. Il a encore ben embêté les Vleus pendant cinq à six semaines. Mais un jour, i rencontre deux dragons républicains dans un chemin creux.

"Rendez-vous, qui leur dit ; on vous fera pas de mal." V'là un des Bleus qui jette son fusil. "Je me rends" qui dit, - l'autre qui tend le sien, censément pour qu'on le désarme, Msieu Henri s'approche pour le prendre. Alors le Bleu, qui tendait son fusil par le canon, recule un peu, vise Msieu Henri au coeur et l'étend raide mort du coup. J'avons sabré le républicain, ben entendu ; mais j'avons laissé l'autre s'en aller parce que c'était pas sa faute. Mais tout ça, ça ne nous rendait pas Msieu Henri.

"Après ça, j'avons été trouver M. de Charette. Ah ! dame, c'était un vrai général ! Les Bleus avaient si tellement peur de lui, qui lui ont demandé la paix, qu'il a entré dans Nantes avec quatre cents de ses soldats, que je marchais à deux pas derrière lui, qu'il a entré avec sa cocarde blanche au chapeau, que tout le monde accourait pour le voir.

"Mais dame ! après, on l'a trahi, sans ça, voyez ben, jamais i n'aurait été pris. Alors, comme ça, les Bleus l'ont pris et l'ont ramené à Nantes pour le fusiller. Ils l'ont fait marcher toute la journée, par les rues, pour le montrer, tant qui zétaient contents de ne pu avoir peur de lui, M. de Charette, i pouvait à peine se traîner, rapport à trois blessures qu'il avait reçues dernièrement. Mais i les regardait, voyez-vous ! ... que pas un seul de eusse n'osait le reluquer dans les yeux ! Et pis, ils l'ont donc mené, le lendemain matin, sur la place Viarmes, pour le fusiller ; que M. de Charette, en passant par la rue du Marchix, devant le n° 3, a levé les yeux et récité son confiteor, rapport qu'on lui avait fait assavoir qu'un monsieur prêtre serait à la croisée pour lui donner l'absolution. J'ons ben vu aussi un vieux, habillé en saunier, qui a fait un signe de croix su lui quand il a passé.

"Il ont voulu lui bander les yeux.

"Pour qui donc que vous me prenez ?" qui leur za dit. Et le vlà qui commande les hommes qui devaient le détruire, d'une voix qui s'entendait quasiment jusqu'à la place Bretagne. "Vive la religion ! Vive le roi !" qu'il a crié. Et pis il a commandé le feu ; et il a péri là, me pauvre M. de Charette !

"Je l'aimions ben, lui aussi ; mais pas tant tout de même comme j'aimions Msieu Henri !".

R.P. Jean Charruau

de la Compagnie de Jésus

La Vendée Historique

1901

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