RAPPORT AU COMITE DE SALUT PUBLIC
27 février 1794, rapport au Comité de salut public
Vous avez ordonné qu'on brûlât les repaires des brigands.
Croiriez-vous que, sous prétexte de se conformer à cette disposition d'un de vos arrêtés, on a brûlé des communes entières dont les habitants, animés d'un zèle très louable, s'armaient de fourches, de faux, de fusils et arrêtaient eux-mêmes les brigands pour les livrer à l'armée républicaine ?
Croiriez-vous que, sous prétexte de suivre vos ordres, on égorge les enfants, les femmes, les municipaux en écharpe à la suite d'un banquet civique donné par eux à une division de l'armée ?
Croiriez-vous qu'au moment où la famine semble menacer ces contrées, on incendie jusqu'aux magasins de subsistances, et que ceux non incendiés sont livrés à l'ennemi ?
Croiriez-vous que vos généraux donnent l'exemple du pillage et veulent faire dégénérer en vil métier de voleur le sublime emploi de défenseur de la patrie !
J'ai vu des malheureux, abandonnés au désespoir, n'ayant d'autre perspective que la mort et de la part de l'armée républicaine et de la part de la horde royale. Les habitants d'une commune qui avaient concouru à l'arrestation
de plusieurs scélérats à la suite de Charette, craignant d'être victimes de la dévastation générale ordonnée par le commandant en chef, vont trouver le brave Bard, général de brigade, qui leur donne un certificat ainsi
conçu : « Je déclare que la commune de..... s'est toujours bien montrée, que les habitants m'ont journellement amené des brigands pour être fusillés, et qu'on doit les traiter comme amis de la République. » La municipalité présente
ce certificat au général chargé de l'exécution de ce qu'on appelle les grandes mesures. Il répond qu'il a des ordres contraires, fait désarmer ces malheureux, laisse violer ensuite en leur présence leurs femmes et leurs filles,
et termine cette scène d'horreur par tout massacrer, jusqu'aux enfants à la mamelle. Tout est livré au pillage et à l'incendie...
J'ai lu, non pas une, mais vingt lettres de différents soldats ou officiers de différents corps ; j'ai entendu
des généraux, des citoyens, des habitants des lieux, des étrangers témoins des faits, tout se réunit pour dévoiler les mêmes crimes. Je joins ici une proclamation du général Turreau, qui seule est, à mes yeux, un délit,
parce qu'elle offre un tissu de mensonges, parce qu'on présente comme victoire le massacre d'enfants et de femmes, ou de paysans non armés, et qu'on dissimule tous les revers, et c'est ainsi qu'on trompe un peuple libre !
Marc-Antoine Jullien