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La Maraîchine Normande
16 mai 2012

LE PRINCE DE TALMOND ET LE GENERAL ROSSIGNOL

 

antoine-philippe

 

Antoine-Philippe de la Trémoille, prince de Talmond, fut l'un des principaux chefs de l'armée vendéenne. Après la bataille de Cholet, il prépara le passage de la Loire à Saint-Florent-le-Vieil, fit toute la campagne d'Outre-Loire et repassa ce fleuve à Ancenis à la suite de cette malheureuse expédition. Accablé de fatigues, de chagrins et de souffrances, il quitta bientôt la Vendée : son intention était de s'embarquer pour l'Angleterre, om il espérait prendre quelque repos et rétablir sa santé chancelante. Il fut arrêté près de Fougères, où il comparut devant le général Beaufort. On l'envoya ensuite à Rennes au représentant du peuple Esnue-la-Vallée, qui le fit comparaître le 2 janvier 1794 devant la Commission militaire. Son interrogatoire est connu (Souvenirs de la Révolution, mes parents, par le Duc de la Trémoille, membre de l'Institut, Paris 1901). Peu après, le prisonnier eut avec le général Rossignol un "dialogue", en présence du représentant, de la commission militaire et de plusieurs officiers de l'armée républicaine. Nous le reproduisons, tel qu'il fut imprimé alors dans une plaquette devenue à peu près introuvable aujourd'hui (In-8e de 22 pages, an II - Echos du Bocage vendéen, I, 159).

 

Capture 3

 

LE PRISONNIER - N'est-ce pas au général Rossignol que j'ai l'honneur de parler ?

ROSSIGNOL - Oui ; le représentant du peuple et moi nous vous avons mandé, pour avoir de vous des renseignements certains sur les moyens, sur les intentions, sur les correspondances de votre parti. Vous n'ignorez pas ce que la loi prononce sur votre sort ; vous n'avez plus rien à espérer et à craindre, et les lumières que vous nous donnerez peuvent être encore utiles à votre pays. Quel a été le résultat de votre dernier conseil tenu à Blain ?

LE PRISONNIER - Vous n'êtes pas sans doute dans l'usage de divulguer les plans de campagne que vous arrêtez dans vos conseils. Nous sommes généraux l'un et l'autre, et vous savez comme moi ce que nous devons au secret de nos opérations.

ROSSIGNOL - Général comme vous ! Vous combattiez pour la tyrannie, et je commande aux soldats de la raison et de la liberté. Savez-vous qui je suis ?

LE PRISONNIER - Sans doute un homme de talent, qui devez votre élévation à votre courage et à vos lumières.

ROSSIGNOL - Vous me flattez : je suis compagnon orfèvre.

LE PRISONNIER - Cela n'est pas possible !

ROSSIGNOL - Cela est aussi vrai que vous étiez ci-devant prince de Talmond.

LE PRISONNIER - Je le suis encore.

ROSSIGNOL - Laissons cela. Quel était le but de l'armée soit-disant catholique ?

LE PRISONNIER - L'armée catholique combattait pour son roi, pour l'honneur, et le rétablissement des anciennes lois de la monarchie.

ROSSIGNOL - Quoi ! c'était pour servir un maître que vous répandiez tant de sang, que vous ravagiez tant de pays ?

LE PRISONNIER - Chacun de nous avait servi avec distinction, et préférions la tyrannie d'un seul, puisque c'est ainsi que vous l'appelez, à celle de six cents hommes, dont les passions, l'orgueil et l'immoralité font de leur patrie un théâtre d'oppression et de carnage ; où personne n'ose énoncer librement son opinion, et où il n'est pas une seule famille qui n'ait à regretter un père, un époux, un frère, un ami. Vous-même, général, vous que la fortune et la guerre couronnent en ce moment, croyez-vous échapper à la faux de l'anarchie ? Désabusez-vous : la Convention ne met dans les places les hommes intègres et de bonne foi que pour les livrer, sous le prétexte frivole de trahison ou de perfidie, au glaive de la vengeance qu'elle appelle celui de la justice.

ROSSIGNOL - Arrêtez, Talmond !! Vous calomniez la représentation nationale ; elle a frappé tous les scélérats qui s'entendaient avec vous ou vos pareils pour la prolongation de la guerre ou le rétablissement des rois ; mais elle décerne des couronnes civiques aux hommes qui se battent de bonne foi pour la liberté, et savent sans regret mourir pour elle. Mais revenons. N'avez-vous pas eu avec l'Angleterre une correspondance qui vous promettait, à une époque déterminée, des secours en hommes, en vivres, en munitions et surtout une combinaison simultanée d'attaque sur Granville ?

LE PRISONNIER - Oui.

ROSSIGNOL - D'où vient donc que cette opération a échoué ?

LE PRISONNIER - On avait répandu dans l'armée royale des bruits qui tendaient à déshonorer les chefs, et elle n'a pas donné avec sa chaleur ordinaire. D'ailleurs, l'Angleterre a manqué de parole, ou des causes physiques et locales ont empêché son débarquement.

ROSSIGNOL - Si l'Angleterre vous a manqué de parole, vous devez être irrité contre ses ministres, et, n'ayant plus rien à ménager avec eux, vous pourriez en mourant rendre service à votre patrie, en dévoilant les complots ourdis contre elle.

LE PRISONNIER - Je veux en mourant emporter au tombeau l'estime de tous les partis ; vous n'avez pas sans doute espéré que je me déshonorerais par une bassesse. Amis ou ennemis, les puissances étrangères et nous servions la même cause ; elle triomphera et je ne veux pas qu'on dise que je ne l'ai pas servie jusqu'à ma dernière heure.

ROSSIGNOL - Elle triomphera ? Vous ignorez donc le succès de la république ?

LE PRISONNIER - Non, j'ai entendu parler de ses prétendues victoires. Au surplus, la guerre a ses vicissitudes et vous n'ignorez pas, général, que dans 68 combats livrés contre vous nos armes n'ont pas toujours été malheureuses.

ROSSIGNOL - Non, je vous le répète, vous avez vaincu quand des généraux perfides vous livraient nos armes et nos munitions. Votre armée n'a pas trouvé parmi nous les mêmes ressources, et vous n'aviez plus de poudre, m'a-t-on dit, lorsque votre colonne s'est dissoute.

LE PRISONNIER - Si j'en avais eu, je ne serais pas ici, et il faut avouer que nous n'en avons pas manqué pendant longtemps ; la nation nous en fournissait et c'est ce qu'il y avait de commun entre elle et nous.

ROSSIGNOL - D'où vient que vous n'êtes pas venu en chercher à Rennes ?

LE PRISONNIER - On n'a pas toujours suivi mes ordres dans le conseil. Ma première intention, après avoir passé la Loire avec 100 000 hommes, était de marcher sur Paris. Depuis j'ai eu des projets sur Rennes et le reste de la Bretagne ; mais des paysans jaloux de retourner dans la Vendée, dégoûtés de courses et de fatigues, ont dicté impérieusement nos démarches et précipité notre ruine en hâtant la leur.

ROSSIGNOL - Après votre défaite à Angers, il vous a donc été impossible de rallier vos troupes ?

LE PRISONNIER - Impossible ; les paysans, rebutés par des tentatives infructueuses vers la Loire qu'ils désiraient si ardemment de passer, poursuivis avec chaleur par des armées victorieuses, ont été toujours en pleine déroute, et vous savez, général, ce que sont des troupes en déroute ?

ROSSIGNOL - Voilà donc où ont abouti tant de dévastations, tant de pillages, tant de convulsions du fanatisme ?

LE PRISONNIER - On nous accuse de fanatisme et c'est à tort. Nous n'avons jamais eu dans nos armées d'autres pratiques de religion que celles de nos pères, et quant aux malheurs que cette guerre a entraînés, ce n'est pas à la république à s'en plaindre : elle les a nécessités, en portant le fer et le feu dans nos possessions, en fusillant nos prisonniers, en égorgeant nos malades. Nous nous battions avec fureur mais avec loyauté, et celui de nous qui dans l'action se livrait à la destruction avec le plus de force, n'eût pas touché un seul soldat patriote le lendemain du combat. Vos prisonniers de Saint-Florent attesteront à jamais cette vérité ; mais les nôtres ?

ROSSIGNOL - La République ne traite point d'égal à égal avec des rebelles, et l'opinion de la France entière s'élèverait contre toute disposition, de paix ou de conciliation.

LE PRISONNIER - L'opinion ! l'accueil qu'on nous a fait partout, prouve qu'elle était en notre faveur. L'opinion ! ah ! si j'étais seul avec chacun de vous, peut-être votre langage serait-il bien différent.

ROSSIGNOL - Vous ne connaissez pas les amis de l'Egalité. Ils n'ont pas comme les courtisans un langage pour le théâtre, un autre pour l'intimité ; il n'y a pas un soldat dans l'armée qui ne sache qu'il combat pour ses plus chers intérêts. Au surplus, nous nous écartons toujours. Quels étaient vos agents pour correspondre avec l'Angleterre ?

LE PRISONNIER - Des hommes sûrs qui prenaient tous différentes routes, différents moyens pour arriver à Jersey et en rapporter des réponses. Charette, par exemple, à Noirmoutier, a pour cela les plus grandes facilités.

ROSSIGNOL - N'en connaissez-vous aucun qui soit actuellement dans la république ?

LE PRISONNIER - J'ai déjà répondu combien j'étais éloigné de trahir ma cause. Je n'achèterais pas la vie à ce prix. Je ne forme qu'un voeu, c'est de hâter le moment où je dois la perdre.

ROSSIGNOL - C'est à la Convention nationale à prononcer !

 

Dans les jours où il subissait cet interrogatoire, le général vendéen adressa la lettre suivante à Rossignol. Nous la donnons dans son entier ainsi que la réponse :

Citoyen Général - L'ennemi que le sort a livré entre vos mains, réclame votre justice et votre humanité pour être traité un peu moins rudement qu'il ne l'est dans une chambre sans feu, où il meurt de froid, de faim et d'humidité. Il ne peut rien se procurer parce qu'on lui dit toujours : "C'est un ordre du général". Il a de la peine à croire qu'un tel ordre puisse émaner de vous, et qu'après s'être battu contre lui bravement et loyalement vous puissiez prendre plaisir à jeter de l'amertume sur ses derniers moments. Aujourd'hui encore on vient de lui refuser du poisson par votre ordre, dans la crainte apparemment qu'il ne cherche à s'étrangler exprès. Croyez général, qu'un tel dessein est bien loin de son idée et qu'après avoir bravé la mort si souvent, il saura l'attendre de sang-froid. Croyez aussi qu'il ne cherchera point à s'échapper, et sa parole de brigand à cet égard vous répondra de lui plus sûrement que toutes les sentinelles du monde. Veuillez, en conséquence, donner des ordres pour qu'on lui procure du feu et les aliments qui lui plaisent et comptez à jamais sur la reconnaissance de celui qui, après avoir été votre ennemi, espère au moins emporter votre estime.

Le Prince de Talmond

REPONSE - Le représentant du peuple a lui seul donné tous les ordres qui vous sont relatifs, et je ne suis, vous le devez savoir, que l'exécuteur de ceux qui émanent de la représentation nationale. D'ailleurs, tous les hommes sont égaux en droits : nul à nos yeux n'a le droit d'attendre, même en prison, un autre traitement que celui qui a été accordé à tous ses semblables.

Rossignol.

 

Le 25 Janvier, Esnue la Vallée envoya le prince de Talmond à Vitré, devant la commission militaire, qui le condamna à mort, et le 27, il fut guillotiné à Laval ; il n'avait que 28 ans. En 1785, il avait épousé Mlle d'Argouges, dont il eut un fils marié en 1813 à Mlle de Dufort de Duras.

F. Uzureau

Directeur de l'Anjou Historique

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