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La Maraîchine Normande
6 mai 2012

DOM LOUIS-FRANCOIS LEBRUN, MOINE DE SAINT-WANDRILLE ET MARTYR

DOM LOUIS-FRANÇOIS LEBRUN

MOINE DE SAINT-WANDRILLE ET MARTYR

Le 1er octobre 1995 ont été béatifiés sur la place Saint-Pierre à Rome soixante-quatre prêtres, séculiers et religieux, morts sur des pontons ancrés au large de Rochefort, où ils avaient été déportés en haine de la foi et pour avoir refusé les serments exigés des prêtres et religieux par les autorités révolutionnaires, en 1794 et 1795.

Parmi eux se trouvait un moine mauriste de Saint-Wandrille, dom Louis-François Lebrun, qui est devenu l'un des nombreux saints moines de Fontenelle. Il est en même temps la figure la plus attachante des derniers moines du XVIIIe siècle.

Quand la Révolution commença, et que très vite, dès le mois de février 1790, les vœux solennels furent abolis par l'Assemblée nationale, et donc la vie monastique, tous les moines qui étaient à Saint-Wandrille demandèrent à se retirer.

Plusieurs prêtèrent le serment constitutionnel pour obtenir une charge de curé.

Le cas le plus remarquable est celui du prieur, dom Alexandre Jean Ruault, qui fut élu maire de Saint-Wandrille, démissionna dès le 7 novembre 1790, devint curé constitutionnel d'Yvetot, fut élu à la Convention en septembre 1792, fut emprisonné pendant un temps, finalement apostasia par lettre devant la Convention en déclarant que désormais sa carte de citoyen français serait le seul diplôme dont il veuille s'honorer. Devenu fonctionnaire sous l'Empire, et s'étant marié, il mourut à Coulommiers en 1824.

Semblable est le cas du dernier abbé commandataire, le cardinal Etienne de Loménie de Brienne (1727-1794), archevêque de Toulouse puis de Sens, ministre des Finances de Louis XVI en 1787 et 1788, qui prêta le serment constitutionnel, devint "évêque du département de l'Yonne", fut déchu du cardinalat par le pape Pie VI en septembre 1791, puis renonça au sacerdoce en novembre 93. Il mourut alors qu'il allait être arrêté ; son neveu et coadjuteur, Martial de Loménie de Brienne, dernier abbé de Jumièges, fut guillotiné le même jour que Madame Elisabeth, sœur de Louis XVI.

On ne peut donc pas parler d'une fidélité de toute la communauté. Les esprits avaient été marqués par les courants de pensée de cette fin du XVIIIe siècle : le rationalisme, le jansénisme politique, le gallicanisme...

Plusieurs moines appartenaient, avant 1789, à la franc-maçonnerie, et signaient comme tels. Le tranquille héroïsme de dom Lebrun n'en ressort que d'autant plus : il fut fidèle malgré les conditionnements de son temps, le manque d'héroïsme de ses confrères...

1 - Jeunesse et vie monastique

Louis-François Lebrun naquit le 4 avril 1744 à Rouen où son père était marchand pelletier et trésorier de la paroisse Saint-Herbland, située sur le parvis de la Cathédrale. La famille s'installa bientôt rue Grand-Pont, sur la paroisse Saint-Cande-le-Jeune.

Il entra au noviciat de la province de Normandie de la Congrégation de Saint-Maur, situé à l'Abbaye Saint-Martin de Sées, et y fit profession monastique le 10 juin 1763, à l'âge de 19 ans.

A cause du caractère centralisé de la Congrégation, les moines mauristes faisaient vœu de stabilité non pour un monastère, mais pour une province, et étaient appelés à vivre dans les différentes maisons de cette province. C'est ainsi que le Père Lebrun arriva à Jumièges au début de 1771, étant diacre. Il fut ordonné prêtre le 21 septembre 1771.

On peut dès lors le suivre dans les différentes charges qu'il remplit. En 1774, il était à Saint-Florentin de Bonneval, et fut nommé prieur de Saint-Sulpice de Courbehaye, en Beauce, dans le diocèse de Chartres, artifice qui permettait à la congrégation de toucher les revenus attachés à ce bénéfice. Il garda ce titre jusqu'à la Révolution.

En 1775, il fut transféré au Bec-Hellouin, puis devint prieur de Saint-Martin de Sées en 1778, de Notre-Dame de Valmont en 1779. En 1781, il est simple moine à Valmont, puis à Saint-Ouen de Rouen.

En 1783, il est à Saint-Georges de Boscherville, où il est élu sénieur par la communauté. La même année le voit redevenir prieur à Bonne-Nouvelle de Rouen, mais il n'achève pas son triennat, probablement à sa demande. En décembre 1784, il signe comme moine à Saint-Ouen de Rouen. Enfin, il arrive à Saint-Wandrille en septembre 1788 où il est nommé sénieur par le prieur. On ignore quelle charge il a pu remplir en communauté.

Plusieurs moines appartenaient, avant 1789, à la franc-maçonnerie, et signaient comme tels. Le tranquille héroïsme de dom Lebrun n'en ressort que d'autant plus : il fut fidèle malgré les conditionnements de son temps, le manque d'héroïsme de ses confrères...

1 - Jeunesse et vie monastique

Louis-François Lebrun naquit le 4 avril 1744 à Rouen où son père était marchand pelletier et trésorier de la paroisse Saint-Herbland, située sur le parvis de la Cathédrale. La famille s'installa bientôt rue Grand-Pont, sur la paroisse Saint-Cande-le-Jeune.

Il entra au noviciat de la province de Normandie de la Congrégation de Saint-Maur, situé à l'Abbaye Saint-Martin de Sées, et y fit profession monastique le 10 juin 1763, à l'âge de 19 ans.

A cause du caractère centralisé de la Congrégation, les moines mauristes faisaient vœu de stabilité non pour un monastère, mais pour une province, et étaient appelés à vivre dans les différentes maisons de cette province. C'est ainsi que le Père Lebrun arriva à Jumièges au début de 1771, étant diacre. Il fut ordonné prêtre le 21 septembre 1771.

On peut dès lors le suivre dans les différentes charges qu'il remplit. En 1774, il était à Saint-Florentin de Bonneval, et fut nommé prieur de Saint-Sulpice de Courbehaye, en Beauce, dans le diocèse de Chartres, artifice qui permettait à la congrégation de toucher les revenus attachés à ce bénéfice. Il garda ce titre jusqu'à la Révolution.

En 1775, il fut transféré au Bec-Hellouin, puis devint prieur de Saint-Martin de Sées en 1778, de Notre-Dame de Valmont en 1779. En 1781, il est simple moine à Valmont, puis à Saint-Ouen de Rouen.

En 1783, il est à Saint-Georges de Boscherville, où il est élu sénieur par la communauté. La même année le voit redevenir prieur à Bonne-Nouvelle de Rouen, mais il n'achève pas son triennat, probablement à sa demande. En décembre 1784, il signe comme moine à Saint-Ouen de Rouen. Enfin, il arrive à Saint-Wandrille en septembre 1788 où il est nommé sénieur par le prieur. On ignore quelle charge il a pu remplir en communauté.

2 - La Révolution

La loi du 13 février 1790 supprime les vœux solennels et donc les ordres religieux. Chaque moine de Saint-Wandrille dut donc déclarer devant la municipalité ses intentions.

Le prieur dom Ruault déclara vouloir se retirer, "ne pouvant connaître la maison qui lui sera assignée, ni le régime qu'il serait obligé d'y suivre".

Comme les autres moines, dom Lebrun émit la même intention, affirmant "en outre qu'en adhérant à la présente déclaration, il n'entend pas se dépouiller de la faculté accordée par l'assemblée de se retirer dans quelqu'une (sic) des maisons qui seront désignées par elle si ces maisons relativement à son goût pour l'étude pouvoient lui convenir telles que Bonnes nouvelles (sic) et Saint-Ouën de Rouen, Saint-Germain Després, Saint-Denis ; aussi bien que le gouvernement spirituel et temporel qui y sera adopté."

Il se réservait aussi l'administration personnelle de la pension trimestrielle de 225 livres allouée aux anciens religieux, ainsi que la libre disposition de tout ce qui pourrait lui appartenir.

La vie régulière cessa à Saint-Wandrille dès l'été 1790, la plupart des moines demeurant pourtant dans la village ou même dans le monastère. Certains continuèrent quelque temps à se rassembler dans leur église pour les grandes fêtes.

Ainsi en fut-il de dom Lebrun qui se retira bientôt à Jumièges, devenue maison de réunion, où pouvaient vivre des religieux de tous ordres et observances confondus. Mais en raison du grand désordre qui y régnait, et après un bref séjour au Bec, également maison de réunion, il se retira dès octobre 1791 dans sa famille, à Rouen.

Dom Lebrun n'avait pas eu à prêter le serment de fidélité à la Constitution civile du clergé de juillet 1790, exigé seulement des curés et desservants nouvellement établis par le régime.

Quand vint la loi du 10 août 1792 sur le serment "liberté-égalité", exigible dans les huit jours de tout citoyen touchant une pension de l'Etat, il refusa, s'en tenant à l'opinion commune des ecclésiastiques qui le désapprouvaient.

Comme le directoire de Rouen était modéré, on le laissa tranquille. Mais la machine était en marche. Dès le 28 août, un décret de proscription générale prévoit la peine du bannissement pour tout ecclésiastiques non-assermentés : c'est l'exil ou la déportation en Guyane. Reprise du décret par la Convention le 21 avril 1793.

Enfin, le 20 octobre 1793, 29 vendémiaire an II, il ne reste plus d'échappatoire aux anciens religieux : la Convention déclare que les insermentés ont dix jours pour se livrer, et être déportés. Passé ce délai, ils sont passibles de la peine de mort dans les vingt-quatre heures, eux et ceux qui les auraient cachés. Pour ne pas mettre en danger sa sœur et son beau-frère qui l'hébergeaient, il se livra par lettre.

Au citoïens administrateurs du département de la Seine inférieure.

Citoïens. La convention ayant rendu un décret les 29 et 30 jours du 1er mois de l'an second de la république française une et indivisible relatif aux ecclésiastiques sujets à la déportation (Art. 10. Tous les ecclésiastiques séculiers ou réguliers etc. qui n'ont point satisfait aux décrets du 14 aoust 1792 et 21 avril dernier etc.) et qui ordonne à ces mêmes ecclésiastiques mentionnés en l'art.10 qui cachés n'ont point été embarqués pour la Guïane françoise de se rendre auprès de l'administration de leurs départements respectifs qui prendront les mesures nécessaires pour leur arrestation embarquement et déportation en conformité de l'article 12, le citoien Louis François le Brun religieux bénédictin de la cidevant abbaïe de St Wandrille district de Caudebec, n'ayant point prêté ledit serment vient de se soumettre aux ordres du département et lui déclarer qu'il demeure chez le citoïen Sciaux chirurgien son beau-frère, rue des charretes n°62.

Louis François Le Brun

A Rouen le 19 brumaire l'an deux de la république une et indivisible (Archives départementales de la Seine-Maritime, Rouen, L. 1222).

3 - Prison et déportation

Le jour même, il est arrêté et interné à la maison commune de Saint-Vivien de Rouen, en fait l'ancien grand-séminaire devenu prison, où se trouvent déjà une soixantaine de prêtres.

Pendant plusieurs mois, ordres et contre-ordres arrivent, projets et contre-projets de déportation se suivent, prévoyant les uns un départ rapide vers la Guyane, d'autres vers l'Afrique occidentale ou Madagascar, où on aurait débarqué les prêtres en les abandonnant à leur sort.

Enfin, le ministre Paré envoie l'ordre de départ vers Bordeaux ou Rochefort, au plus voisin... Dom Lebrun essaie de se faire déclarer inapte en demandant une visite médicale, laquelle a lieu le 29 ventôse avec un résultat négatif.

Le départ de Rouen a lieu le 1er germinal an II (21 mars 94). Un témoin des départs, M. de Horcholle, ancien avocat et procureur à la Chambre des comptes de Normandie, a noté en date du 6 mars : On a enlevé ce matin, du Séminaire St Vivien, actuellement maison de détention et de réclusion, quatorze bons prêtres, la plupart non fonctionnaires publics, par conséquent non compris dans le décret rigoureux du 24 avril 1793. On les a liés et garotés dans une charrette, comme des scélérats, et conduits à Rochefort pour y être embarqués et déportés à la Guyane française, dans l'Amérique méridionale. On a continué ces départs jusques et compris le 21 de ce mois (Arch. Départ., Rouen, Y.128*, fol. 97 et 98).

Nous retrouvons dom Lebrun le 20 germinal à Rochefort, sur le Borée, soit un voyage de 503 kilomètres, ou 129 lieues, via Chartres, Tours et Poitiers, avec étapes dans des églises profanées ou des prisons.

4 - Les pontons

D'abord enfermé sur le Borée, un vieux vaisseau qui servait d'hôpital aux galeux, ancré en pleine Charente, dom Lebrun y subit une fouille ; le procès-verbal nous donne l'inventaire de ce qu'il avait pu emmener avec lui : vingt-trois volumes et la modique somme de 9 livres 10 sols et 3 deniers. Tout fut confisqué.

Dès le 22 germinal, il est transféré sur une petite goélette qui, en une nuit l'emmène avec ses compagnons de captivité sur un navire négrier, Les Deux Associés. Le bâtiment, d'une taille de cinq à six-cents tonneaux, était un des deux vaisseaux devant transférer les déportés en Guyane, l'autre se dénommant Le Washington. Le Père Lebrun subit d'abord une autre fouille devant le commandant, le citoyen Laly, puis c'est la mise au régime du navire.

Il retrouve là de nombreux prêtres séculiers, des vicaires généraux, des chanoines et des religieux dont vingt-six moines, parmi lesquels dom Nicolas Dubois, moine à Fécamp en 1790, qu mourut, dom Jean-Chrysostome Clérot, un cluniste de Crépy-en-Valois, un des quatre moines qui survécurent, et qui devint le premier curé concordataire de Saint-Wandrille.

Se trouvait aussi sur Les Deux Associés le Père Jean-Pierre Fotreau, carme déchaussé sous le nom de frère Laurent de Saint-Dominique, qui libéré également, deviendra en 1814 le dernier curé de la paroisse de Rançon, avant que les deux communes et les deux paroisses de Saint-Wandrille et Rançon ne fusionnent ; il mourut en 1821.

Mais on trouvait aussi des prêtres jureurs que leur serment n'avaient pas mis à l'abri de la persécution.

Les conditions de détention étaient exceptionnellement dures. La journée se passait sur le pont, dans un espace d'environ cent mètres carrés pour quatre-cent-cinquante détenus. Une cloison de gros madriers, la rembarde, les séparait de l'équipage, quatre canons chargés à mitraille étant perpétuellement braqués sur eux, par crainte d'une révolte.

L'inaction était une torture. Labiche de Reignefort, un survivant dont le témoignage a une particulière importance, note : Nous vivions au jour la journée, presqu'uniquement occupé, comme les sauvages errant dans les forêts, à pourvoir aux besoins physiques, et à nous défendre, comme nous le pouvions, contre le froid, la faim, la maladie et les insectes rongeurs qui nous dévoraient. (Pierre-Grégoire LABICHE de REIGNEFORT, Relation de ce qu'on souffert pour la Religion les Prêtres français insermentés, déportés en 1794 dans la rade de l'isle d'Aix, près Rochefort, Le Clerc, Paris, 1796).

Toute faute ou tout propos entendu et mal interprété par l'équipage donnait lieu à des sanctions comme les fers à fond de cale. Il y eut même, le 3 mai, l'exécution capitale d'un chanoine de Limoges, soupçonné d'avoir prononcé des paroles séditieuses.

Le pire moment de la journée était la nuit. Les déportés étaient alors enfermés dans l'entrepont, véritable cachot, fermé d'épaix barreaux à deux pouces l'un de l'autre, ne recevant d'air et de lumière que par l'entrée si exigüe. Pendant douze heures d'affilée, ils devaient rester là, "comme hareng en caque", avec 44 centimètres de largeur pour chacun et 66 au-dessus de leur corps étendu.

Ce croupissoir devint un enfer quand la maladie se déclencha, et que morts, mourants restèrent mêlés aux autres. Le commandant inventa un procédé de torture, soit-disant pour désinfecter : une fumigation matinale de goudron aux boulets rouges, les déportés devant ensuite quitter l'entrepont devenu un four, pour monter sur le pont, au froid et au vent de l'océan.

Pourtant, ces prêtres soumis à de pareils tourments restent prêtres jusqu'au bout. Malgré l'interdiction de prier ne serait-ce qu'en remuant les lèvres, la confiscation des objets de piété et signes de religion, particulièrement des livres et bréviaires, les prêtres purent continuer une certaine vie de prière, notamment sacramentelle : les malades furent administrés avec le Saint-Sacrement et les saintes huiles qui avaient pu échapper aux fouilles.

L'Office était célébré en commun, en cachette, autant que cela était possible, avec les éléments connus par cœur. Un témoignage de cette volonté de garder une attitude chrétienne nous est donné par le règlement que se donnèrent les premiers arrivés sur Les Deux Associés : nous trouvons dans ces neuf articles un grand appel à l'espérance, au détachement des biens, y compris la liberté, au refus de toute vengeance ou complaisance dans le souvenir des souffrances subies en cas de libération.

Les conditions de vie, jointes aux privations de nourritures et d'eau douce expliquent la dégradation de l'état sanitaire des détenus : la gale, le scorbut, la gangrène, la dysenterie, le typhus et autres fièvres... Les pontons deviennent vite des mouroirs. Il fallut même isoler certains des plus contagieux. Laly obtint du port de Rochefort une puis deux goélettes, dont on fit des hôpitaux : de nombreux témoignages nous parlent de la condition atroce des malades qui y furent transportés, laissés sans soins, entassés à cinquante ou soixante où il n'y avait de place que pour vingt.

La mortalité devint vite effrayante : six morts en avril sur Les Deux Associés, onze en mai, vingt-huit en juin, presqu'autant dès la mi-juillet. Les autorités du port commencèrent à s'inquiéter, à craindre la contagion pour l'équipage et les habitants de l'île d'Aix où les victimes étaient inhumées. Elles demandèrent une visite sanitaire des deux vaisseaux, notamment Les Deux Associés où la situation était la pire. Un médecin proposa de construire un hôpital de tentes sur l'île Madame, renommée révolutionnairement île Citoyenne, pour y transférer les malades les plus atteints.

Il faudra attendre le 20 août pour que commence le débarquement de quatre-vingt-trois malades. Il prendra plusieurs jours, et permettra une amélioration de l'état d'un bon nombre. Mais la fatigue du transbordement a coûté la vie à trente-six d'entre eux qui périrent dès les premières heures.

Parmi eux, dom Louis-François Lebrun qui rendit l'âme le 3 fructidor an II (20 août 1794) ou la veille, selon le récit de Labiche de Reignefort, qui nous dit : Il flotta longtemps entre la vie et la mort au grand hôpital, et périt enfin, au moment où, débarqué à l'île Citoyenne, comme il l'avait désiré, il sembloit devoir bientôt se rétablir, après avoir considérablement souffert, et toujours avec une grande résignation. (Relation... 2e édition, 1801, p. 176.) Il fut inhumé à l'île Madame.

5 - Portrait moral

Il nous est difficile de tenter une description de la personnalité de notre martyr. On n'a de lui aucun écrit, ni même aucun portrait. Le seul véritable témoignage est encore celui que nous a laissé Labiche de Reignefort quand il dit : Littérateur, peintre, mathématicien, dom Lebrun étoit aussi modeste qu'instruit, et aussi pieux que modeste. La douceur et l'honnêteté de son caractère se peignoient dans toutes ses manières pleines d'urbanité, et jusques dans les traits touchants de sa figure. (ibid).

A regarder son curriculum vitæ, on voit un homme studieux, capable de remplir des charges importantes, puisqu'il fut plusieurs fois supérieur. Mais il semble que son amour de l'étude, qu'il avoua lui-même lors de sa déclaration d'intention de 1790, l'ait souvent poussé à demander à être relevé de son priorat pour rentrer dans l'ombre.

Ne voyons donc pas en lui un de ces martyrs bouillant de vie, voire marchant vaillamment au supplice, mais un moine fidèle, tiré malgré lui de son cloître. Il n'avait rien d'un grand ascète, la vie des mauristes du XVIIIe siècle avait subi des adoucissements. Ne voit-on pas sur une facture de l'apothicaire de Caudebec la mention de la fourniture d'une demi-livre de sucre Candy blanc pour D. Lebrun ? Il est ailleurs question de tabac à priser et de chocolat...

Le martyre n'était pas envisagé, mais quand dom Lebrun dut résister à ce qui était un abandon de son état, de son idéal, de sa foi, il sut résister, et résister héroïquement jusqu'au martyre. La plupart de ses confrères prêtèrent le serment par conformisme à l'esprit du temps et pour s'insérer dans la société nouvelle qu'ils pensaient devoir durer, notre martyr préféra demeurer fidèle. N'est-ce pas le plus beau message qu'il laisse à tout consacré ?

Les souffrances des déportés ne s'étaient pas arrêtées avec le débarquement des malades sur l'île Madame : un hiver rigoureux succédant à un automne pluvieux avait encore fait de nombreuses victimes, même si les témoignages montrent un adoucissement notable du sort des prisonniers après la chute de Robespierre et la fin de la Terreur.

Peu à peu, on a commencé à s'émouvoir du sort de ces prisonniers injustement enfermés. Quelques libérations de prêtres jureurs survinrent en décembre, mais ils fallut attendre février 95 pour que les déportés soient débarqués. Ils furent convoyés jusqu'à Saintes où ils attendirent les ordres de libération dans les locaux désaffectés de l'abbaye Notre-Dame. Fin mars, tous les survivants avaient retrouvés la liberté.

Au total, la déportation sur les pontons de Rochefort a concerné 829 prêtres, dont 547 ont péri d'avril 1794 aux premières semaines de 1795. Cette hécatombe resta pourtant longtemps ignorée, et même volontairement tenue cachée, par souci de ne pas réveiller les querelles de la Révolution.

Les anciens déportés eux-mêmes, quoique certains aient publié leurs précieux souvenirs, ne cherchèrent pas à obtenir le châtiment de leurs bourreaux. A partir de 1830, et surtout de 1860, on exhuma peu à peu la cause des prêtres. En 1911, le procès fut ouvert par la nomination d'un postulateur.

La cause aboutit par la béatification solennelle d'octobre 1995, par laquelle l'Eglise reconnut en soixante-quatre des victimes des pontons (le bienheureux Jean-Baptiste Souzy et ses compagnons) d'authentiques témoins de la foi, mis à mort volontairement, en haine de la foi, et en acceptant consciemment leur sort.

 

Père Olivier SEGOND

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