L'AFFREUX SUPPLICE DE MADAME JOUFFRION
L'affreux supplice de Madame Jouffrion
Madame Jouffrion était la veuve d'un commissaire civil vendéen guillotiné à Fontenay , la
belle-sœur d'un brave officier tué au combat de Saînt-Philbert-du-Pont-Charron, le 25 juillet 1793,
avec Sapinaud de la Verrie.
Dans l'invasion des colonnes infernales, madame Jouffrion se tenait
cachée aux environs du Pont-Charron, Un four était son asile. Là, une fidèle domestique, comme
il y en eut tant parmi les Vendéennes, lui apportait chaque jour la meilleure nourriture qu'elle pouvait
lui procurer. Mais un détachement passe dans cet endroit. Conduit vers sa proie par l'instinct du
mal, un soldat se dirige vers le four, il l'ouvre, il découvre madame Jouffrion, et plein d'une joie
féroce :
— Venez donc, dit-il à ses compagnons, venez
voir le gibier dont j'ai trouvé le nid !
Tous accourent, tous applaudissent avec d'affreuses
plaisanteries. La malheureuse femme espère
attendrir le sergent qui commandait la troupe.
« —Citoyen, » lui dit-elle, « faites-moi grâce ; je
» ne suis qu'une pauvre femme incapable de nuire
» à la République : j'ai un fils et une fille en bas
» âge, ils mourraient sans moi : vous leur avez ôté
» leur père , laissez-leur au moins leur mère. Je
» vous en supplie, citoyen ; au nom de Dieu, grâce !
» grâce ! Ah! laissez-moi dans ma cache !
— Eh bien ! oui, nous t'y laisserons, répond le
sergent.
Puis, refermant le four :
— Allons, dit-il à ses soldats, laissons là cette
pauvre brigande.
Les soldats ne pouvaient en croire leurs oreilles , car ce sergent n'était pas coutumier d'humanité.
Madame Jouffrion le bénissait et se croyait sauvée.
Mais cette pitié apparente n'était qu'une féroce ironie. Un moment après, le sergent revient avec
ses hommes, apportant des fagots. Il rouvre la cache, il y trouve madame Jouffrion à genoux, son
chapelet à la main. Il ordonne de jeter les fagots dans le four. La malheureuse comprend alors pour
quelle mort on l'a gardée. Elle implore ces cannibales avec des angoisses déchirantes.
— Ah ! s'écriait-elle , vous m'aviez fait grâce,
mes bons messieurs ; pourquoi vous en repentir ?
J'aurais prié pour vous avec mes enfans, mes pau-
vres enfans !
Mais le sergent avait battu le briquet ; avec un
bouchon de paille il mettait le feu au bois.
— Citoyenne, disait-il , tu m'avais demandé de
te laisser là-dedans ; je t'y ai laissée , de quoi te
plains-tu ?
Et il alluma sa pipe au four déjà tout enflammé.
Madame Jouffrion cessa de demander grâce à ce monstre et se mit à prier Dieu. Bientôt, pressée
par l'excès de la souffrance, elle tenta de s'élancer dehors : les Bleus la repoussèrent avec leurs baïon-
nettes, en riant et en disant :
— Restes-y, puisque tu nous as demandé de t'y
laisser.
La martyre, rejetée dans la fournaise, s'y roula, s'y tordit. Cependant elle priait toujours, elle
chantait des cantiques, en y mêlant le cri de : Vive le Roi! et les noms de ses enfans, Louis et Marie-
Julie. Les Bleus restèrent là, savourant l'agonie de leur victime, jusqu'au moment où s'éteignit sa
voix. Alors , ils s'en furent conter leur farce à la garnison de Chantonnay. Des paysans entendirent
l'horrible histoire de la bouche de l'un des Bleus ;
le lendemain, ils allèrent au four; ils n'y trouvèrent qu'un peu de cendre, des débris d'ossemens calcinés,
qu'ils enterrèrent avec respect non loin de là.
Ce n'est pas seulement cette partie de la Vendée qui vit ce raffinement d'atrocité. Champtoceaux, sur
les bords de la Loire, garde la mémoire d'un épouvantable holocauste. Une trentaine de personnes,
la plupart femmes et enfans, s'étaient cachées dans une cave, près du bourg. Elles y furent décou-
vertes : les républicains entassèrent du bois devant l'orifice, les victimes furent asphyxiées ou brûlées.
Il échappa un seul enfant, que sa mère, par un mouvement désespéré , jeta hors du souterrain ,
au moment où l'on allumait le feu.