Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
La Maraîchine Normande
14 avril 2012

Martyre de Pierre-Joseph Cornibert, Capucin, à Vesoul

MARTYRE DE PIERRE - JOSEPH CORNIBERT, CAPUCIN, A VESOUL, LE 15 JANVIER 1796.

 

 

 

M. Pierre-Joseph Cornibert naquit à Saint-Loup-sur-Sémouse (Haute-Saône) le 12 octobre 1760. Il apprit, sans sortir de son village, le latin et fit ses humanités. Le 4 mars 1780 il entra au noviciat des Capucins de Saint-Claude, prit l'habit religieux le 19 mars et le nom de Frère Grégoire. Après une année de probation, il prononça ses voeux, il fut ordonné prêtre vers 1786. Expulsé de Saint-Claude à la suite des décrets de l'Assemblée, il se rendit à Vesoul dès le début de 791 et y vécut avec quelques confrères jusqu'au mois d'août 1792. A cette date, le petit couvent fut fermé et mis aux enchères. Le P. Grégoire se rendit à Gray, mais ce ne fut que pour peu de jours, alors il remonta le cours de la Saône et vint se fixer aux environs de Vesoul ; il quitta alors son habit religieux et prit un vêtement civil. Il put ainsi vivre près de dix-huit mois à Vellefrie, minuscule village situé dans la banlieue de Vesoul, d'où il rayonna jusqu'à Lure, Faucogney, Saint-Loup, Remiremont, Plombières, Luxeuil. La maison du sieur Bonaventure Boillon où habitait le P. Grégoire et où il célébrait la messe attestait un assez grand concours de monde pour que les gens des environs aient pris l'habitude de désigner Vellefrie sous le nom de « la petite Rome ».

Après la chute de Robespierre, quelques prêtres rentrés en France commencèrent à visiter en secret leurs anciennes paroisses ; moins indispensable dès lors dans le rayon de Vellefrie, le P. Grégoire choisit un nouveau poste à Velorcey, arrondissement de Lure, où il fut hébergé par une dame Briancourt.A partir de la seconde moitié de 1794, son ministère s'exerça principalement à Velorcey, Abécourt, Villers, Visoncourt, la Villedieu, etc. C'était une vie de périls incessants. Le P. Cornibert fut poursuivi une foi à Breuches, deux fois à Villiers-les-Luxueil, une autre fois à Velorcey. Dans une autre occasion, les impies le poursuivirent depuis Meurcourt jusqu'à Conflans ; un d'entre eux était à cheval, mais il tomba et ne put l'atteindre. Un jour, il reçut un coup de fusil et fut blessé à la main par un homme dont il venait de confesser la femme dangereusement malade. A Mersuay, ayant été saisi dans l'exercice des fonctions sacerdotales et conduit à la municipalité, il fut délivré par un honnête habitant du pays (1).»

 

Le 11 janvier 1796, le P. Grégoire arrivait vers 9 heures du soir à la Villedieu-en-Fontenette et se rendait chez la veuve Parcheminez. Espionné, reconnu et suivi par le maître d'école Guyot, il fut arrêté presque aussitôt. Le 12 à l'aube on l'emmena à Vesoul, où il fut successivement défére au Directoire départemental, puis au greffe du tribunal criminel. Il dut subir un premier interrogatoire d'identité du sieur Blaudin, accusateur public. En voici le résumé (2) :

« Je m'appelle Pierre-Joseph, en religion P. Grégoire ; je suis

religieux capucin, âgé de 35 ans.

« Ma demeure ? Je n'en ai plus de fixe, depuis que la Nation

m'a chassé de mon couvent. Je vais partout où m'appellent les besoins spirituels de mes frères, mais je suis natif de Saint-Loup-en-Vosges.

A la question « s'il avait prêté le serment de Liberté-Egalité ? » — « Non ».

« Pourquoi il était resté en France après la promulgation de la loi qui condamnait à la déportation tout prêtre insermenté ? » — « Il n'avait pas cru qu'une pareille loi pût prévaloir sur celle de Dieu, ni sur les obligations de son état, au surplus il n'appartenait point à la classe des fonctionnaires et ayant renoncé à sa pension il ne pensait pas que cette loi pût l'atteindre ».

1. J. Sauzay, Histoire de la persécution révolutionnaire dans le Doubs, t. VIII, p. 170.

2. Descharrières, Vie et martyre du Révérend Père Grégoire de Saint-Loup, in-18, Luxembourg, 1800, p. 31.

A la suite de cet interrogatoire le prisonnier fut conduit à la maison d'arrêt.

 

MARTYRE DU R. P. GRÉGOIRE.

Ordonnance de prise de corps.

Au nom du peuple français,

Vu par le tribunal criminel du département de la Haute-Saône, le procès-verbal d'arrestation de la personne de Pierre-Joseph Cornibert, ex-religieux capucin, natif de Saint-Loup, domicilié à Velorcey, prévenu d'être réfractaire aux dispositions des lois de 1792 et 1793, rendues contre les prêtres sujets à la déportation ou à la réclusion, du 21 nivôse présent mois ; l'interrogatoire par lui subi, le lendemain, par devant l'accusateur public près ce tribunal, faisant les fonctions d'officier de police et de sûreté générale, son ordonnance de renvoi par devant ce tribunal, le tout communiqué au commissaire du directoire exécutif dudit jour, ses conclusions mises à la suite, tendantes à ce qu'il soit ordonné que le prévenu soit mis en la maison de justice de ce département;

Le tribunal ordonne que ledit Pierre-Joseph Cornibert, natif de Saint-Loup, domicilié à Velorcey, âgé de 35 ans, taille de cinq pieds cinq pouces, visage long, teint brun, cheveux et sourcils noirs, front étroit, nez long, bouche moyenne, menton rond à fossette, sera traduit dans la maison de justice de ce département, y sera écroué en conformité de l'article ler, section 1er, t. V, de la loi du 25 brumaire, l'an III de la République française ; mande et ordonne que la présente ordonnance, dont copie sera notifiée au prévenu, sera mise en exécution à la diligence du commissaire du directoire exécutif.

Fait à la Chambre du conseil du tribunal criminel du département de la Haute-Saône, le 22 nivôse, l'an IV de la République française, où étaient les citoyens Bardenet, président, et ceux qui ont signé la minute du présent jugement ordonnant prise de Corps.

Signé : BARDENET, ROUX, CORNIBERT.

THOMAS, BOIGEOL.

 

Notification de l'ordonnance de prise de corps par ministère d'huissier.

Aujourd'hui, 23 nivôse, IVe année de la République, je soussigné J.-C. Michel, huissier au tribunal criminel du département de la Haute-Saône, ai écroué en la maison de justice de ce tribunal, établi à Vesoul, le susdit Pierre-Joseph Cornibert et l'ai laissé à la charge et garde du citoyen Béjean, conservateur de ladite maison, auquel effet, le citoyen André, commis conservateur, pour absence dudit Béjean. a signé avec moi au registre et à l'original des présentes, et ai délivré du tout copie audit Pierre-Joseph Cornibert.

Signé : ANDRÉ, pour BÉJEAN.

 

Procès-verbal de la première audience, mercredi 13 janvier (23 nivôse).

Au nom du peuple français.

L'an IV de la République française, une et indivisible, le vingt-trois nivôse, en l'auditoire des causes du tribunal, criminel du département de la Haute-Saône.

 

Par devant nous, Claude-Joseph Bardenet président dudit tribunal, ayant avec nous le citoyen Grosjean,greffier-adjoint, avons fait comparaître Pierre-Joseph Cornibert, accusé, détenu en la maison de justice du départe-ment, en vertu d'ordonnance de prise de corps, rendue, le jour d'hier, prévenu d'être réfractaire aux dispositions des lois de 1792 et 1793 rendre contre les prêtres sujets à la déportation ou à la réclusion, lequel nous avons interrogé comme il suit :

— A lui demandé son nom, prénom, âge, profession et demeure. — A répondu se nommer Pierre-Joseph Cornibert, prêtre, natif de Saint-Loup, demeurant à Velorcey, âgé d'environ trente-cinq ans.

— A lui demandé s'il n'a pas été religieux chez les ci-devant capucins, et quel était son nom de religion. — A répondu qu'il avait été religieux chez les ci-devant capucins et que son nom de religion était Grégoire.

— A lui demandé si pendant le temps qu'il a été religieux chez les ci-devant capucins, il allait dans les paroisses pour y confesser, prêcher, et quels sont les lieux qu'il fréquentait le plus habituellement.

— A répondu qu'avant la Révolution et pendant le temps qu'il était chez les ci-devant capucins, il allait dans les paroisses pour y prêcher et confesser, et comme alors il était de la maison de Saint-Claude, département du Jura, c'est dans les paroisses de cette commune qu'il allait prêcher et confesser, que depuis le commencement de la Révolution il a cessé d'aller dans les paroisses pour y prêcher et confesser.

— A lui demandé dans quelle maison il était lors de la suppression des ordres religieux. — A dit que, lors de la suppression des ordres religieux, il était à Saint-Claude ; que de là, il s'est rendu dans la commune de Vesoul, pour vivre dans la maison commune des Capucins, qui y était conservée ; que cette dernière maison étant supprimée, il était allé à Gray pour y habiter la maison commune conservée aux ci-devant capucins.

— A lui demandé à quelle époque il a quitté cette dernière maison. — A répondu qu'il l'avait quittée au ler octobre 1792.

— A lui demandé où il s'est retiré en quittant cette maison et où il a fixé son domicile. — A répondu qu'il était allé à Vellefrie, où il avait fixé son domicile.

— A lui demandé chez qui il s'était retiré à Vellefrie, ce qu'il y faisait et quels étaient ses moyens d'existence. — A répondu qu'il s'était retiré chez le citoyen Boillon, qui le nourrissait, ses occupations s'étant bornées à dire la messe, à confesser quelquefois, et n'y ayant point fait d'instructions.

— A lui demandé jusqu'à quelle époque il est resté à Vellefrie et sous quel nom il y était connu. — A dit qu'il y était resté jusqu'au mois de novembre 1794, et qu'il y était connu sous le nom de Grégoire.

— A lui demandé si, pendant ce temps, il était allé voir ses amis, et notamment dans les communes de Vilory, Verdgne et Vesoul ; à lui demandé si, allant dans ces trois communes, il n'y a pas rempli les fonctions de ministre de son culte. — A répondu que oui, et quelquefois.

— A lui demandé quel était le motif qui l'engageait à venir à Vesoul. — A dit qu'il y venait dans la vue d'y voir ses connaissances et leur demander des subsistances.

— A lui demandé quelles étaient ses connaissances, à Vesoul, et quelles sont les personnes qui fournissaient à sa subsistance. — A dit que ses connaissances les plus particulières, à Vesoul, étaient la citoyenne Miroudot, soeur du citoyen ci-devant délégué, et le citoyen Débouche, aubergiste, et que c'est dans ces deux maisons qu'il trouvait principalement ses moyens de subistance.

— A lui demandé si depuis sa sortie de la maison commune de Gray, il n'a pas touché de traitement. — A répondu qu'il l'a touché une seule fois.

— A lui demandé pourquoi il n'a pas continué à toucher son traitement. — A dit qu'il n'a pas touché dès lors son traitement, parce qu'une loi le refusait aux pensionnaires qui n'avaient pas prêté le serment de liberté et d'égalité et qu'il n'avait pas prêté ce serment et qu'on ne le lui avait pas demandé.

— A lui demandé s'il connaissait les dispositions de la loi qui l'obligeaient à ce serment et les peines qu'encouraient ceux qui ne l'auraient pas prêté. — A répondu qu'il avait ouï parler de la loi et qu'il n'avait qu'une idée confuse des peines qu'elle prononçait.

— A lui demandé si on lui avait demandé le serment s'il l'aurait prêté. — A dit que non, que sa conscience ne le lui permettait pas.

— A lui demandé si, étant assujetti à la prestation du serment de liberté et d'égalité, et, ne l'ayant pas prêté, il s'est présenté par devant l'administration, dans le délai d'une quinzaine de la publication de la loi du 29 et 30 vendémiaire, l'an II, pour être déporté et embarqué sur les côtes d'Afrique. — A dit que non.

— A lui demandé s'il est toujours resté sur le territoire de la République. — A répondu que oui, et qu'il n'en est pas sorti.

— A lui demandé où il est allé en sortant de Vellefrie. — A dit qu'il était allé à Vélorcey.

— A lui demandé pourquoi il avait quitté Vellefrie, et quel était le motif qui l'avait engagé à aller à Velorcey. — A répondu qu'il avait quitté Vellefrie dans la vue de soulager les personnes qui le nourrissaient et que le motif qui l'avait engagé à aller à Velorcey était d'y trouver des moyens de subsistance.

— A lui demandé pourquoi il ne se retirait pas de préférence dans le lieu de son origine chez ses parents ; — A répondu qu'il ne s'était pas retiré chez ses parents, parce qu'ils n'étaient pas en état de lui procurer des subsistances.

— A lui demandé chez qui il s'est retiré à Velorcey, ce qu'il y faisait et quels étaient ses moyens de subsistance. — A répondu qu'il s'était retiré chez la citoyenne veuve Briancourt, qu'étant à Velorcey, il y disait secrètement la messe, y confessait et y a fait deux ou trois exhortations à la piété, et qu'il y était logé et nourri chez ladite citoyenne veuve Briancourt.

— A lui demandé si depuis Velorcey, il n'allait pas dans les communes voisines, pour y confesser, dire la messe, prêcher, baptiser et marier. — A répondu que oui, et quelquefois.

— A lui demandé quelles sont les communes dans lesquelles il exerçait ces différents actes. — A répondu que les communes où il allait le plus souvent sont celles de Meurcourt et d'Abécourt, et quelquefois dans celles de Villiers, Visoncourt et la Villedieu.

A lui demandé s'il ne serait pas allé à Vaire et n'y aurait pas fait des actes de son culte. — A dit qu'il y est allé une fois, il y a environ trois ou quatre mois, et y a dit la messe dès le matin.

— A lui demandé s'il n'était,pas connu sous le nom de Frézard. — A répondu que oui.

— A lui demandé s'il avait pris ce nom qui n'était point ni celui de sa famille, ni celui qui lui avait été donné en entrant dans la religion. — A dit qu'on le lui avait donné.

— A lui demandé par qui ce nom lui avait été donné. — A dit que ce nom lui avait été donné par différentes personnes qu'il n'a pas voulu nommer, observant que ce nom lui a été donné pour qu'il ne soit point ainsi facilement reconnu.

— A lui demandé s'il n'a pas entretenu une correspondance suivie avec les émigrés et les prêtres déportés, notamment avec le nommé Havelin, ci-devant curé de Meurcourt. — A dit qu'il n'a point entretenu de correspondance avec les émigrés, mais seulement avec le nommé Havelin, prêtre déporté, ci-devant curé de Meurcourt.

— A lui demandé s'il n'a pas entretenu une autre correspondance avec le nommé Firmin, demeurant à Besançon. — A répondu que oui.

— A lui demandé qu'est ce Firmin, d'où il le connaît, quel était l'objet et le but de cette correspondance. — A répondu que ce Firmin était un ci-devant capucin, que l'objet de cette correspondance était de le consulter et de s'éclairer sur les embarras où il se trouvait.

— A lui demandé si ce Firmin n'était pas un émigré. — A répondu qu'il l'ignore.

— A lui demandé si ce Firmin est encore à Besançon et quelle est la maison qu'il occupe — A répondu qu'il l'ignore, qu'il croit cependant qu'il y est encore.

— A lui demandé si les lettres qu'il recevait de Firmin ne lui étaient pas adressées sous le nom de Frézard. — A répondu que oui.

— A lui demandé d'où Firmin savait qu'il se nommait Frézard. — A dit que Firmin savait qu'il se nommait Frézard, parce qu'il l'en avait instruit.

— A lui demandé si les lettres qu'il recevait de Firmin ne lui parvenaient pas par l'intermédiaire de la citoyenne Miroudot. — A répondu que oui.

— A lui demandé s'il adressait directement ses lettres à Firmin à Besançon, ou si elles lui parvenaient aussi par un intermédiaire. — A dit qu'il ne lui écrivait pas directement, mais qu'il se servait d'un intermédiaire, — a dit qu'il ne pouvait pas le dire [=nommer].

— A lui demandé si Firmin n'était pas un agent des émigrés et des ci-devant évêques et archevêques de France qui s'étaient retirés en Suisse. — A répondu qu'il l'ignore.

— A lui demandé si ce même Firmin réuni à d'autres, à Besançon, ne formait pas une espèce de conseil des ci-devant évêques de France retirés en Suisse. — A répondu qu'il l'ignore.

— A lui demandé s'il n'était pas lui-même un agent de Firmin dans les cantons qu'il habitait pour recevoir la rétractation de serment des prêtres qui l'avaient prêté, et s'il ne lui avait pas été adressé des instructions à cet égard et s'il n'y avait pas eu de rétractations faites entre ses mains. — A répondu qu'il n'était point un agent de Firmin, qu'il convient avoir reçu des instructions relatives à la rétractation du serment des prêtres qui l'auraient prêté et qu'il n'en avait reçu aucune.

— A lui demandé si le 21 nivôse courant, et pendant la nuit dudit jour, il ne s'est pas trouvé chez la veuve Parcheminey, demeurant à la Villedieu-en-Fontenette, et ce qu'il faisait dans cette maison. — A dit qu'effectivement, le 21 nivôse courant, et pendant la nuit dudit jour, il s'est trouvé chez la veuve Parcheminey, demeurant à la Villedieu-en-Fontenette, où il était allé pour la voir et où il était environ depuis un quart d'heure lorsqu'il a été arrêté.

— A lui demandé si, lors de son arrestation, il n'a pas été trouvé porteur de plusieurs lettres et papiers dont l'énumération et la présentation va lui être faite.

 

(Suit l'énumération de trente-quatre pièces cotées par le président.)

— Interpellé de faire choix d'un défenseur officieux pour le défendre et le conseiller. A répondu qu'il faisait choix du citoyen Coquillard pour son défenseur officieux.

Lecture à lui faite du présent interrogatoire et de ses réponses, a dit celles contenir la vérité, y a persisté et a signé avec nous et notre greffier adjoint.

Signé : BARDENET, CORNIBERT, GROJEAN.

Rentré à la prison, l'accusé reçut la visite de son défenseur. Celui-ci, après s'être concerné avec les juges, lui proposait un stratagème pour éviter la mort inévitable. « Croyez-vous, dit le P. Grégoire, que j'estime assez la vie pour la vouloir conserver par un mensonge. » Il n'y a mensonge, reprit le défenseur, que s'il y a tromperie ; or, vous ne trompez pas les magistrats, puisque c est de concert avec eux que vous employez le stratagème. Acceptez : par cette feinte innocente vous conserverez au peuple un prêtre dont il a besoin, vous empêcherez une exécution qui pourrait exciter parmi les masses la soif du sang et vous libérerez la conscience des juges, placés pour la première fois en face de la condamnation d'un prêtre. Ils seraient désolés si, par une opiniâtreté déplacée, vous les mettiez dans la cruelle nécessité d'appliquer la loi.

Ces arguments ne pouvant convaincre l'accusé, le défenseur s'avisa d'en appeler au jugement de celui des quatre prêtres de la chambrée que le P. Grégoire avait choisi pour confesseur. Celui-ci se contenta de répondre : « C'est au Père de consulter le Seigneur et de se former lui-même une conscience pratique. » Le P. Grégoire consulta alors les trois autres confrères qui, réflexion faite, opinèrent pour la licéité de l'acte, puisqu'il s'agissait d'une affaire concertée avec les juges. Le confesseur consulté de nouveau se tut. Troublé par l'argumentation de son défenseur, le quasi-acquiescement de ses confrères, l'accusé autorisa Me Coquillard à lui laisser par écrit certaines phrases explicatives de sa nouvelle manière de voir et signa une feuille de papier timbré, sur laquelle on inscrivait le lendemain la formule du serment de Liberté-égalité en manière d'expédition.

 

Procès-verbal de la deuxième audience, jeudi 14 janvier (24 nivôse).

Au nom du peuple français :

Le vingt-quatre nivôse, lan IV de la République française, une et indivisible, les juges du tribunal criminel, du département de la Haute-Saône, étant en séance en l'auditoire des causes, Pierre-Joseph Cornibert, accusé, dé-tenu en la maison de justice de ce département, a été amené à la barre, libre et sans fers, seulement accompagné d'un garde, conformément à l'article 340 du Code des délits et peines ; et nous, Claude-Joseph Bardenet, président, lui avons dit qu'il pouvait s'asseoir et lui avons demandé son nom, son âge, sa profession et sa demeure. Il a répondu se nommer et surnommer Pierre-Joseph Cornibert, ex-religieux capucin, demeurant à Vellefrie, à Velorcey, âgé de trente-cinq ans.

A lui demandé si sous sa qualité de religieux chez les ci-devant capucins, il a prêté le serment de liberté et d'égalité. — A dit qu'il l'avait prêté à Vellefrie au mois de janvier 1793.

A lui observé que dans l'interrogatoire qu'il a subi hier par devant nous, il a fait une réponse différente et opposée à celle qu'il vient de nous faire, puisqu'il nous a dit qu'il n'avait pas prêté le serment de liberté et d'égalité, et que, si on le lui avait demandé, il ne l'aurait pas prêté parce que sa conscience ne le lui permettait pas, qu'il existe entre ces deux réponses une contradiction manifeste, que nous l'avons requis de nous expliquer s'il est possible. — A répondu que, lors du premier interrogatoire qu'il a subi, il avait l'esprit tellement préoccupé de la constitution civile du clergé, qu'il a cru qu'on lui demandait s'il avait prêté le serment prescrit par cette même constitution, et que, en répondant qu'il n'avait pas prêté le serment, il a entendu parler de celui prescrit par la constitution civile du clergé et non celui de liberté et d'égalité,- puisqu'il a réellement prêté ce dernier à Villefrie, au moins de janvier 1793.

A lui demandé s'il a été dressé procès-verbal de la prestation de ce serment et s'il lui en a été délivré expédition, l'interpellant de la représenter à l'instant. — A répondu qu'il avait été dressé procès-verbal de la prestation de son serment, par devant la municipalité de Vellefrie, qu'il ne lui en a été délivré aucune expédition, et qu'il n'en a pas demandé parce qu'il l'a cru inutile, qu'il ne peut pour le moment présenter une expédition dudit procès-verbal, parce qu'il n'en est pas nanti.

A lui demandé pourquoi, ayant prêté le serment de liberté et d'égalité, comme il nous l'assure, il n'a pas continué à recevoir son traitement et sa pension comme religieux. — A dit qu'il n'a pas continué à toucher son traitement parce qu'il était peu de chose, et parce qu'il a trouvé des amis qui ont pourvu à sa subsistance.

A lui observé que, dans l'interrogatoire qu'il hier par devant nous, il a fait une réponse toute différente et tout opposée à celle qu'il nous fait à présent, puisqu'il a dit qu'il n'avait pas continué à toucher son traitement, parce qu'une loi le refusait aux pensionnaires qui n'avaient pas prêté le serment de liberté et d'égalité et que, sur ce point, il y avait encore contradiction de sa part, et qu'il est interpellé de nous expliquer. _ A dit que cette contradiction est une suite de l'erreur dans laquelle il était tombé, en confondant le serment de liberté et d'égalité avec celui prescrit par la constitution civile du clergé, et qu'en répondant qu'il n'avait pas continué à toucher son traitement, parce qu'une loi le refusait aux pensionnaires qui n'avaient pas prêté ce serment, il entendait par ce serment celui prescrit par la constitution civile du clergé.

A lui observé qu'il n'a pas pu tomber dans une erreur aussi grossière, parce que d'une part, il ne pouvait pas ignorer que ce serment prescrit par la constitution civile du clergé ne le concernait pas, n'ayant jamais rempli les fonctions de curé, vicaire, directeur de séminaire, professeur de séminaire ou de collège, d'instituteur public. En outre, que de l'autre, dans la réponse qu'il nous a faite le jour d'hier, il a parlé itérativement du serment de liberté et d'égalité. — A dit qu'il n'avait pas une connaissance parfaite des lois et qu'il a cru être assujetti à la prestation de serment prescrit par la constitution civile

du clergé, parce que quelquefois il avait prêché dans les paroisses.

A lui demandé si depuis la Révolution il a prêché dans les paroisses et jusqu'à quelle époque, il aurait rempli les fonctions de prédicateur. — A dit qu'il avait prêché dans les paroisses jusqu'en 1792, et au mois d'avril de ladite année, époque à laquelle il aurait quitté ses fonctions.

A lui observé que, dans l'interrogatoire d'hier, par devant nous, il a fait une réponse différente et opposée à celle qu'il vient de donner : puisqu'il nous a dit que, depuis le commencement de la Révolution, il avait cessé d'aller dans les paroisses pour y prêcher et confesser. — A dit qu'en parlant de la Révolution dans son premier interrogatoire, il a entendu parler de sa sortie du cloître.

A lui observé que si, comme il vient de nous le dire, il a prêché dans les paroisses jusqu'au mois d'avril 1792, il aurait dû prêter le serment prescrit par la constitution civile du clergé, et que, ne l'ayant pas fait, il n'est pas moins assujetti aux peines prononcées contre ceux qui n'ont pas prêté le serment. — A répondu que, s'il n'avait pas prêté le serment prescrit par la constitution civile du clergé, c'est parce qu'on ne le lui avait pas demandé, que d'ailleurs il s'est borné à faire de simples exhortations à la piété.

A lui demandé si on lui avait proposé le serment, s'il l'aurait prêté. — A répondu qu'il ne l'aurait pas prêté, parce que, n'étant pas fonctionnaire public, il ne s'y croyait pas obligé.

A lui observé qu'il impose, puisque dans une réponse précédente, il nous a dit qu'il se croyait obligé à ce serment puisqu'il allait quelquefois prêcher dans les paroisses. — A répondu que lors qu'il a parlé de l'obligation où il était de prêter le serment prescrit par la constitution civile du clergé, il entendait que ce serment était nécessaire et exigible pour toucher sa pension.

A lui demandé si dans les pièces dont il a été trouvé saisi, lors de son arrestation, on ne remarque pas des principes tout opposés à ceux contenus dans ses réponses, au présent interrogatoire, si dans les lettres qu'il a reçues de ses correspondants, soit de Suisse, soit de Besançon, on ne voit pas que tous les serments quelconques, soit celui de la constitution civile du clergé, soit celui de liberté et d'égalité, soit même la soumission pure et simple aux lois de la République, y sont formellement condamnés, et si, même dans des discours qui se trouvent parmi les pièces écrites de sa main, on ne voit pas également que les maximes qu'il a prêchées sont toutes différentes de celles qu'il met en ce moment en avant. — A répondu que les écrits dont il a été trouvé saisi, lors de son arrestation, ne renfermant que des opinions religieuses, qui sont celles des personnes qui lui ont écrit, mais que les siennes peuvent y être contraires et que, dans le fait, elles le sont, puisqu'il a prêté le serment de liberté et d'égalité. Et instamment après lecture du présent interrogatoire, le répondant a dit qu'il persistait dans ses réponses, sauf que, lorsqu'il a dit qu'il avait prêché jusqu'au mois d'avril 1792, il était tombé dans une erreur de date et qu'il avait entendu dire quatre-vingt-dix au lieu de quatre-vingt-douze, et que dès lors, il n'avait rempli aucunes fonctions publiques, et a signé après lecture.

Signé : BARDENET, CORNIBERT, GROSJEAN.

L'accusateur public prit la parole, qualifia les tergiversations de l'inculpé d'impostures et lui accorda vingt-quatre heures pour justifier de la prestation de serment. Il requit qu'il fut mis « au secret avec défense de communiquer avec personne, hormis son avocat, et une heure seulement avant l'audience ». Le défenseur invoqua le peu de connaissance qu'avait son client de la législation actuelle. Le débat terminé, le président poursuivit l'interrogatoire.

 

Suite de l'interrogatoire.

De suite et après la plaidoirie de l'accusateur public, tendante à justifier l'accusation portée contre le prévenu, et celle du défenseur officieux de l'accusé, tendante à faire absoudre ce dernier, nous Claude-Joseph Bardenet, président du tribunal criminel du département de la Haute-Saône, avons interrogé le prévenu, Pierre-Joseph Cornibert, et lui avons demandé si véritablement il a prêté le serment de liberté et d'égalité, au mois de janvier 1793, et si ce serment a été prêté, de sa part, purement et simplement sans réserves ni restrictions, à supposer qu'il l'aurait prêté, il ne l'aurait pas dès lors rétracté, et si, à supposer encore qu'il en aurait été rédigé procès-verbal par-devant la municipalité de Vellefrie, ce procès-verbal se trouverait porté sur les registres de la municipalité ou sur une feuille volante. — Lequel a répondu et persisté à dire que véritablement il avait prêté le serment de liberté et d'égalité, au mois de janvier 1793, qu'il avait prêté ce serment pur et simple, sans réserve, ni restriction, par devant la municipalité de Vellefrie, et qu'il ne l'avait pas rétracté dès lors, ignorant si le procès-verbal qui en a été rédigé, a été porté sur les registres de la municipalité ou sur une feuille volante.

A lui demandé s'il était présent lors de la rédaction de ce procès-verbal de la prestation de serment et s'il l'aurait signé, ou si, au contraire, il se serait contenté de faire une déclaration verbale aux officiers municipaux, qui, en son absence, auraient rédigé l'acte. — A répondu qu'il était présent lors de la rédaction du procès-verbal de sa prestation de serment et qu'il l'a signé.

Lecture à lui faite du présent interrogatoire et de ses réponses, il a dit icelles contenir vérité, y a persisté et a signé.

Signé : BARDENET, CORNIBERT, GROSJEAN

Le défenseur ne put présenter aux juges la pièce signée la veille par l'accusé, parce que le timbre n'en était pas valable; ne pouvant obtenir de son client mis au secret une nouvelle signature, il dépêcha un jeune homme dans la nuit du jeudi afin d'obtenir des officiers municipaux de Vellefrie un acte fictif de prestation de serment. Pendant ce temps, le P. Grégoire revenu dans son cachot préparait une formule de rétractation de tout ce qu'il venait de dire ; il la lut à un jeune déserteur normand, son compagnon de cellule. « Je sais bien, ajouta-t-il; que c'est courir au devant de la mort, mais n'importe ». Le lendemain, de grand matin, on lui fit passer un billet avec ces mots : « Eléazar n'a pas fait comme vous. »

A 7 heures, une heure avant l'ouverture de l'audience, le défenseur vigt à la prison et put communiquer avec son client dans la loge du concierge Bejean. Aussitôt, le P. Grégoire fit connaître son revirement, à ce moment arrivait l'exprès envoyé à Vellefrie, porteur de l'acte fictif demandé. L'accusé refusa de le signer. Sur-le-champ, il rédigea une rétractation écrite et la communiqua au défenseur. L'audience ne s'ouvrit qu'après 10 heures.

 

Procès-verbal de la troisième audience, vendredi 15 janvier (= 25 nivôse.)

Dès que l'audience fut ouverte, l'accusé demanda la parole et lut ce qui suit :

« Qu'il est triste pour moi, citoyens, de me trouver aujourd'hui en pareil cas ! Qu'il est désolant pour vous, qu'il en coûte sûrement à vos coeurs d'être exposés à prononcer contre moi un arrêt de mort ; mais le Dieu des vengeances, dans ses desseins, le permet ainsi ! Ce qui me fait le plus de peine, c'est que je ne me suis pas soutenu dans mes interrogatoires. La crainte de la mort fait souvent faire de grandes fautes ; j'ai fait celle-là et je m'en repens. Je déclare donc hautement, en présence de cette assemblée, que je n'ai jamais fait le serment de liberté et d’égalité, qu'il n'en existe aucun acte ni signature de ma part. Je rétracte donc tout ce que j'ai dit, hier, sur ce serment, et demande pardon à Dieu et aux hommes de cette faute et du scandale que je leur ai peut-être donné. Je suis prêtre catholique et c'est en cette qualité que je suis resté en France pour y exercer mon ministère et travailler au salut des âmes. Dans mes fonctions, je n'ai cherché que le plus grand bien des Français. Si cette qualité est un crime aux yeux des hommes et fait prononcer contre moi un arrêt de mort, je l'accepte volontiers je meurs sans peine pour la gloire de mon Dieu. Je pardonne d'avance tout mon sang, je ne veux de mal à personne, et j'embrasse de toute mon âme tout ceux qui auraient concouru à ma mort. Puisse ce sang, que je vais répandre pour la gloire de mon divin maître, exposer tant de fautes, ramener la paix et la religion en France et procurer aux Français le bonheur pour le temps et pour l'éternité. »

Le défenseur reprit aussitôt : Citoyens juges, dit-il en substance, plus j'entends cet homme, plus j'examine ses contradictions, l'incohérence et l'exaltation de ses idées, plus je me convaincs qu'il n'est pas en possession de lui-même. Appelez cet état d'esprit de tel nom qu'il vous plaira ; mais vous ne pouvez ni ne devez le condamner à mort ; ce serait déjà trop de la réclusion.

Non, ma raison n'est point égarée, s'écria l'accusé : non, je ne suis pas fol. C'est en vain qu'on voudrait atténuer la valeur de mes paroles et pallier une faute. J'ai toute ma raison, et c'est en toute vérité, avec toute la réflexion dont je suis capable, que je déclare n'avoir fait aucun serment. Si ma conduite est coupable, si elle mérite la mort, eh bien ! me voici prêt à la subir.

Le défenseur voulut répliquer, mais l'accusateur public lui coupa la parole et requit la peine de mort. Les juges se retirèrent pour délibérer ; ils rentrèrent avec le jugement suivant :

Au nom du peuple français :

Vu par le tribunal criminel du département de la Haute-Saône, séant à Vesoul, le procès-verbal d'arrestation de la personne de Pierre-Joseph Cornibert, ex-religieux capucin, natif de Saint-Loup, domicilié à Velorcey, accusé d'être réfractaire aux dispositions des lois de 1792 et 1793, rendues contre les prêtres sujets à la déportation et à la réclusion, ledit procès-verbal sous date du 21 nivôse, présent mois, l'an IV, l'interrogatoire par lui subi le lendemain par l'accusateur public, près ce tribunal, faisant les fonctions d'officier de police et de sûreté générale, son ordonnance de renvoi par devant ce tribunal, le tout communiqué au commissaire du Directoire exécutif, les conclusions de ce dernier mises à la suite, tendantes à ce qu'il soit ordonné que ledit Cornibert soit traduit dans la maison de justice du département, l'ordonnance de prise de corps rendue par le tribunal, le tout du 22 nivôse, l'exploit de notification de ladite ordonnance et l'acte d'écrou de la personne dudit Cornibert dans la maison de justice, à la date du 23, l'interrogatoire par lui subit ledit jour par devant le président du tribunal, dans lequel ledit Cornibert est convaincu qu'il n'avait pas prêté le serment de liberté et d'égalité, prescrit par la Toit du 14 août 1792. (Ici vient la mention des pièces ou lettres trouvées sur l'accusé lors de son arrestation.)

Vu... un livre contenant par noie les baptêmes et mariages faits par l'ex-capucin Cornibert; une rétractation en original de Pierre-François Michaud, ci-devant vicaire d'Anjeux et curé de Meurcourt, sous la date, à Abécourt, du 19 septembre 1794 ; la copie d'une lettre écrite de la Val-Sainte, Notre-Dame de la Trappe, le 21 janvier 1795; un écrit intitulé Chanson (1) ; la copie d'une lettre sans date à une ci-devant religieuse ; un imprimé : Mémorial de la première communion ; la copie d'une pétition renfermant une rétractation ; une lettre en forme de dissertation ; un écrit informe renfermant une exhortation sur la première communion ; un autre écrit informe contenant une instruction sur le péché ; une autre lettre formant partie de celle ci-dessus, en forme de dissertation ; un autre écrit informe portant exhortation à la piété ; un discours sur le délai de la conversion ; trois livrets intitulés Exercices de piété à l'usage des Français ; un écrit en forme de catéchisme ; un autre écrit en forme de discours ; le commencement d'un autre discours sur le péché ; un autre écrit commençant par ces mots : Mémoire pour Frézard ; un livre intitulé : Catéchisme du diocèse ; un autre intitulé : Méditation sur les Evangiles ; un autre intitulé : Missale et Rituale ; un portefeuille de maroquin rouge dans lequel se sont trouvées la plupart des lettres et des pièces ci-dessus rappelées ; toutes lesquelles pièces ont été saisies sur ledit Cornibert, lors de son arrestation, vues, cotées et paraphées par le président du tribunal, et sont jointes à l'interrogation par lui subi devant ledit président le 23 nivôse, présent mois. Enfin le dernier interrogatoire qu'il a subi à l'audience, dans lequel par ses réponses il a désavoué le contenu aux deux précédents ; en soutenant qu'il avait prêté le serment de liberté et d'égalité, au mois de janvier 1793, par devant la municipalité de Vellefrie et le procès-verbal dressé par l'huissier Michel du 24 nivôse courant, constatant qu'il n'existe sur les registres de cette commune aucun procès-verbal de prestation de serment de la part de l'ex-capucin Cornibert, une attestation de l'agent municipal de ladite commune de Vellefrie du même jour, conforme au procès-verbal ci-dessus rappelé.

 

1. C'est une sorte de Marseillaise catholique, Cf. J. Sauzay, op. cit., t. VIII, p. 253.

Le tribunal,

Après avoir entendu l'accusateur public, le défenseur officieux de l'accusé et le commissaire du directoire exécutif, dans ses conclusions, déclare Pierre-Joseph Cornibert convaincu d'avoir été sujet à la déportation, d'être resté sur le territoire de la République, après le délai fixé par les lois des 29 et 30 vendémiaire, l'an II.

Le condamne à la peine de mort, ordonne qu'il soit, dans les 24 heures, livré à l'exécuteur des jugements criminels.

Le tout en conformité des articles X de la loi du 3 brumaire dernier, X, XIV, XV, et V, de celles des 29 et 30 vendémiaire, l'an III dont la lecture a été faite, et conçues en ces termes :

Article 10 de la loi du 3 brumaire, l'an III ; les lois de 1792 et 1793 contre les prêtres sujets à la déportation ou à la réclusion, seront exécutées dans les 24 heures de la promulgation du présent décret et les fonctionnaires publics qui seront convaincus d'en avoir négligé l'exécution seront condamnés à deux ans de détention.

Article 10 de la loi des 29 et 30 vendémiaire, l'an II ; sont déclarés sujets à la déportation, jugés et punis comme tels, les évêques, les ci-devant archevêques, les curés conservés en fonctions, les vicaires, les supérieurs et directeurs de séminaires, les vicaires, les curés, les professeurs de séminaires et de collèges, les instituteurs publics (ecclésiastiques) et ceux qui ont prêché dans quelque église que ce soit, depuis la loi du 5 février 1791, qui n'auront pas prêté le serment prescrit par l'article XXXI du décret du 24 juillet 1790, et réglé par les articles XXI et XXXVIII de celui du douze du même mois, et par l'article de la loi du 29 novembre de la même année, ou qui l'ont rétracté, quand bien même ils l'auraient prêté depuis leur rétractation ; tous les ecclésiastiques séculiers ou réguliers, frères convers et lais qui n'ont pas satisfait au décret du 14 août 1722 et 21 avril dernier ou qui ont rétracté leur serment, enfin tous ceux qui ont été dénoncés pour cause d'incivisme lorsque la dénonciation aura été valable, conformément à la loi dudit jour d'avril.

Art. 14. — Les ecclésiastiques mentionnés à l'article 10 qui, cachés en France, n'ont point été embarqués pour la Guyane française, seront tenus dans la décade de la publication du présent décret de se rendre auprès de l'administration de leur département respectif, qui prendra les mesures nécessaires pour leur arrestation, embarquement et déportation en conformité de l'article 12.

Art. 15. — Ce délai expiré, ceux qui seront trouvés sur le territoire de la République seront conduits en la maison de justice ; au tribunal criminel de leur département, pour y être jugés conformément à l'article 5.

Art. 5. — Ceux des ecclésiastiques qui sont rentrés sur le territoire de la République, seront envoyés à la maison de justice du tribunal criminel du département dans l'étendue duquel ils auront été ou seront arrêtés, et après avoir subi interrogatoire dont il sera tenu note, ils seront, dans les 24 heures, livrés à l'exécution des jugements criminels et mis à mort, après que les juges du tribunal auront déclaré que les détenus sont convaincus d'avoir été sujets à la déportation.

Charge le commissaire du Directoire exécutif de faire procurer l'exécution du présent jugement :

Fait, jugé et prononcé, à Vesoul, le 25 nivôse l'an IV de la République française, une et indivisible, en l'audience où étaient les citoyens Bardenet, président, Cornibert, Thomas et Roux, juges de service au tribunal criminel, et le citoyen Boigeol, juge de service au tribunal civil, appelé pour absence du citoyen Lécurel, qui ont signé la minute du présent jugement.

Signé : BARDENET, CORNIBERT, ROUX, THOMAS. BOIGEOL.

Pour expédition : GROSJEAN.

Le P. Grégoire voulut entendre à genoux la lecture du jugement. Lorsque le président eut terminé, le condamné dit : « Je vous remercie, citoyens juges. Vous me procurez le bonheur après lequel j'ai si longtemps soupiré. Oui, ce jour est le plus beau de ma vie, puisque j'ai consolation d'avoir réparé ma faute et de pouvoir la laver dans mon sang. C'est vous qui le faites verser ; mais je vous pardonne, et s'il convenait à un condamné d'aller offrir à ses juges le baiser de paix, j'irai à vos genoux, vous prier de recevoir ce gage de la charité chrétienne, que ma religion me dicte, même à l'égard de mes ennemis. » Se tournant vers l'auditoire, il ajouta : « Et vous, mes frères, que j'ai eu le malheur de scandaliser par une déclaration qui répugnait à mon coeur, ,vous me pardonnerez cette faiblesse, ce scandale involontaire de ma part, car, je dois le dire pour ma justification et pour conserver votre estime, ce n'est point la crainte de la mort qui m'a porté à cette feinte, mais uniquement le désir d'épargner un crime à mes juges. Oubliez donc une faute, pour ne vous souvenir que de mon repentir. Mes larmes et mon sang suffiront, je l'espère, pour la laver. »

Pendant cette allocution, les juges avaient quitté le prétoire ; l'accusé fut reconduit en prison. Pendant le trajet, la femme du geôlier lui présenta un bol de bouillon qu'il accepta avec reconnaissance; le geôlier, Béjean, le conduisit dans la chambre où se trouvaient les quatre prêtres. « Messieurs, dit en entrant le P. Grégoire, me voilà plus heureux. Oui, j'aurais le bonheur de mourir pour la religion ; je dois être exécuté dans les vingt-quatre heures ! » Il remit le texte de sa rétractation entre les mains de son confesseur et le pria d'en faire multiplier et répandre les copies ; ensuite, agenouillé devant un lit, il fit à voix haute le sacrifice de sa vie et remercia Dieu de la faveur qu'il lui faisait. Ayant remarqué que ses collègues n'avaient pas dîné : « Je vous ai fait attendre, dit-il, allons à table, puisque vous voulez bien une fois encore partager votre repas avec moi ; après, je mettrai ordre à mes affaires. » Regardant la nourriture préparée, il dit encore : « J'ai commis une double faute ce matin. Oubliant que nous étions au vendredi, jour de jeûne dans notre institut, j'ai accepté ce matin une tasse de café et, il y a instant, un bol de bouillon des mains de la geôlière. Mais Dieu me le pardonnera. » Il s'entretint ensuite avec ces Messieurs de la fragilité des choses de ce monde, de l'incertitude de la mort et de la nécessité d'être prêt. «Voyez, continua-t-il, comme je suis favorisé ! j'ai quatre prêtres; pour m'assister à mes derniers moments, tandis que si j'étais mort dans mon lit, peut-être n'en aurais-je pas eu uni seul. » Pour consoler et réconforter ses confrères, il leur citait l'Ecriture et divers traits de l'histoire ecclésiastique.

Dans un coin de la chambre se tenait un jeune homme: prévenu de graves délits et redoutant le jugement qui en serait fait, le P. Grégoire lui dit : « Mon ami, crains plutôt la justice de Dieu que celle des hommes, rentre en toi-même et pense à ton éternité. » — « Mais je n'ai plus le temps de m'occuper des autres ; le peu qui me reste; ne sera pas de trop pour me préparer à paraître devant le souverain Juge. » Et se retirant un peu à l'écart, prosterné à deux genoux, il demeura plus d'une demi-heure absorbé en Dieu, jusqu'au moment où la servante du geôlier vint annoncer, en pleurant, que l'exécution aurait. lieu le jour même à trois heures. « J'avais bien raison de dire que nous n'avions pas de temps à perdre, répondit-il, mais ne vous attristez pas, félicitez-moi plutôt de ce qu'on hâte mon bonheur. » Alors il se confessa.

On vint, de la part du commissaire, lui offrir un notaire pour écrire son testament ; mais il refusa, alléguant qu'en sa qualité de religieux il ne possédait rien et ne pouvait rien léguer. Il se ressouvint cependant avoir déposé en mains sûres une somme d'argent, fruit de l'aumône ou d'honoraires de messes ; il pria son confesseur d'en disposer à son gré. Comme le moment de la séparation approchait, ces Messieurs le supplièrent de leur laisser ses cheveux en souvenir. « Oh non ! dit-il. Ce n'est pas d'un pécheur comme moi qu'il faut songer à conserver quelque chose.» Mais sur l'observation que le bourreau les lui couperait pour la toilette, il consentit. « Ne vous semble-t-il pas, dit-il encore, qu'on peut me considérer comme un homme à l'extrémité et qu'il serait bon de réciter pour moi les prières des agonisants? » Ils les récitèrent donc, ces messieurs répondaient à chaque invocation des litanies : Ora pro eo, le condamné disait: Ora pro me.

Le bourreau, terrifié par la perspective de cette exécution, avait songé à prendre la fuite ; on dut s'assurer de sa personne ; alors il offrit de payer le voyage du bourreau de Besançon qui le suppléerait, mais l'heure rapprochée fut maintenue, il lui fallut donc remplir sa charge ; il semblait plus mort que vif.

Lorsque l'horloge sonna trois heures, le P. Grégoire dit à ces Messieurs : « Voyez quelle grâce est la mienne ! Je vais mourir le même jour et à la même heure que mon Sauveur. Ne vous affligez pas, nous nous reverrons un jour. Courons au combat qui nous est proposé, les yeux fixés sur le Christ, auteur et consommateur de notre foi, qui se fit avec joie d'endurer le supplice de la croix et d'en mépriser l'ignominie. » Puis, il fit ses adieux et descendit avec son confesseur à la conciergerie. Le bourreau n'arrivait pas. « Ils me font faire une agonie bien longue, dit-il. C'est moi qui étrenne la guillotine. Je ne sais s'ils y prendront goût ; je désire être leur dernière victime.» Le bourreau arriva enfin. Le P. Grégoire embrassa son confesseur et dit : « Je ne sais s'il me fera bien souffrir ». On se mit en marche.

Sur le parcours de la prison à la place du Palais de justice presque toutes les boutiques étaient fermées, mais sur la place une foule considérable attendait muette. Lorsque le condamné monta les marches de l'échafaud, presque tous prirent la fuite en poussant des cris de douleur. Le bourreau terrifié n'osa pas relever la tête, il s'enfuit et tomba gravement malade.

Les catholiques accoururent recueillir le sang. Une douzaine d'entre eux entreprirent d'enlever de nuit la dépouille du P. Grégoire.

Voici la relation de cette tentative.

Vesoul, diocèse de Besançon.

Je soussigné, Charles-Frédéric-Eléonore Boudot, de Baume-les-Dames, dit Pierre Petitbois ou Grandpierre, prêtre missionnaire, exerçant son ministère dans le département de la Haute-Saône, ayant été averti que Pierre-Joseph Cornibert, prêtre capucin, avait été arrêté et conduit dans les prisons de Vesoul pour y être jugé et mis à mort comme prêtre insermenté, je me rendis dans une maison de cette ville d'où j'étais à portée de le voir pour lui donner l'absolution, lorsqu'il passerait pour aller à la guillotine. Je fis venir deux jeunes hommes, l'un nommé Jean-Baptiste Juif, et l'autre Jean-Baptiste Silvant, pour les prier de suivre le corps de ce martyr, lorsqu'on le porterait en terre, et de remarquer la fosse où on le mettrait, afin d'aller pendant la nuit enlever ces précieuses reliques. Ils le suivirent et marquèrent la fosse.

Je parlais de la volonté que j'avais d'enlever le corps à plusieurs hommes prudents et discrets, les priant de m'aider à cette bonne oeuvre ; mais la crainte d'être surpris s'empara de leurs esprits et les décida à ne pas m'accompagner. Comme je désirais de ne pas faire éclater cette action, qui aurait pu faire naître des persécutions nouvelles, je ne confiai pas à d'autres personnes mon projet. Je me décidai à aller seulement avec les deux jeunes hommes qui avaient suivi le corps, pour qu'ils me montrassent l'endroit où il était. Mesdemoiselles Jeanne Juif et Thérèse Rebillot vinrent avec nous pour surveiller.

Nous arrivâmes au cimetière à dix heures et demie du soir, du 15 janvier de la présente année, jour de l'exécution. Je me mis à travailler pour vider la fosse dans l'intention d'enlever tout le corps. Je commençai du côté où je croyais qu'était la tête. Après avoir travaillé jusqu'à une heure et demie après minuit, je commençai à découvrir les jambes ; je cherchai la tête et ne la trouvai pas. J'étais très fatigué, à raison de défaut d'outils, n'ayant qu'une bêche de jardin, et la nuit étant très obscure ; réfléchissant alors sur la difficulté d'emporter un tel fardeau, je pris le parti d'enlever seulement les deux jambes. Je pris donc mon couteau, et je les séparai des cuisses, les mis dans un sac et on les emporta. La fatigue m'empêchant de continuer à découvrir le corps, je remis la terre que j'avais ôtée, et nous nous en allâmes.

Nota. — Voici deux faits d'une remarque particulière, et qui font voir une protection spéciale que l'on peut attribuer à ce saint. Après avoir enlevé les jambes et être rentrés dans la maison où elles devaient être déposées, vers les deux heures de la nuit, c'est-à-dire une demi-heure après notre sortie du cimetière, une patrouille de neuf personnes armées passa pour y aller faire une visite et ne trouva personne : une demi-heure plus tôt, ou si je n'avais pas été fatigué, nous étions arrêtés et j'aurai subi le même sort que le guillotiné.

Voici le second trait : le bruit s'étant répandu que le corps avait été enlevé, le commissaire du pouvoir exécutif près le département en ayant été informé et ayant le dessein de faire de violentes poursuites contre les auteurs de ce prétendu délit, voulut s'assurer du fait. Il prend avec lui deux des enterreurs et deux témoins et fait travailler à vider la fosse. S'imaginant qu'on aurait d'abord enlevé la tête, ils commencent du côté où elle était, on la trouve, on continue ; ils découvrent le corps, une partie du cadavre ; ne s'imaginent pas qu'on ait touché aux jambes, ils en restent là et s'en vont. Le commissaire dresse procès-verbal de l'existence du corps entier dans la fosse. C'est le cinq de ce mois que cette recherche se fit, à la nuit tombante.

C.-F. -E. BOUDOT dit GRANDPIERRE.

De Vesoul, j'emportai les précieuses dépouilles, à sept heures du matin du même jour, à Vaivre ; je fis venir les poudres et les aromates pour les embaumer. Nous travaillâmes à cette opération le dix-neuf janvier. M. Pierre-François Theret, dit Col oni, prêtre missionnaire, administrateur de la cure de Vaivre ; Mme Anne-Françoise Guillemin ; Marie-Victoire Fallot, les deux religieuses tiercelines de Dôle ; Marguerite-Madeleine, religieuse aux dames d'Ouans, aussi de Dôle ; MM. Jean-Louis Juillet et Pierre-François Dubiez, tous témoins oculaires qui ont travaillé à l'embaumement des jambes, tous résidant à Vaivre. Ensuite, nous les avons mises dans une caisse, enveloppes de linge, de bougran et d'étouppes, les deux planches formant le fond et le dessus sont de bois de noyer, ainsi qu'un des bouts, l'autre est de bois de sapin. De quoi j'ai dressé procès-verbal que j'ai signé avec toutes les personnes y nommées à Vesoul, le neuf février 1796.

Signé : C.-F.-E. BOUDOT, prêtre missionnaire; J.-B. SILVANT ; Anne-Françoise GUILLEMIN, religieuse tierceline ; Thérèse REBILLOT ; Jeanne JUIF ; JUILLET ; P.-F. DUBIEZ ; CALLOT ; J.-B. JUIF ; Marie-Victoire FALLOT, religieuse tierceline; Marguerite MADELEINE ; P. F. THERET dit COLONI, prêtre missionnaire.

Nouvelle addition. — Nous soussignés les mêmes que ci-dessus, certifions que le deux mai suivant, ayant voulu vérifier l'état des deux jambes, nous avons reconnu que la corruption des chairs était très avancée et qu'elle menaçait d'endommager prochainement les os. En conséquence, vu l'impossibilité de conserver le tout, nous nous sommes décidés à les enfermer dans la chaux vive, ce qui a été exécuté. Plus de trois mois après, le 6 septembre, nous les avons extraites de la chaux vive, les os ont été lavés et enfin déposés dans une petite caisse en sapin, couverte de papier bleu, avec bordure blanche découpée, et garnie en dedans de papier de couleur.

 De tout quoi nous avons dressé procès-verbal ledit jour, six septembre mil sept cent quatre-vingt-seize et avons signé :

P.-F. TISÉRET, dit COLONI, prêtre missionnaire; Anne-Françoise GuILLEMIN, religieuse tierceline ; Marie-Victorine FALLOT, religieuse tierceline ; Marguerite MAGDELEINE, religieuse bernardine ; JUILLET ; P.-F. DUBIEZ ; FALLOT ; C.-F.-E. BOUDOT, dit GRAND-PIERRE, prêtre missionnaire.

Publicité
Commentaires
La Maraîchine Normande
  • EN MÉMOIRE DU ROI LOUIS XVI, DE LA REINE MARIE-ANTOINETTE ET DE LA FAMILLE ROYALE ; EN MÉMOIRE DES BRIGANDS ET DES CHOUANS ; EN MÉMOIRE DES HOMMES, FEMMES, VIEILLARDS, ENFANTS ASSASSINÉS, NOYÉS, GUILLOTINÉS, DÉPORTÉS ET MASSACRÉS ... PAR LA RIPOUBLIFRIC
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Newsletter
Archives
Derniers commentaires
Publicité