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La Maraîchine Normande
10 avril 2012

L'échafaud à Mirecourt pendant la Révolution

L'échafaud à Mirecourt pendant la Révolution

(1793 - 1794)

 

 

 

 

 

 

Au temps de mon enfance, les souvenirs de la Révolution remontaient à moins d'un

siècle. S'ils ne les avaient pas vécus, les vieillards de ce temps là en avaient ouï parler à

leurs parents qui en avaient été témoins. C'était le cas de mon "inoubliée" grand-mère,

née en 1814, dont les parents avaient dix ans en 1789.

 

Enfants, nous buvions ses paroles quand elle nous contait la prestation du serment

civique, à la grand-messe, du curé Nicolas Vichard et de son vicaire Dominique, suivie,

quelques jours après, de la rétractation du vicaire à la prière du soir, les baptêmes

clandestins des enfants dans la cave de la Costelle, l'enlèvement des signes extérieurs

du culte, les enrôlements volontaires devant les Halles, les patrouilles de la garde

nationale à travers la commune.

 

Sa voix se faisait plus grave quand elle évoquait le spectre hideux de la guillotine,

la mort de Louis XVI sur l'échafaud, les pleines charrettes de condamnés qu'on y

conduisait chaque jour à Paris. Nous l'écoutions frissonnants.

 

Grand-mère se souvenait bien avoir entendu dire par les siens que des prêtres

avaient été guillotinés en Alsace, d'autres à Mirecourt, mais ne pouvait donner de

précisions à ce sujet.

 

 

Une loi du 26 août 1792 ordonnait aux ecclésiastiques qui n'avaient pas prêté le

serment civique exigé ou qui, l'ayant prêté, s'étaient rétractés, de « sortir sous huit

jours des limites du district et du département de leur résidence et, dans la quinzaine,

hors du royaume ». Exception était faite pour les sexagénaires et les infirmes. Une

condamnation à dix ans de détention frappait « celui qui serait resté après avoir fait une

déclaration de sortie, ainsi que celui qui serait rentré après être sorti ». C'était, en fait,

la déportation pour les réfractaires.

Le décret de la Convention Nationale du 30 vendémiaire An II (21 octobre 1793)

aggravait la sévérité de la loi de 1792 : la détention était remplacée par la peine de

mort. Un article de ce décret prescrivait : « Ceux de ces ecclésiastiques qui rentreront,

ceux qui sont rentrés sur le territoire de la République, seront envoyés à la maison de

justice du tribunal criminel du département dans l'étendue duquel ils auront été

arrêtés ; et, après avoir subi un interrogatoire dont il sera tenu note, ils seront, dans les

vingt quatre heures, livrés à l'exécuteur des jugements criminels et mis à mort, après

que les juges du tribunal auront déclaré que les détenus sont convaincus d'avoir été

sujets à la déportation. »

La même loi punissait également de mort tout citoyen qui aurait recelé un prêtre

sujet à la déportation.

 

 

 

Disons le tout de suite, à l'honneur des Vosgiens : nombre de prêtres, bravant la

rigueur des lois, réussirent à se cacher et continuèrent à exercer en secret leur

ministère jusqu'à la fin de la tourmente sans qu'il se trouvât, parmi les plus farouches

révolutionnaires quelqu'un d'assez lâche pour les dénoncer.

 

« Une machine à décapiter », nom que portait primitivement la guillotine avait

été envoyée, dès le 27 septembre à Mirecourt où siégeait le tribunal criminel du

département. Elle ne devait pas tarder à fonctionner. Si la sinistre machine ne fut pas,

comme à Paris et dans certaines villes, installée en permanence, elle n'en fit pas moins

dix victimes en l'espace de sept mois, du 23 brumaire au 22 prairial An II (13 novembre

1793 - 10 juin 1794) ; dix victimes : sept prêtres et trois femmes.

Les travaux de M. Léon Schwab qui a puisé sa documentation au fonds du tribunal

criminel déposé aux Archives départementales des Vosges nous ont permis de consacrer

une brève notice à chacun de ces martyrs.

 

 

Les abbés Mangin et Rosselange

 

L'abbé Mangin, natif de Charmes, qui avait refusé le serment, était, avant la

Révolution, aumônier de là maison de détention de Maréville, devenue par la suite asile

d'aliénés.

L'abbé Rosselange, né à Saint-Mihiel, était curé de Villers-les-Nancy. Il avait d'abord

prêté le serment constitutionnel, puis, s'étant rétracté, il avait quitté sa paroisse et

s'était réfugié à Charmes auprès de son ami Mangin. C'est de là que les deux prêtres

prirent le chemin de l'exil.

Après six semaines de séjour à Trêves, ils reviennent dans les environs de Nancy où

ils purent rester ignorés pendant un an. À l'annonce du terrible décret de la Convention,

ils songent à s'expatrier de nouveau, reviennent à Charmes d'où ils se préparaient à

gagner la Suisse quand le Comité de surveillance les arrêta.

Un détachement de gardes nationaux et de gendarmes les conduisit à Mirecourt où

ils furent sans délai traduits devant le tribunal criminel présidé par Joseph-Sébastien

Lepaige.

 

Procédure rapide : interrogatoire du président, audition de l'accusateur public, pas

de défenseurs. Le jugement, tranchant comme la lame du couperet, se borne à

constater que les deux ecclésiastiques ont contrevenu à l'art. 5 du décret de la

Convention en rentrant en France après avoir été déportés. Condamnation automatique.

Le prononcé de la sentence fut accueilli par ces mots de l'abbé Rosselange : « Que la

volonté de Dieu soit faite ! »

 

Deux têtes tombaient le soir du même jour. C'était le 25 brumaire An II (15

novembre 1793).

Le registre d'écrou de la maison de justice porte, à la date du jour du jugement, la

décharge des prisonniers,

donnée par l'huissier Remy et, en marge, la mention : « Ont

été guillotinés. »

 

 

L'abbé Raclot

 

 

Jean-Baptiste Joseph Raclot, curé de Nogent et Thivet (Hte-Marne) avait été

apprenti typographe avant d'entrer dans les ordres. Il prête en 1791 le serment civique,

mais se rétracte l'année suivante. Émigré au Luxembourg, il revient quelques semaines

après à Neufchâteau chez un de ses parents, l'imprimeur Caron. Celui-ci l'occupe comme

compagnon compositeur. Personne ne le connaît en ville. Pour plus de sûreté, il a pris un

nom d'emprunt. Il peut donc se croire parfaitement à l'abri.

 

Mais voici que, sur une dénonciation, l'imprimeur, son patron, est accusé d'avoir

imprimé et mis en vente des brochures contre-révolutionnaires.

L'abbé Raclot prend peur, quitte précipitamment la ville, se rend à Plombières, puis

se dirige vers Bâle. Au moment où il va passer en Suisse, il est malheureusement arrêté

par les soldats de garde au poste frontière de Bourg Libre (Saint Louis Haut Rhin).

Comme il déclare s'appeler Guénerot, être domicilié à Mouzon Meuse

(Neufchâteau), il est transféré, de brigade en brigade, à la disposition des officiers

municipaux de ce lieu. Là il subit un premier interrogatoire : II se rendait, dit-il, en

Suisse pour acheter des caractères d'imprimerie afin de s'établir à son compte.

L'imprimeur Caron et sa femme, ses compagnons de travail, confirment ses dires : il

s'appelle Guénerot, il est ouvrier typographe.

 

Malheureusement pour le prêtre, on a trouvé sur lui un testament contenant les

dernières volontés de J.B Joseph Raclot, curé de Thiret, et deux reconnaissances de

dettes souscrites à son profit par les frères Guénerot, entrepreneurs de bâtiments à

Chaumont. Or ceux ci, interrogés à Chaumont par commission rogatoire, ont déclaré ne

pas connaître d'autres Guénerot qu'eux-mêmes et donné de l'abbé Raclot un signalement

assez complet.

 

Ces témoignages sont suffisants pour motiver le renvoi de Raclot devant le tribunal

criminel. Interrogé par Christophe Dieudonné (5) qui vient de remplacer Lepaige à la

présidence du tribunal, l'inculpé persiste à affirmer, contre toute évidence qu'il est bien

François Guénerot, et qu'il n'est pas Raclot.

Mais le tribunal a fait citer des témoins. Confronté avec trois habitants de Thivet

qui le reconnaissent, l'inculpé avoue enfin sa véritable identité et déclare se nommer

Jean-Baptiste Joseph Raclot, âgé de 53 ans, « ci-devant prêtre », ex curé de Thivet.

Le lendemain 20 pluviôse (8 février 1794), le tribunal ordonnait « qu'il serait, dans

les 24 heures, livré à l'exécuteur des jugements criminels et mis à mort. »

 

Le registre de la maison d'arrêt de Mirecourt ne porte pas de mention de levée

d'écrou par suite de la remise du condamné entre les mains du bourreau, quelques

heures après l'arrêt.

 

Les époux Caron qui avaient hébergé le prêtre, prévenus « de complicité

d'émigration, de recel de réfractaire, d'impression et de débit d'ouvrages subversifs »,

s'entendaient condamner, quelques jours après, le mari à six années de fers, et sa

femme à six années de réclusion. Sentence relativement douce puisqu'ils encouraient

tous deux la peine capitale.

 

 

Les abbés Claudel et Antoine

 

 

A l'auberge de la Tête d'Or, à Plombières, le 17 germinal dans la soirée, trois

membres du Comité de surveillance trouvent un inconnu qu'on leur dit arrivé de la veille

et qu'ils soupçonnent être un prêtre. Il n'a ni passeport, ni certificat de civisme.

L'homme déclare se nommer Dominique Nicolas Claude, natif de la Bresse, « garçon

roulant », sans domicile fixe. Il voyageait depuis plusieurs années et croyait qu'il n'était

pas nécessaire de se munir de papiers pour aller à quelques lieues de chez lui.

Questionné à ce sujet, il ajoute qu'il n'est pas prêtre.

 

Une visite à la chambre de Claudel, au 2e étage, amène la découverte d'un second

suspect caché derrière le lit. Celui-ci, en possession d'un passeport délivré à Colroy-la-

Grande, déclare se nommer Nicolas Antoine, âgé de 45 ans, être né à Colroy, voyager

depuis plus de deux ans pour gagner sa vie. Interrogé s'il n'est pas prêtre, il répond

« qu'il n'est rien et n'est pas obligé de dire ce qu'il a été » Quand on lui demande s'il n'a

pas été curé de Dompaire, il élude la question et réplique « qu'il mendie son pain. »

Poussant plus loin leurs investigations dans la maison, les commissaires ont trouvé,

dans un cabinet au 3e étage, « une espèce de chapelle contenant plusieurs objets à

l'usage du culte catholique : chasubles, étoles, etc... dont il a été tenu inventaire »

Ensuite de quoi, Claudel et Antoine sont transférés à Mirecourt et traduits devant

le tribunal criminel, le 24 germinal (15 avril 1794) en vertu du décret de la Convention

relatif aux prêtres réfractaires sujets à la déportation. Condamnation inéluctable.

 

Ce même jour, vers midi, Dominique Claudel, vicaire résident au Ménil-Thillot, et

Nicolas Antoine, curé de Dompaire, ancien chanoine du Chapitre de Remiremont, étaient

guillotinés sur la place de la Liberté par l'exécuteur des jugements criminels, Jean

Nicolas Chapelain, assisté de Laurent Roch, exécuteur du département de la Meurthe.

 

 

Anne Desson

 

 

Le cas d'Anne Desson n'a rien à voir avec celui des prêtres réfractaires et des nobles

émigrés.

Anne Desson est née à Docelles en 1766. C'est une journalière agricole gagnant

péniblement son pain.

 

Elle est allée à pied en pèlerinage à Notre-Dame-des-Ermites. Sur le chemin du

retour, ayant trouvé en Suisse à s'employer comme servante de ferme, elle y est restée

plus d'un an. Prise de nostalgie, elle a cédé au désir de revoir son village natal, d'aller

embrasser les siens.

 

Sait-elle, cette paysanne illettrée, qui ignore tout des terribles décrets de la

Convention, qu'il lui est défendu, sous peine de mort, de rentrer dans son pays ?...

Le 14 floréal An II (3 mai 1794), Anne Desson est arrêtée à la frontière, près de

Bâle. Fouillée, elle n'est trouvée porteuse que d'un crucifix et de quelques objets de

piété. Les gendarmes la conduisent d'abord à Bruyères, district de son département

d'origine ; de là, elle est transférée à Mirecourt.

 

Devant le tribunal criminel, la pauvre fille argue de sa bonne foi : n'ayant rien à se

reprocher, elle croyait pouvoir revenir librement en son village.

Elle n'en est pas moins convaincue « du crime de retour d'émigration » et

condamnée à la peine capitale le 20 floréal (8 mai 1794). Le jugement fut mis à

exécution deux heures après.

 

 

Les Abbés Didelot et Rivât

 Anne Françoise Petitjean, Marie Jeanne Durupt

 

Voici la dernière et la plus grosse fournée du tragique martyrologe : quatre têtes à

la fois, deux prêtres et deux servantes.

 

L'abbé Nicolas Antoine Didelot, né à Bruyères en 1763, vicaire à Remiremont,

n'avait pas prêté le serment et n'avait pas émigré. Il continuait à exercer ses fonctions

sacerdotales. Un prêtre retiré, Claude Joseph Rivât, originaire de Laneuve-ville-devant-

Lépanges, partageait avec lui la cachette qu'ils avaient trouvée chez Anne Françoise

Petitjean et Marie Jeanne Durupt, sa nièce, toutes deux servantes de Mme de Ferrette,

émigrée, chanoinesse du Chapitre de Remiremont.

 

Prévenu par deux agents de la municipalité, le maire, accompagné d'un officier

municipal et du greffier, se transporta pour une visite domiciliaire dans la maison. Un

pan de boiserie, mouvant par le bas, ayant attiré leur attention, ils avaient voulu le tirer

à eux et avaient éprouvé la résistance d'une force intérieure. Cette résistance forcée, ils

s'étaient trouvés en présence d'une étroite issue aboutissant à une cache dissimulés sous

la toiture. Deux hommes, les deux prêtres, sortirent de ce réduit. Arrêtés sur l'heure

avec les servantes de la chanoinesse, ils furent, tous quatre, conduits à la maison de

justice.

 

Interrogé par les officiers municipaux, l'abbé Didelot déclare « qu'il est prêtre

catholique ; s'il n'a pas prêté le serment que sa conscience et sa religion lui défendent

de faire, il n'en doit compte qu'à Dieu et à ses supérieurs ecclésiastiques ».

L'abbé Rivât, lui, ne croyait pas qu'il soit tenu au serment, ayant démissionné avant

la Révolution. Les deux servantes prétendent que les prêtres se sont cachés chez elles à

leur insu et disent ignorer leur présence dans la maison.

 

Conduits à Mirecourt, les quatre prévenus comparaissent devant le tribunal

criminel le 22 prairial (10 juin 1794). Les attendus du jugement, inspirés par une haine

antireligieuse stupide et féroce sont à citer. Il y est dit que « Didelot était porteur de

plusieurs imprimés propres à répandre le poison du fanatisme et d'écrits de sa main qui

prouvent que, conjointement avec ledit Joseph Rivât, il a exercé clandestinement les

fonctions de prêtre durant les années 1793 et 1794 (vieux style) et qu'ils n'ont cessé de

tromper un grand nombre d'esprits faibles en leur inspirant des principes contre

révolutionnaires au nom d'une religion dont ils faisaient l'instrument de leurs projets

criminels ; qu'ils ont été dénoncés à l'accusateur public comme sujets à la déportation,

et les dites Anne Françoise Petitjean et Jeanne Marie Durupt comme leurs complices

pour les avoir recelés dans leur habitation. » Les deux prêtres étaient de plus convaincus

d'avoir refusé de prêter les serments prescrits.

 

Pour ces motifs, le tribunal les condamne tous quatre à la peine de mort. Le

jugement fut exécuté le même jour par les bourreaux des Vosges et de la Meurthe.

Survenue quelques semaines plus tôt, la chute de Robespierre, le 9 thermidor (27 juillet

1794), qui marqua la fin de la Terreur, eût sans doute sauvé les condamnés.

 

 

Aux dix victimes de Mirecourt, il faut ajouter les noms des Vosgiens guillotinés à

Paris parmi lesquels un prêtre, le curé de Senonges ; un député des Vosges à la

Convention, J.B. Noël, proscrit avec les Girondins ; un membre du tribunal

révolutionnaire de Paris, Renaudin, de Saint-Remy ; l'ancien lieutenant-général du

bailliage d'Épinal, Maurice Collinet de la Salle. Avec lui, nous revenons à Fraize, il avait

en effet épousé Joséphine Régnier de Cogney, fille d'un des derniers seigneurs du Ban de

Fraize. Un de ses descendants, Charles Nicolas Antoine Collinet de la Salle, décédé sans

postérité en 1862 a laissé par testament sa part des anciennes forêts seigneuriales du

Ban de Fraize aux Hospices de Nancy. C'est la forêt des Hospices, au Rudlin.

Si l'on en croit un auteur local, ce n'est pas dix, mais onze condamnations à mort

qu'aurait prononcées le tribunal de Mirecourt. Avec la complicité de ses geôliers, un

condamné aurait, en effet, réussi à s'échapper quelques heures avant son exécution.

Extraordinaire évasion dont voici le récit qui peut paraître invraisemblable :

 

L'abbé Chapelle, ancien chanoine d'Arles, avait été traîné à Mirecourt pour y être

jugé comme déporté trouvé sur le sol français.

« Lorsqu'il parut devant le tribunal, il montra la plus grande fermeté, ne se laissant

intimider par aucune question, aucune menace. Il avoua sa qualité de prêtre dont il se

glorifia. Le président voulut lui faire prêter serment à la République. — Jamais,

répondit-il. Le magistrat lui fit remarquer qu'en agissant ainsi, il jouait sa tête. Il lui

répondit sans forfanterie : Vous pouvez prendre ma tête, mais mon âme me restera. Il

fut condamné à mort et reçut cette sentence sans sourciller. »

Mais, lorsque le bourreau, accompagné de la force armés alla chercher le prêtre

pour le conduire à la mort, son cachot était vide, le condamné s'était enfui par un trou

pratiqué dans le plancher.

 

On arrêta immédiatement Mengin et sa femme, gardiens de prison, dont la

complicité était évidente, ainsi que toutes les personnes qui avaient visité l'abbé

Chapelle dans sa prison. Une longue et minutieuse enquête, des perquisitions, des

recherches dans le voisinage, ne donnèrent aucun résultat. Il fallut relâcher les

personnes arrêtées, Mengin et sa femme, dont la complicité n'avait pu être établie, s'en

tirèrent avec un mois de prison pour négligence dans leur service.

 

Le 3 novembre 1794, le tribunal criminel des Vosges était transféré de Mirecourt à

Épinal II emportait avec lui son instrument de mort. La paisible cité des vignerons, des

dentellières, et des luthiers, voyait avec soulagement s'éloigner le cauchemar sanglant

qui pesait sur elle depuis un an. Mirecourt devait en garder longtemps un souvenir

horrifié. Après un siècle et demi, il en reste des traditions, vivaces sans doute comme

toutes les traditions, déformées par le temps, où il faut faire la part de l'imagination

populaire.

 

L'auteur local auquel nous nous référons a évoqué ces pénibles souvenirs. Nous

citons : « La guillotine, dont la vue seule vous terrifiait, était construite sur la place de

Poussay, entre la chaussée et la grande fontaine. Elle consistait en une maisonnette en

planches de quatre mètres carrés environ sur deux mètres trente de haut, fermant à clé.

Sur la plate-forme s'élevait l'instrument du supplice avec sa planchette à bascule, ses

coulisseaux, sa lunette, son sachet en cuir pour recevoir le sang de la victime, le tout

surmonté du fatal couperet élevé de trois mètres... »

 

Le bourreau, un nommé Chapelain, habitait une maison isolée, en dehors de

l'agglomération. Personne n'aurait voulu lui adresser la parole. On disait qu'il vendait de

la graisse de chair humaine pour guérir certains maux. Il inspirait une telle terreur, une

telle répulsion, qu'on se détournait de son chemin pour ne pas passer devant sa porte.

Sa première exécution, celle de l'abbé Rosselange, fut marquée par un incident, dû

à son inexpérience, qui souleva dans l'assistance un frémissement d'horreur. Par respect

pour la délicatesse du lecteur, mieux vaut ne pas en parler.

 

Un détail singulier donne l'idée de l'état d'esprit des Mirecurtiens : « On a remarqué

— conte l'auteur — que presque toutes les femmes qui avaient assisté à cette sanglante

exécution, et elles étaient nombreuses, portaient des enfants sur leurs bras. On assure

qu'en rentrant chez elles, elles les ont fouettés pour qu'ils conservassent le souvenir de

ce qu'ils avaient vu »

 

La tradition veut que la tête d"un prêtre condamné étant tombée de là charrette

qui conduisait les corps au cimetière, « elle fut aussitôt ramassée par une femme

nommée Dru qui suivait avec beaucoup d'autres femmes, car cet homme passait pour un

martyr. Elles lui coupèrent les cheveux qu'elles se partagèrent comme relique et la

femme Dru conserva la tête qu'elle rendit aux parents quelques jours après. »

« Au cimetière, les corps des suppliciés ont été longtemps l'objet de la vénération

des personnes pieuses. On s'agenouillait en priant sur leur tombe comme devant un

saint ».

L'emplacement de la guillotine était aussi un but de pèlerinage. « Les bonnes

femmes qui s'y rendaient le soir pour chercher à y découvrir quelques gouttes du sang

d'un saint prêtre ont prétendu longtemps qu'il sortait des flammes de la terre. »

 

Quelles que soient la réprobation que l'on éprouve pour les condamnations

impitoyables de Mirecourt, la commisération que nous inspire le sort cruel d'innocentes

victimes, faut-il en conclure que les membres du tribunal criminel étaient des monstres

sanguinaires ?

Plaçons-nous dans le climat de cette triste époque où, si l'on ne voulait être

« guillotineur », on pouvait être, le lendemain, « guillotiné ».

Constatons aussi que les juges n'avaient pas le choix, et que, dans les dix cas

relevés, la peine de mort s'appliquait automatiquement, du moment que les faits

incriminés étaient matériellement établis. Pas de circonstances atténuantes. Plus

coupables que les juges furent ceux qui livrèrent les proscrits.

Songeons enfin qu'à côté des dix martyrs de Mirecourt, la Terreur fit plusieurs

dizaines de milliers de victimes dans la France entière.

Victor LALEVÉE

SOURCES:Thiers : Histoire de la Révolution.Félix Bouvier : Les Vosges pendant la. Révolution.

Léon Louis : Le département des Vosges. Tome IV.Léon Schwab : Les condamnations à mort du tribunal criminel des Vosges.La Révolution dans les Vosges 1931-32.L'abbé J.B. Edmond L'Hôte : Vie des Saints, Bienheureux, etc., du diocèse de Saint-Dié, 1897.Chanoine Chapelier : Les reliques des martyrs de Mirecourt, 1920.

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