Jacques Belhomme
Jacques Belhomme
Vers 1765, le menuisier Jacques Belhomme accepte d’élever contre rétribution le fils d’un noble du voisinage, qui est idiot de naissance. S’apercevant que ce commerce est plus lucratif que la menuiserie, il ouvre une pension pour les déments, les vieillards et tous ceux que des familles fortunées souhaitent lui confier. Un célèbre précurseur de la psychiatrie, Philippe Pinel, dont la statue trône aujourd’hui devant la Salpêtrière, y fera ses premières armes dans le traitement des malades mentaux.
À la Révolution, Jacques Belhomme croit sa fortune assurée. De son éloignement du centre nerveux de Paris et de ses complaisances avec les maîtres du jour, Jacques Belhomme tire d’appréciables avantages. En septembre 1793, les députés encouragent les sans-culottes à jeter en prison tout individu suspect : les nobles - avec femmes et enfants -, mais aussi les étrangers, les prêtres, les avocats, les acteurs de la Comédie-Française, les riches en général, bref tous ceux qui n’ont pas fait clairement acte d’allégeance à la Révolution. Les prisons de Paris sont bientôt bondées. L’État réquisitionne les cliniques privées pourvues de barreaux.
La pension Belhomme est la première. Belhomme s’entend avec les douze policiers chargés de Paris pour se faire envoyer de riches prisonniers qui paieront une forte pension pour vivre cette épreuve aussi confortablement que possible. Dès lors se bousculent chez lui, au milieu des fous, marquises, banquiers, journalistes, comédiennes célèbres, vieux nobles, officiers, et une foule d’anonymes en disgrâce qui soudoient médecins et policiers pour s’y faire transférer sous prétexte de maladie.
Le scandale finit par éclater en janvier 1794. Belhomme est arrêté pour avoir perçu des pots-de-vin et incarcéré… dans une autre pension de Paris, à Picpus, là où Sade croupissait lui-même. Il fut condamné deux fois et n’échappa aux fers, comme ses pensionnaires, que par la chute du régime de Terreur, en thermidor.
Si la plupart de ses pensionnaires échappèrent à la guillotine, certains, trop célèbres pour passer inaperçus, y furent envoyés : Béatrice de Choiseul-Stainville, duchesse de Gramont, sœur du célèbre ministre de Louis XV, la duchesse du Châtelet, belle-fille de l’illustre maîtresse de Voltaire, le fermier général Magon de La Balue, guillotiné avec ses enfants, petits-enfants, arrière-petits-enfants, frères et cousins, pour que ses bourreaux soient sûrs de récupérer son immense fortune, ou encore l’avocat Simon-Nicolas-Henri Linguet, qui avait pourtant dénoncé l’arbitraire de la monarchie et avait passé un an à la Bastille.
Pour s’agrandir durant cette année faste, Jacques Belhomme loua le bâtiment voisin, l’hôtel de Chabanais, auquel le reliait un charmant jardin (le jeune marquis de Chabanais, descendant de Colbert, ayant émigré avec sa mère, ses biens avaient été confisqués par l’État). Belhomme finira par acheter cette maison pour investir l’argent gagné sous la Terreur. C’est dans ce cadre que se situe l’idylle fort romanesque de Marie-Adélaïde de Bourbon-Penthièvre (veuve du duc d’Orléans « Philippe Égalité », mère du futur roi Louis-Philippe) et du député de la Convention Jacques-Marie Rouzet, qu’elle épousa en secret à leur sortie de prison.
L’hôtel de Chabanais (163 rue de Charonne) fut rasé en 1956 et le parc de la maison Belhomme (157-161 rue de Charonne) lotie en 1973, suite à des constructions immobilières. Les trois élégants pavillons accolés de cette ancienne « maison de santé » servent maintenant dans un petit jardin à un club du troisième âge.
Eugène Coignard
À Paris, il y avait, au n° 35 de la rue de Picpus, le couvent des chanoinesses régulières de Saint-Augustin : cette communauté, fondée en 1647 et appelée à cette époque Notre-Dame-de-la-Victoire-de-Lépante, présentait la particularité de célébrer le 7 octobre l’anniversaire de cette victoire de 1572 sur les Turcs.
À la Révolution, en 1792, on chassa les quarante religieuses de leurs deux hectares de jardins. Sous la Terreur, à la fin de 1793, un certain Eugène Coignard y ouvrit une maison de santé pour recevoir de riches "suspects," détenus dans les différentes prisons de Paris, que l'on faisait passer pour malades. Non loin de là, rue de Charonne, un ancien miroitier du nom de Belhomme l'avait précédé en créant dès 1769 une maison du même genre. Moyennant une pension exorbitante, la plupart de ces privilégiés échappaient à la guillotine.
Naturellement, des intermédiaires rançonnaient ces détenus de luxe au prix fort et négociaient avec les autorités leur transfert dans ces maisons. Il n'y avait pas juste la corruption ; l'influence de membres du Comité de sûreté générale ou du Comité de salut public, soucieux de protéger leurs amis prisonniers, s'exerçait également.
Les détenus les plus célèbres furent le marquis de Sade et Choderlos de Laclos, l'auteur des Liaisons dangereuses qui y résidèrent ensemble du 27 mars au 15 octobre 1794. Le rival et voisin de Coignard, Belhomme, condamné à six ans de fers pour avoir un peu trop abusé de la situation, s'y retrouva pensionnaire.
En juin 1794, des terrassiers ouvrirent une grande brèche dans le mur d’enceinte et creusèrent une fosse de 8 mètres sur 5 au fond du jardin : cette fosse était destinée à recevoir les corps des guillotinés. Les protestations de Coignard ne servirent à rien. Un tombereau commença à apporter les corps que l’on exécutait chaque jour sur la place du Trône toute proche (aujourd’hui place de la Nation) - en fait à la barrière du Trône.
Les aides du bourreau dénudaient les cadavres, tandis qu’à côté on y brûlait du thym et du genièvre pour atténuer l’odeur de putréfaction des corps déjà entreposés. Puis, les dépouilles étaient tirées à terre jusqu’aux fosses, où on les tassait le plus possible par manque de place. Les têtes étaient jetées comme des boules pour remplir les vides.
Au début, les fosses restèrent ouvertes en permanence sans qu’aucun lit de chaux n’y soit étalé. L’odeur était effroyable. Plus tard, on établit au-dessus un plancher en charpente percé d’une trappe. Du 13 juin au 28 juillet, on y jeta de trente à cinquante personnes chaque jour. Le nombre officiel fut de 1306 inhumations.
Les policiers Jean-Baptiste Marino, François Soulès, Nicolas André Marie Froidure et François Dangé y furent enterrés le 17 juin 1794 sous le nez de plusieurs hommes qu’ils avaient arrêtés : MM de Dampierre, Le Picard, Sabatier et Desprez, le couple Titon. Le bourreau Sanson avait battu ce jour-là son record : 54 personnes en 24 minutes, ce qui lui valut une gratification des députés.
Après le 9-Thermidor, les prisonniers firent leur possible pour être transférés au plus vite, la maison ne fit plus recette : les épouvantables fosses ne furent comblées qu’en juin 1795, un an après. Depuis longtemps la maison Coignard avait fermé ses portes.
En 1805, les familles des personnes inhumées à cet endroit s’associèrent pour racheter le couvent et y installèrent une congrégation de religieuses. On créa aussi un cimetière privé, le cimetière de Picpus, où ces familles se firent enterrer pour reposer près de leurs parents assassinés. Au milieu de ces tombes surchargées d’écussons se trouve celle de G. Lenotre, historien de la Révolution française. .