TOULOUSE (31) - BERTRAND CASSÉ, CORDELIER
Un nommé Bertrand Cassé, ex-cordelier, détenu depuis longtemps à la conciergerie, & qui, étant tombé malade, avait obtenu, moyennant une caution, d'aller se remettre ailleurs, choisit la maison de M. Bragauze, ex-président du tribunal criminel laurencien. Mais au lieu d'y trouver sa guérison, il y est mort. On l'a gardé deux fois vingt-quatre heures, pour l'offrir sans doute à la vue du peuple des dévots, qui s'y est transportée en foule. On l'avait décemment placé dans une chambre, où il y avait deux autels ; il était revêtu de son habit de moine. Des religieuses chantaient dévotement, à côté de son lit, l'office des morts.
Cependant la multitude le regarde déjà comme un Saint ; on l'invoque ; on lui coupe les cheveux, les ongles, ses vêtements, pour en faire des reliques. Mais bientôt ces restes précieux sont contrefaits : des enfants pour attraper quelque argent des sots, se procurent quelques morceaux d'étoffe noire, & faisant semblant de descendre de la chambre du défunt, ils les vendent pour quelques sous, comme des reliques du nouveau saint.
Hier soir on a procédé à la cérémonie de son enterrement, auquel plus de quatre mille personnes ont assisté, & au lieu de le conduire droit au cimetière, on l'a promené par les rues du Salin, de Nazareth, de la place Mage, de Bouquières, &c. &c., sans doute pour l'offrir une dernière fois aux yeux des saints personnages, qui habitent ces saints quartiers.
En attendant on répandait mille bruits ridicules. Les uns disaient qu'il n'était pas mort, d'autres qu'il avait parlé, &c. &c.
Petite idée du "patriotisme" de ce saint père Cassé : il disait un jour à la conciergerie, en présence de plusieurs personnes de qui nous le tenons, que le directoire & les deux conseils étaient tous des voleurs ; que la municipalité de Toulouse était composée de brigands, ainsi que le département ; que tous les prêtres qui s'étaient soumis à la loi étaient des coquins, qui méritaient mille mort ; que toutes les personnes qui se sont mariées depuis la révolution, étaient mariées à "la bête", qu'il fallait démarier tout cela ; que les patriotes devaient être tous exterminés. Le jour qu'on assassina le courrier de Paris auprès de cette ville, il prétendait qu'on avait bien fait, parce que le courrier, selon lui, ne portait que de l'argent volé aux honnêtes gens. Il répétait souvent : rira bien qui rira le dernier.
Journal de Toulouse, du 28 décembre 1796 (Rétronews)
Bertrand Cassé fut, dans sa jeunesse, un humble vigneron et il bêcha les vignes d'un frère du carme Sermet. Il s'enrôla après avoir tenté un essai de vie religieuse chez les capucins ; ultérieurement, il entra chez les cordeliers et il fit profession le 12 octobre 1786. Sans doute à cause de sa faible instruction, Sermet le considérait-il comme "un bien pauvre sire à tous égards". Pendant la première période de persécution, sous le régime de la Terreur, il s'efforça de poursuivre le ministère sacerdotal à Toulouse, gagna sa vie comme "portefaix, offrant ses bras au service des passants". Il contribua aussi à sauver les reliques de la basilique Saint-Sernin.
Il fut arrêté. Libéré avec tous les autres prêtres à Sainte-Catherine par un mouvement du peuple toulousain le 12 messidor an III (30 juin 1795), il fut arrêté le 6 décembre 1795, en se rendant à l'église de l'ancien couvent des grands carmes pour y célébrer la messe. Comme il ressort de la procédure ouverte pour cet incident, "un rassemblement considérable d'hommes et de femmes criant qu'ils voulaient le prêtre" se forma. Un commissaire de police se dégagea à grand-peine : pour leur participation à l'outrage commis contre ce fonctionnaire public, trois femmes devaient être acquittées par le jury du tribunal criminel comme n'ayant pas agi méchamment et à dessein de crime, mais deux autres femmes subirent deux jours de détention et deux heures d'exposition sur la place publique.
Au mois de décembre 1796, le prêtre Cassé, presque mourant, fut libéré par l'administration du département.
Le bienheureux Cassé est mort en odeur de sainteté, le 4 nivôse an V (samedi 24 décembre 1796), dans sa maison d'habitation, sise rue du Temple, 6ème section, n° 269, à l'âge de 40 ans. Il était fils de Dominique Cassé, brassier, et de Delphine Sendrane.
Les obsèques du Père Cassé, le 7 nivôse an V (27 décembre 1796), tournèrent à la vénération de la part d'une foule importante.
Le tonnelier Descoupe, le menuisier Ruffat, le marchand de blé Darles et le négociant Dispan organisèrent l'enterrement. Contrairement aux dispositions législatives, le transport du corps se fit sans cercueil et découvert.
Journal de Toulouse du 30 décembre 1796.
AD31 - Registres d'état-civil de Toulouse
Visages de la mort dans l'histoire du Midi toulousain par Jean-Luc Laffont - 1998