JUILLAC (19) - LA BERGÈRE JEANNE VILLEPREUX, MÈRE DE L'OCÉANOGRAPHIE (1794 - 1871)
LA BERGÈRE JEANNE VILLEPREUX
MÈRE DE L'OCÉANOGRAPHIE
INVENTEUR DE L'AQUARIUM
Jeanne Villepreux naquit le 4 vendémiaire an III (25 septembre 1794), dans le bourg de Juillac (Corrèze), de Pierre Villepreux, agent salpêtrier, et de Jeanne Nicaud, son épouse.
De famille nombreuse et très pauvre, la petite Jeanne, qui répondait pour les siens au nom de Lili, était d'une intelligence vive et d'une grande beauté. Elle aida tout d'abord sa mère à élever ses frères et soeurs ; aussi son instruction générale laissait-elle beaucoup à désirer lorsque, vers l'âge de 16 ans, elle fut promue à l'emploi de bergère, chargée de garder les vaches et les moutons d'un riche voisin.
Ce Crésus de village avait un fils : celui-ci tomba éperdument amoureux de la belle pastourelle qui, elle-même, ne resta pas insensible aux brûlantes déclarations de son amoureux.
Mais si quelquefois les fils de rois épousent des bergères, les fils de riches fermiers n'épousent pas leurs servantes : aussi, après s'être fâché tout rouge, le père de des Grieux congédia Manon.
Notre Manon (c'est-à-dire Lili Villepreux), sincèrement éprise de son coquelet de village, éprouva une si grande peine de la rupture qu'elle convainquit ses parents de l'envoyer à Paris où, justement, une place lui était offerte.
Un sien cousin, marchand de bestiaux, était en instance de départ pour la Capitale, on l'agréa comme Mentor et Lili partit en sa compagnie.
Hélas, le charme de la jeune fille fit encore des ravages ; le cousin devint indiscrètement pressant et à Orléans, la voyageuse, pour "sauver son innocence" dut se placer sous la protection de la police.
Le magistrat, croyant à une fugue, fit déposer caution à la malheureuse Lili et la garda prisonnière jusqu'au moment où il reçut, du père Villepreux, une lettre autorisant formellement l'enfant à poursuivre son voyage.
Délestée de son maigre pécule, la bergère ne parvint qu'à grand peine à Paris et avec tant de retard que la fameuse place n'était plus disponible.
Le ventre creux et la bourse vide, Lili partit à l'aventure à travers les rues de la Capitale et son destin la conduisit droit à la vitrine d'une des plus célèbres modistes de l'époque.
Devant les capotes qui nous paraîtraient si ridicules aujourd'hui, la bergère de Juillac oublia sa faim, son chagrin, sa fatigue et sa misère. Bouche bée, comme envoûtée, elle demeura figée devant l'étalage.
C'est alors que la bonne fée surgit sous les apparences de la grande modiste sortant de son magasin. Séduite par sa beauté et par la sincère admiration que manifeste la fillette, la patronne l'interroge et lui offre une place d'apprentie que Lili accepte avec reconnaissance.
Ceci se passait en 1812. Quatre ans plus tard, en 1816, Lili devenait première au magasin et créait le rayon Couture à côté du rayon de Modes.
Or, comme il sied dans un vrai conte de fée, voici qu'apparaît la princesse : Marie-Caroline-Ferdinande-Louise de Bourbon, fille du roi de Naples, Ferdinand Ier, fiancée au duc de Berry, fils de Charles X.
La princesse commanda sa robe de mariée à la patronne de Lili qui s'en remit à sa première pour l'exécution des broderies du vêtement royal.
Aussitôt terminé, le chef-d'oeuvre fut exposé en vitrine et, comme s'il n'avait attendu que ce signal, parut le Prince charmant.
A vrai dire, il n'était pas prince ! C'était un riche Irlandais, James Power qui, émerveillé devant l'oeuvre magnifique, sollicita l'honneur d'être présenté à la créatrice pour lui offrir ses félicitations.
Mis en présence de Lili, il tombe éperdument amoureux, fait instruire l'objet de sa flamme, l'épouse et, nommé directeur des télégraphes sous-marins anglo-italiens, James Power s'installe avec sa jeune femme à Messine (Sicile - 4 mars 1808)
Elle touche un peu à tout, mais le Monde mystérieux de la Mer l'attire et voici bientôt, créé de toutes pièces par l'ancienne bergère, que naît le premier des Laboratoires maritimes. Dans des bacs, dans des sortes de cages flottantes, Lili élève tous les animaux marins que des pêcheurs capturent à son intention. Nommées "Giaboline à la Power", ces dispositifs comptent parmi les premières formes modernes de l'aquarium.
L'Argonaute est l'objet de ses observations passionnées. Elle surprend le mystérieux Céphalopode occupé à réparer les brèches de sa fragile coquille, elle note que la palmure de ses bras n'est pas une voile mais une sorte de truelle ; elle découvre le mâle Argonaute, Poulpe minuscule (il mesure environ 1 centimètre 1/2, la femelle 30 centimètres), dont les bras égaux ne secrètent jamais de nacelle puisque celle-ci est uniquement nidamentaire.
Les découvertes de Mrs James Power furent aussi nombreuses qu'importantes et ses communications aux sociétés savantes dont elle faisait partie étaient appréciées des plus grands naturalistes du monde entier.
En 1838, Jeanne et son mari quittent la Sicile et partagent alors leur temps entre Londres et Paris. Mais le navire qui devait transporter les collections de Jeanne, y compris tous les documents et dessins de plus de deux cents espèces de papillons, chenilles et autres choses qu'elle avait observées, a coulé en route vers Londres et tout a été perdu.
Après cela, Jeanne abandonna ses recherches, mais elle a continué à écrire et à donner des conférences, racontant ses études et ses résultats.
Après une existence dorée, lorsque survint la guerre de 1870, Mrs Power se souvint qu'elle était Française et tandis que son mari, malgré son âge avancé, s'engageait dans les rangs des défenseurs de Paris, la Mère de l'Océanographie retournait dans son village natal, Juillac, où elle mourait le 25 janvier 1871, à l'âge de 77 ans. Et dans le petit cimetière de Corrèze, sous une pierre tombale, ruinée, Lili Villepreux dort de son dernier sommeil à côté de James Power, irlandais de naissance mais français du coeur et d'adoption. [Nous ignorons si cette tombe existe encore]
Saluons cette tombe, nous avons le droit et le devoir d'être fiers de Lili Villepreux : elle fut une bonne et grande Française et le génial inventeur de la Science Océanographique.
Jean Hallaure - Bulletin de la Société des lettres, sciences et arts de la Corrèze - 1er janvier 1935 - pp. 71 à 79
En 1997, L'Union astronomique internationale a baptisé de son nom une patera de la planète Vénus, découverte par la sonde Magellan. La patera Villepreux-Power se trouve aux coordonnées suivantes : latitude 22° sud et longitude 210° est.
A Paris, il y a une allée qui porte son nom (12e arr.).
En 2011, a été créé le prix Jeanne Villepreux-Power, qui récompense toute jeune fille poursuivant des études scientifiques a l'Académie de Limoges.
Son époux, James Power, est décédé à Paris, rue de l'Université n° 58, (7e arr.), le 8 janvier 1872, à l'âge de 81 ans.
AD19 - Registres paroissiaux et d'état-civil de Juillac