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La Maraîchine Normande
29 juillet 2024

UN MANUSCRIT DE MARIE-ANTOINETTE, REINE DE FRANCE ET MAMAN, DU 24 JUILLET 1789

 

 

 

UN MANUSCRIT DE LA REINE MARIE-ANTOINETTE


La baronne d'Oberkirch dit dans ses "Mémoires" (t. II, p. 350) : "Marie-Antoinette s'occupe elle-même de l'éducation de sa fille ; elle assiste tous les matins aux leçons de ses maîtres et est très sévère pour ses petits défauts. Elle fit, vers cette époque-là (1786), une réforme dans la maison de sa fille, dans la crainte de lui donner le goût du faste par le trop grand appareil qui l'entourait. Peut-on voir une meilleure mère et une affection plus éclairée ?"

 


L'écrit suivant, qui date de quelques jours après la prise de la Bastille, prouve que Mme d'Oberkirch ne se trompait pas, et que la sollicitude maternelle dominait, chez Marie-Antoinette même, les douloureuses préoccupations de la reine. Il contient les instructions qu'elle donna à la marquise, puis duchesse de Tourzel, nommée gouvernante des enfants de France en 1789, après le départ de la duchesse de Polignac.

 

 

Louise-Élisabeth de Croÿ, duchesse de Tourzel (1749 - 1832)

 

Il est vraisemblable que cette pièce, dont l'autographe existe encore, a été prise dans l'appartement de Mme de Tourzel pendant la funeste journée du 10 août. Elle fut remise longtemps après à la duchesse de Duras, qui en fit une copie pour la duchesse d'Harcourt. C'est de celle-ci que nous la tenons. L'authenticité du manuscrit original n'est pas contestable ; non seulement l'écriture de la reine a été reconnue, mais les personnes qui vivaient à la cour de Louis XVI et les enfants de Mme de Tourzel ont pu affirmer, sous la Restauration, l'exactitude des détails fournis sur le caractère et la maison du malheureux Louis XVII et de sa soeur. Cependant ces instructions sont demeurées longtemps ignorées, par suite de la discrétion de leur possesseur. Aujourd'hui encore, bien qu'elles aient été communiquées au comte de Vielcastel, qui a publié quelques écrits sur Marie-Antoinette, elle sont peu connues, et il nous a paru intéressant de les rappeler.


H.B.

 

 

 

24 juillet 1789.


Mon fils a quatre ans, quatre mois moins deux jours ; je ne parle pas ni de sa taille ni de son extérieur, il n'y a qu'à le voir. Sa santé a toujours été bonne ; mais, même au berceau, on s'est aperçu que ses nerfs étaient très délicats et que le moindre bruit extraordinaire faisait effet sur lui. Il a été tardif pour ses premières dents, mais elles sont venues sans maladie ni accident. Ce n'est qu'aux dernières, et je crois que c'était à la sixième, qu'à Fontainebleau il a eu une convulsion. Depuis il en a eu deux, une dans l'hiver de 1787 à 1788, et l'autre à son inoculation ; mais la dernière a été très petite. La délicatesse de ses nerfs fait qu'un bruit auquel il n'est pas accoutumé lui fait toujours peur. Il a peur, par exemple, des chiens, parce qu'il en a entendu aboyer près de lui. Je ne l'ai jamais forcé à en voir, parce que je crois qu'à mesure que la raison viendra ses craintes passeront. Il est, comme tous les enfants forts et bien portants, très étourdi, très léger et violent dans ses colères. Mais il est bon enfant, tendre et caressant, même quand son étourderie ne l'emporte pas. Il a un amour-propre démesuré qui, en le conduisant bien, peut tourner un jour à son avantage. Jusqu'à ce qu'il soit bien à son aise avec quelqu'un, il sait prendre sur lui et même dévorer ses impatiences et ses colères pour apparaître doux et aimable. Il est d'une grande fidélité quand il a promis une chose ; mais il est très indiscret, il répète aisément ce qu'il a entendu dire, et souvent, sans vouloir mentir, il ajoute ce que son imagination lui a fait voir ; c'est son plus grand défaut et sur lequel il faut bien le corriger. Du reste, je le répète, il est bon enfant, et avec de la sensibilité, et en même temps de la fermeté ; sans être trop sévère, on fera toujours de lui ce qu'on voudra, mais la sévérité le révolterait, parce qu'il a beaucoup de caractère pour son âge, et, pour en donner un exemple, le mot pardon l'a toujours choqué. Il fera et dira tout ce qu'on voudra quand il a tort, mais le mot pardon, il ne le prononcera qu'avec des larmes et des peines infinies. On a toujours accoutumé mes enfants à avoir grande confiance en moi, et, quand ils ont eu des torts, à me le dire eux-mêmes. Cela fait qu'en les grondant, j'ai l'air plus peine et affligée de ce qu'ils ont fait que fâchée. Je les ai accoutumés tous à ce que oui ou non prononcé par moi est irrévocable, mais je leur donne toujours une raison à la portée de leur âge, pour qu'ils ne puissent pas croire que c'est humeur de ma port. Mon fils ne sait pas lire et apprend fort mal ; mais il est trop étourdi pour l'appliquer. Il n'a aucune idée de hauteur dans la tête et je désire fort que cela continue. Nos enfants apprennent toujours assez tôt ce qu'ils sont. Il aime sa soeur beaucoup et a bon coeur. Toutes les fois qu'une chose lui fait plaisir, soit d'aller quelque part, ou qu'on lui donne quelque chose, son premier mouvement est toujours de demander pour sa soeur de même. Il est né gai ; il a besoin pour sa santé d'être beaucoup à l'air, et je crois qu'il vaut mieux pour sa santé le laisser jouer et travailler à la terre, sur les terrasses, que de le mener plus loin. L'exercice que les petits enfants prennent en courant, en jouant à l'air, est plus sain que d'être forcés à marcher, ce qui souvent leur fatiguent les reins.


Je vais maintenant vous parler de ce qui l'entoure. Trois sous-gouvernantes, Mme de Soucy, belle-mère et belle-fille, et Mme de Villefort. Mme de Soucy, la mère, fort bonne, femme très instruite, exacte, mais mauvais ton. La belle-fille, même ton, point d'espoir. Il y a déjà quelques années qu'elle n'est plus avec ma fille ; mais avec le petit garçon, il n'y a pas d'inconvénient ; du reste, elle est très fidèle et même un peu sévère avec l'enfant. Mme de Villefort est tout le contraire, car elle le gâte. Elle a au moins aussi mauvais ton, et plus même, mais à l'extérieur ; toutes sont bien ensemble.


Les deux premières femmes, toutes deux bien attachées à l'enfant ; mais Mme Le Moine, une caillette et bavarde insoutenable, contant tout ce qu'elle sait dans la chambre, devant l'enfant ou non, cela est égal. Mme Nouville a un extérieur agréable, de l'esprit, de l'honnêteté, mais on la dit dominée par sa mère qui est très intrigante.


Brunier, le médecin, a ma grande confiance toutes les fois que les enfants sont malades, mais hors de là il faut le tenir à sa place, il est familier, humoriste et clabaudeur.

 


L'abbé d'Avaux peut être fort bon pour apprendre les lettres à mon fils ; mais, du reste, il n'a ni le ton, ni même ce qu'il faudrait pour être auprès de mes enfants ; c'est ce qui m'a décidée dans ce moment à lui retirer ma fille. Il faut bien prendre garde qu'il ne s'établisse hors les heures de leçons chez mon fils. C'est une des choses qui a donné le plus de peine à Mme de Polignac, et encore n'en venait-elle pas toujours à bout, car c'était la société des sous-gouvernantes. Depuis dix jours, j'ai appris des propos d'ingratitude de cet abbé qui m'ont fort déplu.


Mon fils a huit femmes de chambre. Elles le servent avec zèle, mais je ne puis compter sur elles. Dans ces derniers temps, il s'est tenu beaucoup de mauvais propos dans la chambre, mais je ne saurais dire exactement par qui ; il y a cependant une dame Belliard qui ne se cache pas sur ses sentiments, et, sans soupçonner personne, on peut se méfier. Tout son service en hommes est fidèle, attaché, tranquille.


Ma fille a à elle deux premières femmes et sept femmes de chambre. Mme Brunier, femme du médecin, est à elle depuis sa naissance, la sert avec zèle ; mais sans avoir rien de personnel à lui reprocher, je ne la chargerais jamais que de son service ; elle tient du caractère de son mari ; de plus elle est avare et avide de petits gains qu'il y a à faire dans la chambre.


Sa fille, Mme Tréminville, est une personne d'un vrai mérite ; quoique âgée seulement de vingt-sept ans, elle a toutes les qualités d'un âge mûr. Elle est à ma fille depuis sa naissance et je ne l'ai pas perdue de vue. Je l'ai mariée, et le temps qu'elle n'est pas avec ma fille elle l'occupe en entier à l'éducation de ses trois filles. Elle a un caractère doux et liant, est fort instruite, et c'est elle que je désire charger de continuer les leçons à la place de l'abbé d'Avaux. Elle est fort en état et, puisque j'ai le bonheur d'en être sûre, je trouve que c'est préférable à tout. Au reste ma fille l'aime beaucoup et y a confiance.


Les sept autres femmes sont de bons sujets, et cette chambre est bien plus tranquille que l'autre. Il y a deux très jeunes personnes, mais elles sont surveillées par leur mère, l'une à ma fille, l'autre par Mme Le Moine (sic).


Les hommes sont à elle depuis sa naissance ; ce sont des êtres absolument insignifiants ; mais comme ils n'ont rien à faire que le service et qu'ils ne restent point dans la chambre par delà, cela m'est assez insignifiant.

 

 

Bibliothèque municipale de Lyon - Les revues savantes - Revue lyonnaise n° 5 - 1883

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