LYON (69) - LES FRÈRES MONTAIN ; QUAND UN FRÈRE SAUVE SON FRÈRE (1817)
Musées Gadagne - (Jean-Michel Grobon - lavis, 1820 - inv.185 © Pierre Verrier)
Le docteur Montain aîné, médecin de l'Hôtel Dieu de Lyon, a été arrêté le 20 janvier 1816, et, sept mois après, condamné à cinq ans de détention et 2.000 francs d'amende "pour crime de non révélation d'un complot non accepté, ni suivi de commencement d'exécution, mais dont il était accusé d'avoir entendu parler chez un de ses malades." Le docteur Montain aîné fut défendu avec une grande éloquence par M. Lombard, avocat distingué. Le docteur Montain jeune, chirurgien en chef de la Charité, ayant obtenu la permission de parler pour son frère, eut le bonheur de toucher le jury. Hyppocrate lui avait fourni son principal moyen de défense, le serment qui exige du médecin la plus grande discrétion.
Mis au secret dans les premiers moments de son arrestation, et plongé successivement dans divers cachots, il avait contracté dans les prisons de Lyon, qui sont fort malsaines, des maladies graves qui l'eussent prochainement conduit au trépas s'il y fut demeuré plus longtemps.
Ce danger ne pouvait échapper à la tendre sollicitude de son frère, M. Montain jeune, qui d'ailleurs, en sa qualité d'homme de l'art, avait toutes les connaissances nécessaires pour apprécier les causes du mal, sa gravité et les suites funestes qu'il faisait pressentir.
Le pourvoi en cassation avait été rejeté ; le recours en commutation de peine n'avait pas été plus heureux ; le prisonnier allait être transféré au château d'If, à Marseille. Mais ce nouveau séjour, loin de préparer quelque amélioration dans son sort, lui présageait au contraire une mort d'autant plus certaine que l'insalubrité du climat devait encore l'accélérer.
Dans cet état, M. Montain jeune obtint comme une faveur (c'en était une en effet), que son frère pourrait se faire transférer, à ses frais, à la prison de Sainte-Pélagie à Paris.
Sainte-Pélagie - Jean-Louis Talagrand - Musée Carnavalet - Paris
M. Montain jeune était uni à son frère par les liens de la plus étroite amitié ; les sentiments de la nature se trouvaient encore fortifiés par ceux de la connaissance ; il lui devait l'état honorable dont il était en possession ; ce frère avait été pour lui un second père.
Que de motifs pour désirer de lui rendre la liberté !
M. Montain jeune forma ce généreux dessein.
Il obtint la permission d'accompagner son frère dans le voyage de Lyon à Paris, et partit avec lui le 10 janvier 1817. La ressemblance était grande entre les deux frères.
La surveillance des gendarmes était extrême : à chaque changement de brigade, ils prenaient exactement le signalement du prisonnier, mais toute la vigilance de ces argus ne put empêcher que, sur la grande route, en plein midi, M. Montain jeune ne prit les béquilles et le costume fourré de son frère, et ne réalisât l'heureux projet de donner le change à son escorte. (M. Montain aîné avait contracté en prison des douleurs rhumatismales qui l'obligèrent pendant plusieurs mois à se servir de béquilles. Soigné par son frère et rétabli, il n'en continua pas moins, à sa prière, de porter cet inutile appui qui devait plus tard assurer la réussite d'un projet que couvait en secret l'amour fraternel.)
Avant de prendre la place de son frère, M. Montain jeune avait, autant que possible, pris une tournure qui répondit au signalement de sa personne.
On n'entre pas ici dans les détails de ce déguisement, il suffit de dire, non pas à la louange de celui qui l'imagina, mais pour la justification de ceux qui en furent dupes, que le changement fut tel qu'ils ne purent le soupçonner, ni s'en apercevoir.
On avait déjà couru plusieurs postes, depuis que M. Montain jeune avait pris la place de son frère, depuis longtemps les gendarmes se transmettaient les deux voyageurs dans l'opinion que M. Montain jeune était réellement le prisonnier sur lequel il fallait exclusivement veiller.
Arrivé à ...... vers le milieu du jour, le prétendu prisonnier demanda à descendre et à se reposer. Les gendarmes le suivirent à l'auberge, et le gardèrent à vue dans sa chambre.
Pendant ce temps, M. Montain aîné qui était resté près la chaise de poste, sous prétexte de la faire remiser, s'évada, prit la route de Paris, et bientôt après celle des pays étrangers, où il est arrivé, Dieu merci !
[Le docteur Montain aîné, on le sait, arrivé à Bruxelles, s'y fixa, entouré de la confiance et de l'estime publique qu'inspiraient ses talents et ses malheurs. Il trouva la plus vive sympathie sur cette terre hospitalière. Rentré après dix ans d'exil, il s'établit dans la capitale. Plus tard, il voulut utiliser ses talents dans nos possessions d'Afrique, où il accompagna successivement les deux gouverneurs MM. d'Erlon et Clausel, comme médecin des hôpitaux attaché à l'État-Major. Nous devons admirer le zèle et le courage de ce médecin, qui n'hésita pas à reprendre du service dans nos armés (car avant d'être médecin de l'Hôtel-Dieu, il avait été médecin militaire), à quitter la vie douce et agréable de la capitale, ainsi qu'une clientèle honorable, pour aller braver les fatigues d'un long voyage, les rigueur d'un nouveau climat et les dangers du choléra.]
Cependant, les gendarmes qui croyaient toujours tenir leur homme, demandaient à M. Montain jeune, où était allé son frère ; il répondit qu'il était allé rendre une visite en ville.
Un orage affreux qui survint, empêcha de repartir le soir même : les gendarmes qui n'étaient chargés que du prisonnier qu'ils gardaient constamment à vue, ne s'occupèrent plus de l'absent ; et le lendemain, ils repartirent avec M. Montain jeune, croyant que son frère avait pris les devants pour préparer un logis.
Les changements de brigade ne tardèrent pas à mettre fin aux questions sur ce point. M. Montain jeune multiplia les haltes, les couchers, pour donner à son frère le temps de s'éloigner. Sur le point d'arriver à Paris, il lui eût été facile de s'évader de lui-même ; mais il aurait compromis les deux gendarmes préposés à sa garde, et cette pensée l'empêcha de se sauver, comme elle l'empêche encore à présent de déclarer en quel lieu s'est opéré, soit le changement de costume, soit la disparition de son frère.
M. Montain jeune arriva à Paris, le 19 janvier, et fut écroué à Sainte-Pélagie, sous le nom et avec le signalement de M. Montain aîné. Il est resté sans se faire connaître jusqu'à l'instant où il a acquis la certitude que son frère était arrivé en lieu de sûreté.
Le 17, ou le 18, M. Montain jeune a déclaré les faits à M. le Préfet de police, et demandé à être mis en liberté.
Interrogé par un commissaire de police sur les motifs qui avaient pu le porter à faire évader son frère, il a répondu :
La voix de la nature ;
Celle de la reconnaissance ;
La perspective affreuse de sa mort, s'il rentrait en prison ;
La douleur de ma mère et de mes soeurs ;
Mon propre désespoir ;
Et sur d'autres questions qui lui furent adressées, il ajouta : Je n'ai employé ni séduction, ni corruption ; je n'ai point de complices ; je ne puis vous dire le lieu où s'est opéré la substitution de personnes et la séparation, parce que je ne veux pas compromettre des hommes innocents.
Dans cet état, M. Montain jeune demande qu'on le juge le plus promptement possible, si l'on pense qu'il doit être jugé, parce que le temps qu'on passe en prison avant le jugement, ne compte pas pour abréger celui qu'on y passe après.
Il désire être jugé à Paris plutôt qu'à Lyon ; et son voeu, à cet égard, est conforme au texte des lois.
Règle générale : la connaissance d'un délit doit être portée devant le tribunal dans le ressort duquel il a été commis. Cela suffirait pour déterminer la compétence du tribunal de la Seine ; et que d'ailleurs il est de fait que c'est à Paris seulement qu'on s'est aperçu de l'évasion.
Sous quel prétexte voudrait-on renvoyer M. Montain à Lyon ? Serait-ce parce que l'article 518 du Code d'instruction criminelle dit que : "La reconnaissance de l'identité d'un individu condamné, évadé et repris, sera faite par la cour qui aura prononcé la condamnation. - Il en sera de même de l'identité d'un individu condamné à la déportation ou au bannissement, qui aura enfreint son ban et sera repris : et la cour, en prononçant l'identité, lui appliquera de plus la peine attachée par la loi à son infraction."
Mais il est évident que cet article ne peut, en aucune manière, s'appliquer à M. Montain jeune. Il n'est pas l'homme "condamné, évadé et repris", dont l'identité doit être constatée aux termes de l'article précité. "Condamné", il ne l'a jamais été ; "évadé", au contraire, il s'est volontairement constitué prisonnier ; "repris", ce mot suppose une première représentation à laquelle on s'est soustrait ; or, jamais M. Montain jeune n'a été arrêté.
Il n'y a donc pas lieu à lui appliquer les dispositions de l'article 518.
Cet article s'appliquerait à son frère, réellement "condamné, évadé", s'il était "repris" : alors, en effet, il faudrait le renvoyer devant les juges de Lyon, pour constater son identité, et lui appliquer, s'il y avait lieu, un surcroît de peine pour lui apprendre à se sauver une autre fois.
Mais il est par trop clair que ce même article est sans application à M. Montain jeune.
Il faut d'ailleurs remarquer que s'il était besoin de s'assurer de son identité, la preuve "qu'il est bien lui et qu'il n'est pas son frère", pourrait se faire à Paris même par le témoignage des premiers médecins et chirurgiens de la capitale, qui l'ont parfaitement connu dans les rapports scientifiques qu'il a eus avec eux, à raison de son art.
A l'appui de ces premiers moyens, vient une considération qui doit avoir quelque poids.
L'affaire de M. Montain aîné, jugée à Lyon, a été tout à la fois un motif de haine et de persécution de la part des uns, et un sujet de murmure et de considération pour les autres. Et cela ne pouvait pas être autrement dans un procès politique, suscité à un homme qui, comme médecin du principal hospice de Lyon, avait rendu des services aussi importants que désintéressés, à un grand nombre de ses concitoyens.
Or, la même animosité d'une part, et de l'autre le même intérêt, pourraient se renouveler à l'occasion du nouveau procès dont M. Montain jeune serait l'objet.
Voilà pourquoi il insiste vivement pour être jugé à Paris, où il est assuré de ne trouver ni haine ni faveur.
Le seul article qui, dans le Code pénal, ait quelque rapport au fait pour lequel il se trouve détenu, est l'article 238, suivant lequel, "si l'évadé était prévenu ... de crime simplement infamant ; ... ceux qui, n'étant pas chargés de sa garde ou de sa conduite, auront procuré ou facilité son évasion, seront punis de six jours à trois mois d'emprisonnement."
Peut-être jugera-t-on qu'ici les lois immuables de la nature doivent faire exception à la rigueur arbitraire des lois positives ; et, dans ce cas, M. Montain, absous dès à présent par sa conscience, sera encore absout aux yeux des hommes.
Si, au contraire, on juge que l'article 238 dans sa sévérité, doit s'appliquer "même au frère qui sauve son frère" ; dans ce cas, M. Montain jeune subira la peine qui lui sera imposée ; elle lui semblera légère en comparaison des maux qu'il a épargnés à son frère ; et il pourra répéter avec attendrissement ce que disait à ses juges un illustre accusé, dans une circonstance à peu près semblable : "Si, en votre âme et conscience, vous jugez que j'ai offensé vos lois, et que je leur dois une satisfaction, j'ai du moins la consolation de penser que je n'ai pas offensé les lois de la nature, et que j'ai satisfait au devoir de l'humanité."
Dupin - Bibliothèque municipale de Lyon - Les revues savantes - Revue du Lyonnais - série 1 - n° 4 - pp. 36 - 1836
Leur aïeul était originaire de la Toscane. Ils appartenaient à la famille des Montani, qui, elle-même, descendait du célèbre Montanus.
Leur père, Jean-Louis Montain, était un honnête négociant qui travaillait avec zèle pour élever sa famille et lui fournir les moyens de se suffire un jour. Il avait épousé à Saint-Nizier de Lyon le 25 avril 1775, Marie Caillat, fille de Joseph Caillat, maître charpentier de la paroisse de la forteresse en Dauphiné, et de Dimanche Jourdan.
L'aîné, Jean-Baptiste-François-Athanase dit Frédéric MONTAIN est né à Lyon, paroisse Saint-Pierre Saint-Saturnin, le 2 mai 1778 - mort à Paris en décembre 1851, âgé de 73 ans ; à l'exemple de la plupart des médecins de ce temps, il servit dans les armées comme officier de santé, et vint terminer ses études à Montpellier, où il se fit recevoir docteur en 1805. De retour dans sa ville natale, il y obtint de légitimes succès et conquit, en 1809, la place de médecin titulaire de l'Hôtel-Dieu.
M. Montain était lauréat de la Société de médecine de Bordeaux, pour un mémoire sur "les émissions sanguines", qui lui avait valu une médaille. Il a laissé un ouvrage sur "l'apoplexie", qu'il avait composé conjointement avec son frère. Il était encore auteur du "Guide des mères", dédié à la reine Hortense, dont il fut le médecin pendant environ dix ans.
Sur la fin de sa vie il avait fait plusieurs campagnes en Algérie en qualité de médecin attaché à l'état-major de l'armée.
Gilbert-Alphonse-Claude MONTAIN (dit le jeune) naquit le 21 décembre 1780 à Lyon.
Le 21 avril 1806 eut lieu le concours pour la place de chirurgien en chef de la Charité.
Tant que vécut son père, son commerce prospéra. Après sa mort, sa mère fit en vain tout ce qu'elle put pour le soutenir. Au bout de quelques années, ses efforts furent impuissants, et ses affaires se trouvèrent plus qu'embarrassées. Montain s'empressa de venir à son aide, et il y vint seul. Ce trait, qui peut ne paraître que naturel, mérite quelques éloges, car Montain était bien loin d'être le favori de sa mère. Il fallut aussi lui faire une pension. C'était un devoir pour les quatre enfants d'y prendre part. Montain seul l'a payée tout entière et toujours.
L'une de ses soeurs fut mariée, et ce fut encore lui qui lui fit une dot convenable.
Son autre soeur essaya, à plusieurs reprises, de se livrer au commerce. Elle y échoua toujours, et toujours la bourse de Montain se délia pour venir à son secours et pour l'assister tant qu'elle vécut.
Son coeur lui fit trouver, dans la veuve de Bonafous, l'épouse de son choix, l'épouse qu'il affectionnait et qu'il affectionna toujours. Son premier mari lui avait laissé deux enfants en bas âge. Montain les adopta dans son coeur. Il les traita et les aima comme s'ils eussent été siens. Aussi ils lui ont conservé un souvenir dont ils n'ont cessé de lui donner des preuves bien touchantes et qui ne font pas moins d'honneur à leur coeur qu'à celui de leur père adoptif.
Il avait épousé Marie-Charlotte Fenouillot à Lyon, le 10 septembre 1817. Elle était veuve de Mathieu-Frankin Bonafous, négociant, né à Turin le 23 août 1759, dont elle eut deux enfants : - Ursule-Charlotte-Marie et Jean-Alphonse-Charles.
De leur union sont nés trois enfants : - Victor-Frédéric (1817) ; - Louis-Charles-Alcide (1820) ; - Léonie-Alphonsine-Thérèse (1823).
Gilbert Montain est décédé à Lyon 2e, rue du Plat, n° 7, le 18 juin 1853 à l'âge de 72 ans.
Extrait : Éloge historique de Gilbert Montain de Jean-Louis Brachet - 1855
Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales - deuxième série - tome neuvième - Paris - 1875
Revue médicale française et étrangère - par J.-B. Cayol - 30e année - 15 janvier 1852
AD68 - Registres paroissiaux de Lyon