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La Maraîchine Normande
27 août 2024

CARMAUX (81) - JEAN-ANTOINE-PIERRE-LOUIS CAMPMAS, CONVENTIONNEL RÉGICIDE (1755 - 1821)

 

 

 

Jean-Antoine-Pierre-Louis Campmas naît le 27 juillet 1755 à Carmaux, au diocèse d'Albi en Languedoc. A l'exemple de son aïeul, son père, Jean-Louis, est notaire royal dans ce petit bourg, où l'industrie houillère prospère déjà, grâce à l'intelligente activité du chevalier de Solages. Sa mère était Marie-Ursule de Tayrac, fille du juge royal de La Salvetat. C'est des échos d'une longue lutte d'intérêts contre ce dernier qu'est remplie l'enfance de Campmas, dont la famille possède depuis longtemps des exploitations minières dans le pays. Son ardeur révolutionnaire s'expliquera en partie par cette vieille querelle, que les siens ont soutenu sans succès contre les Solages "ci-devant nobles et aristocrates".

 


 

Après une instruction soignée, le jeune homme est reçu avocat au Parlement de Toulouse. Jusqu'à la fin de l'Ancien Régime, il plaide devant diverses justices seigneuriales et exerce plusieurs judicatures. A la mort de son père, son office de notaire royal doit lui revenir. Il semble donc voué à une existence sans éclat, mais confortable.


Dès 1789, Campmas se lance avec ardeur dans le mouvement révolutionnaire. Rêveur, ami de l'étude, il semble pourtant peu fait pour une carrière de tribun. S'il a quelques amis dévoués, ses rapports avec ses semblables seront souvent difficiles. En fait, c'est avant tout un timide, dont les réactions sont parfois d'autant plus brusques qu'elles visent à donner le change à son entourage.


Nommé administrateur du Tarn dès juin 1790, il trouve singulièrement fastidieuse la première session de l'assemblée. Car, à cette époque, le fougueux révolutionnaire, malgré ses trente-cinq ans bien sonnés, est amoureux comme un collégien. Il épouse en décembre 1790 une jeune fille de dix ans plus jeune que lui. Cécile-Rosalie-Fleurus Vabre, qui lui apporte en dot l'important domaine de la Tour, près de Carmaux. Quelques jours après son mariage, il est nommé juge de paix du nouveau canton dont son bourg natal devient le chef-lieu.

 


 

Bien connu des "patriotes" du Tarn à la suite de son passage au conseil du département, Campmas est élu le 5 septembre 1792, à Lavaur, député à la Convention nationale. Dès son arrivée à Paris, il siège parmi les Montagnards. Pris dans l'engrenage des événements, il estime qu'il lui est désormais impossible de reculer. Cette sorte de philosophie fataliste s'exprime à maintes reprises dans ses lettres. Au cours du procès de Louis XVI, si l'on en croit le Moniteur, il laisse tomber de la tribune les paroles suivantes :


"Comme représentant d'une nation qui veut être libre, j'exprime ce que je crois être sa volonté, je dis : la République, plus de roi et la mort du tyran !"


Ces mots lapidaires, le timide bourgeois de Carmaux s'est défendu par la suite de les avoir jamais prononcés ; mais il a dû se trouver à cette époque fort satisfait de se les voir attribuer.


Le mandat de député est bien loin d'être pour Campmas une sinécure. Son assiduité aux travaux de la Convention ne se dément pas un seul instant. Ses journées sont extrêmement remplies ; parfois même, il est occupé des nuits entières. Il mène une vie fort simple. Ses seules prodigalités sont des achats de livres rares, dont il continue une fort curieuse collection.


Passionnément attaché à la terre, ce descendant de ruraux est dépaysé dans la capitale. Il s'inquiète à maintes reprises, jusque dans le moindre détail, de tout ce qui concerne son domaine de la Tour. Dans la plupart de ses lettres, il traduit en termes touchants son affection pour son fils Émilou, et surtout pour sa jeune épouse, dont il souhaite avec ardeur la venue à Paris. Le Comité de Salut Public le charge d'une mission officielle dans le Midi, pour la surveillance des forges de la Dordogne et des fonderies de canons de Montauban, de Cahors et de Toulouse. Il s'empresse d'en profiter pour emmener sa femme avec lui, à son retour dans la capitale. Cette petite provinciale, qui arrive à Paris en pleine Terreur, se prend d'engouement pour la grande ville. Coquette et dépensière, elle constitue bientôt une lourde charge pour le budget du ménage, si bien que son mari doit l'obliger à regagner Carmaux.


Après la chute de Robespierre, le député attend avec beaucoup d'impatience la fin de son mandat. S'il reste pourtant à son poste, quoique écoeuré par la réaction thermidorienne, c'est pour soutenir - d'ailleurs sans résultat - les intérêts de son beau-père ; ce dernier a commencé pendant la Terreur des exploitations de charbon sur des terrains qui lui appartiennent en propre, mais qui sont compris dans les limites de la concession jadis accordée aux Solages.


En octobre 1795, ce n'est point enrichi par trois ans de labeur acharné que Campmas quitte la capitale, en compagnie de son ami Jean-François Curée, représentant de l'Hérault. Les deux hommes sont si dénués de ressources qu'il prennent l'énergique résolution de faire à pied tout leur voyage de retour. A une époque où tant de conventionnels, parmi les plus connus, n'hésitent pas à donner au monde le spectacle peu édifiant de changements d'opinions, dont l'intérêt personnel est le plus souvent le principal motif, l'obscur député de Carmaux est resté jusqu'au bout fidèle à son idéal "jacobin". Son désintéressement, qui se traduit avec éclat dans son voyage de retour, ne serait-il pas digne d'être cité en exemple aux hommes politiques de tous les temps ?


En 1795, Campmas rentre délibérément dans l'ombre. Il préfère aux tumultes de la vie publique les charmes d'une modeste existence provinciale. Mais, deux ans plus tard, le coup d'État du 18 fructidor vient sonner le ralliement des vieux républicains. L'ex-conventionnel accepte alors d'être commissaire du Directoire auprès de l'administration municipale d'Albi. C'est aux portes de cette dernière ville qu'il acquiert le domaine de Caussels, après une transaction avec ses anciens ennemis, les Solages, qui, toujours à l'affût de mines de charbon, se font céder la propriété de la Tour, avec les terres qui en dépendent.

 


Comme beaucoup de Jacobins, Campmas accueille avec faveur le coup d'État du 19 brumaire, dans lequel il croit voir la consolidation de la République. Après avoir vainement sollicité une place dans la nouvelle administration forestière, il réussit à se faire nommer, le 28 novembre 1801, substitut commissaire du gouvernement auprès du tribunal criminel du Tarn.


Alors commence dans la vie de l'ex-conventionnel une période particulièrement studieuse. Si son traitement est fort modeste, du moins les soucis matériels desserrent-ils un peu pour lui leur rude étreinte. Peu à son aise dans les réunions mondaines, Campmas s'enferme dans sa thébaïde de Caussels, toute les fois que ses fonctions lui accordent quelques loisirs ; c'est tout juste s'il acceptera, à partir de 1804, de faire partie du conseil municipal d'Albi. Sa bibliothèque, qu'il a patiemment constituée à la suite de nombreux achats - bien que parfois décimée par des ventes non moins nombreuses -, comprend, à côté d'ouvrages de jurisprudence et de droit civil, des classiques latins et grecs, et surtout des études de philosophie, de métaphysique et de politique. L'Encyclopédie y voisine avec les oeuvres des philosophes anglais du XVIIe siècle et des philosophes français du XVIIIe. Ses préférences vont, suivant sa propre expression, à des ouvrages de "théologie hétérodoxe" - en l'espèce aux productions des auteurs matérialistes et sceptiques du XVIIIe siècle.


La composition de cette bibliothèque traduit bien ses tendances intimes : s'il se proclame volontiers déiste et admirateur du Nazaréen, il est violemment anticlérical.


L'ex-conventionnel est auteur à ses heures. Il esquisse une tragédie, "Le comte de Valmont". Il compose une églogue, ainsi que divers fragments de poésies. Les sciences elles-mêmes sont l'objet de ses investigations ; c'est ainsi qu'il croit un moment avoir découvert un moteur universel.


Surtout il est attiré par les études historiques. Il projette un grand ouvrage sur l'Albigeois, dont il ébauche deux parties : l'époque romaine et les guerres de religion. En vue de traiter la première de ces périodes, il se livre à quelques recherches archéologiques. Comme introduction aux guerres religieuses du XVIe siècle, il écrit sur la tolérance une fort belle page, toujours actuelle.


C'est à l'érudition de Campmas qu'a recours le conseil municipal d'Albi, pour défendre sa cause contre les prétentions de Castres, qui revendique le chef-lieu du Tarn. L'ex-conventionnel publie un Mémoire substantiel, éloquent plaidoyer en faveur de sa ville adoptive.


Mais les joies que rencontre l'ancien député dans ses études vont pour lui de pair, à partir de 1807, avec de graves soucis d'ordre professionnel. A la faveur de la réorganisation judiciaire, le poste qu'il occupe doit être supprimé à bref délai. Pourtant - grâce à son vieil ami Curée, devenu comte de l'Empire, et à son compatriote du Tarn, Corbière, procureur général à la cour d'appel de Toulouse - Campmas réussit, le 19 février 1811, à se faire nommer procureur impérial auprès du tribunal des douanes de Saint-Gaudens.


Mais, sa situation matérielle ainsi assurée, il a l'immense douleur de perdre son fils Émile qui, tout en poursuivant à Toulouse ses études de droit, témoignait de dispositions remarquables pour les belles-lettres. Ce jeune homme de vingt ans composa un Éloge de Blaise Pascal, que Campmas fait imprimer après sa mort et qui obtient un prix de l'Académie des Jeux Floraux.


De passage à Toulouse, le 10 février 1812, le magistrat impérial envoie à sa femme une lettre, qui nous fait toucher du doigt la profondeur de son désespoir :


"Je vais t'avouer toute ma faiblesse. Je m'étais interdit de passer du côté du cimetière Saint-Pierre ; mais un ascendant irrésistible m'a poussé jusques là ; n'osant me confier à des personnes raisonnables, j'ai donné six francs à un enfant, pour me conduire au lieu où reposent les cendres d'Émile. Je l'ai trouvé fermé. Je me suis précipité sur la muraille. J'ai été embrasser la tombe, je l'ai arrosée d'un torrent de larmes, et j'aurais expiré dessus, si une femme qui m'avait observé n'était venue à mon secours et ne m'avait arraché de ce funeste lieu. Alors, me possédant à peine, j'ai été courir le long du canal ; j'ai dispersé dans les champs tout ce que je portais sur moi d'argent ; et je suis rentré dans la ville le désespoir dans le coeur. Pour tout remède à mon mal, en partant, j'ai donné ordre pour qu'on gravât une pierre et qu'on la plaçât sur le tombeau."


Fort occupé à Saint-Gaudens par la répression de la contrebande, Campmas n'obtient qu'au début de 1814 un congé, pour essayer de régler sur place ses dettes d'Albi, qui depuis longtemps sont très lourdes. Mais, une fois à Caussels, il apprend que l'armée anglaise d'Espagne a franchi la frontière française. Il repart sur-le-champ pour rejoindre son poste. A son passage à Toulouse, il rencontre quelques-uns de ses collègues, qui lui font connaître le transfert provisoire du tribunal à Castelnaudary. Il se transporte donc dans cette dernière ville. Mais la menace anglaise s'accentuant, le tribunal se retire à Carcassonne, puis à Béziers, où il se dissout.


Campmas reprend alors le chemin d'Albi. Il ne parvient à trouver à Béziers ni cheval, ni voiture et se résout à faire à pied ce voyage à travers des régions montagneuses qu'une pluie continuelle rend extrêmement pénible.


Ainsi le magistrat impérial, en dépit de son âge, use une fois de plus du mode de locomotion que, dix-neuf ans auparavant, il a employé pour revenir de la capitale. Il prélude par ce singulier épisode aux années particulièrement sombres qui vont terminer son existence.


Dès la Première Restauration, Campmas, désormais sans emploi, se sent menacé par la réaction royaliste et envisage  une retraite éventuelle à l'étranger. Aussi, de même que tant d'anciens républicains, accueille-t-il avec enthousiasme le retour de Napoléon de l'île d'Elbe. S'il est désormais hostile à tout mandat parlementaire, il ne peut pourtant se dispenser d'aller assister à Paris à l'Assemblée du Champ de Mai, comme membre du collège électoral de l'arrondissement d'Albi. Il profite de ce voyage pour obtenir, grâce aux bons offices de son ami Curée, une place de conseiller à la cour impériale de Toulouse. Le 26 juin 1815, il se trouve dans cette ville pour se faire installer. Mais la cour apprend à ce moment même l'abdication de Napoléon et refuse de recevoir son serment.


Campmas n'a donc pas exercé de fonctions publiques pendant les Cent-Jours. Les ultras s'acharnent pourtant contre lui. Pendant son absence d'Albi, plusieurs individus ont fait une incursion nocturne dans sa propriété. Aussi, à son retour, le régicide se terre-t-il à Caussels, sans oser mettre le pied dans la ville, où ses ennemis ne le surnomment plus que Campmas.


Après le vote de la loi d'amnistie, quoiqu'il se défende de tomber sous le coup des mesures gouvernementales, il demande un passeport pour la Suisse. Le préfet le lui accorde le 23 janvier 1816, mais en mentionnant en toutes lettres sa qualité d' "ex-conventionnel".

 


La Suisse se refuse à laisser les réfugiés français séjourner longtemps sur son territoire. L'ancien député tourne alors ses regards vers l'Italie. Il se fixe à Milan, où il vit misérablement. A l'occasion de l'entrée à Parme de l'ancienne impératrice Marie-Louise, il compose une longue ode en son honneur et l'envoie au chambellan de la petite cour, mais n'obtient que des paroles aimables. Enfin l'exilé, après neuf mois de travail acharné, compose un ouvrage consciencieux, la "Nouvelle description de l'Italie", qui annonce nos guides modernes ; il en offre un exemplaire au Pape Pie VII, qui se contente de le remercier par le don de quelques médailles. Puis il traduit en français les "Institutions géologiques de Scipion Breislak" ; cette tâche considérable, dont il s'acquitte fort bien, montre la connaissance parfaite de la langue italienne qu'il a réussi à acquérir en peu de temps. Mais, pressé par la nécessité, il est obligé de subir les conditions draconiennes de ses éditeurs et ne retire de ces travaux qu'un bien maigre profit.


Aussi, en 1818, ne songe-t-il plus qu'à rentrer en France, où sa femme vient de mourir, rongée par les soucis pécuniaires. Le 7 septembre 1818, le ministre des affaires étrangères l'autorise à regagner sa patrie. Afin d'achever de calmer les préventions de ses compatriotes, il s'astreint à résider quelques mois à Toulouse, où il vit de consultations juridiques.

 

Malade et toujours tourmenté par de graves soucis financiers, il rentre à Caussels en 1819 ; c'est là qu'il expire, dans les bras de sa fille Rosalie, le 27 avril 1821, à l'âge de soixante-six ans.

 


Pour faire taire les créanciers que la mort n'a pas désarmés, Rosalie Campmas devra consentir le 22 mai 1822 un acte de répudiation de la succession de son père.


Émile Appolis - Revue historique et littéraire du Languedoc - 1er janvier 1944 - pp. 356 à 364.

______________________________


Son épouse, Jeanne-Cécile-Rosalie Vabre est décédée à Caussels (Albi), le 5 mai 1818, à l'âge de 46 ans.
 

De ce mariage étaient nés :


- Pierre-André-Hippolyte-Émile, né à Carmaux, le 11 avril 1792, baptisé le lendemain ; décédé dans les bras de son père, à Toulouse, le 31 décembre 1811, après quelques jours de maladie, à l'âge de 19 ans ;


- Cécile-Rosalie-Fleurus, née à Carmaux, le 13 ventôse an III ; mariée à Albi, le 12 septembre 1821, avec Barthélémy Monclar, propriétaire, chevalier de la Légion d'honneur ; décédée à Caussels (Albi), le 26 septembre 1851, à l'âge de 56 ans.
 

 


Sur la maison natale de Campmas, qui hélas n'existe plus, figurait l'inscription suivante : "La Constitution ou la mort" ; elle était située à Carmaux, rue Serpente.

D'autre part, le portrait de Campmas se trouve en bonne place dans la salle de délibérations du Conseil municipal, ce qui montre tout l'intérêt porté à la mémoire de cet homme politique, qui fut aussi probe que désintéressé. (Journal Le Cri des travailleurs du 31 janvier 1948)


 


 

Le petit-fils de Campmas, Barthélémy-Jean-Henri-Désiré Monclar, adresse, le 2 avril 1848, un courrier au rédacteur du journal La Réforme :


"Toulouse, 2 avril 1848,


Citoyen rédacteur,


J'ai lu, il y a déjà plusieurs jours, dans la "Réforme", qu'une pétition avait été adressée au gouvernement provisoire pour demander la démolition du monument expiatoire élevé sous la Restauration à Louis XVI. Je m'attendais à ce qu'un arrêté fût immédiatement rendu pour répondre à cette demande patriotique qu'appuyait de tous ses voeux la France républicaine.


Petit-fils d'un conventionnel, d'un de ces hommes que l'on a si longtemps voulu flétrir du nom de régicides, j'ai recours à votre journal pour réclamer aussi la prompte réparation d'un si long outrage.


Quoi ! La République est proclamée depuis plus d'un mois ; la France jouit en  paix de ces sublimes institutions que la Convention nationale a si douloureusement enfantées, et elle n'a pas eu une parole, une seule parole de reconnaissance pour ces grands ouvriers qui ont démoli tout un monde pour en construire un nouveau.


Elle laisse subsister ce stigmate honteux, ce monument expiatoire, cette injure vivante qui les flétrit !


Ah ! Qu'il soit démoli bien vite, ce monument, et que le lieu de l'offense soit aussi celui de l'expiation ;


Qu'une pierre y soit placée avec une inscription contenant quelques mots de reconnaissance.


Est-ce trop demander pour ces hommes qui ont eu jusqu'ici pour récompense, plusieurs l'échafaud, d'autres l'exil, tous l'outrage ?


Daignez agréer, citoyen rédacteur, mes salutations fraternelles.


Désiré MONCLAR,
Étudiant en droit à la faculté de Toulouse, petit-fils de P.-L. Campmas, représentant du département du Tarn à la Convention nationale.

 

 

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